Tribune : Mayotte un îlot de dédain dans un environnement de misère

Tribune : Mayotte un îlot de dédain dans un environnement de misère

Dans le quartier de la Vigie à Mamoudzou ©Ornella Lamberti / AFP

Dans une tribune publiée sur Outremers360, Antony Etelbert, Docteur en Anthropologie, livre son point de vue sans concession sur la situation de Mayotte, au regard de son passé entre les Comores et la France, et de sa relation singulière avec l’Etat français, qu’il met en lumière avec l’ensemble des Outre-mer.

Il n’est rien dans l’environnement insulaire de la France qui n’attire l’attention des originaires des Outre-mer. Que ce soit le projet constitutionnel en faveur de la Corse ou le référendum d’autodétermination prochain de la Nouvelle-Calédonie ou Kanaky. Et la colère sociale qui fait rage à Mayotte suscite également l’intérêt de tous les territoires d’Outre-mer.

L’archipel des Comores était constitué à l’origine de quatre îles : La Grande Comore, Moheli, Anjouan et Mayotte. Cet archipel d’environ 2250 km2 habité aujourd’hui par 1 million de personnes était jusqu’en 1946, une colonie française dont le principal centre d’influence était Moroni, la ville la plus importante située sur La Grande Comore. Ces terres lointaines de la mère Patrie ont, comme les autres terres d’Outre-mer, été victimes de la brutalité coloniale.

img-1

Le 22 décembre 1974, lors du référendum d’autodétermination, le Peuple comorien a voté à 95 % pour l’indépendance, à l’exception de la population de Mayotte qui s’est prononcée contre à 64%. C’est donc dans un climat de sécession que la France a accueilli en son sein ce territoire d’Outre-mer. L’histoire de France doit à Zéna Mdéré et Zaïna Meresse, assistées par d’autres femmes dans leur action de « Commando des Chatouilleuses » en particulier lors du drame du 13 octobre 1969 quand l’une d’entre-elles, Zakia Madi, meurt lors d’un affrontement entre partisans et adversaires de l’indépendance. Hors du protectorat français, le reste de l’archipel des Comores a subi diverses péripéties notamment en mai 1978, avec le renversement du Chef du Gouvernement Ali Soilihi par Bob Denard et ses mercenaires. Chaque territoire sous des statuts différents a eu un développement économique et social inégal.

Cependant le statut quo depuis 1976, a toujours été contesté par l’Union Africaine, la Conférence Islamique, la Ligue Arabe, les Pays non Alignés. Et à l’ONU, il demeure toujours une hésitation confuse sur la légalité statutaire de Mayotte. En mars 2011 : Mayotte, dont le Chef-lieu est Mamoudzou, devient formellement le 101ème département français. Était-ce l’heure d’une réelle prise en compte des attentes de la population mahoraise à l’image des autres départements d’Outre-mer ? Cette aspiration tout au moins était attendue.

Si la France peut s’enorgueillir d’être le deuxième pays du monde en termes de surface maritime, juste derrière les Etats-Unis, avec ses 11 millions de km2, constitutif d’un potentiel incommensurable de richesses marines, a-t-elle toujours eu de la considération pour les populations des outre-mer à égalité avec celle de la Métropole ?

Annick Girardin "a toute la légitimité et toute latitude pour intervenir", assure Benjamin Griveaux ©Ornella Lamberti / AFP

©Ornella Lamberti / AFP

Loin s’en faut puis qu’il a fallu l’adoption de la loi n°2017-256 du 28 février 2017 de programmation relative à l’égalité réelle Outre-mer et portant autres dispositions sociale et économique pour commencer un rattrapage. L’article 1 de la loi Egalité réelle Outre-mer dans son diagnostic reconnaissait à la République le droit d’adopter un modèle de développement durable pour parvenir à l’égalité dans le respect de l’unité nationale. Cette même loi en son article 19 stipulait, que cette égalité n’interviendrait que dans 8 ans à la fin de la mise en œuvre dans le cadre d’un document portant des orientations stratégiques intitulé Mayotte 2025.

Et d’ici là dans l’aire géographique, le tableau démographique est le suivant. L’Union des Comores peuplé de 800 000 habitants avec un PIB par habitant de 698,9€ avoisine avec Mayotte dont le PIB est évalué à 860,3€. Et comme l’indique le Député Mansour Kamardine, sur ces 375 km² vivent 265 00 habitants dont 100 00 sont français.

Le décor d’un drame social permanent est posé. Malgré la proximité culturelle et identitaire, l’exacerbation de la population mahoraise ayant fait le choix de devenir français n’est pas payé en retour. Et les français originaires des Outre-mer s’interrogent, comment et pourquoi la France, après les Etats Généraux de 2009 et maintenant les Assises d’Outre-mer en 2018, est encore empêtrée dans les errements du maintien d’une souffrance sociale permanente. Pourquoi les recommandations de 2009 sont restées lettres mortes au point de solliciter avec un succès bien moindre l’adhésion à une nouvelle campagne de réflexion.

A Mayotte comme dans l’ensemble des territoires d’Outre-mer, le déséquilibre social et économique endogène et exogène dans l’aire géographique génère les mêmes maux. Aussi bien en Guyane, en Guadeloupe, en Martinique, à la Réunion, dans le Pacifique, et en Nouvelle-Calédonie-Kanaky, l’acuité des crises sociales est à son comble.

©Ornella Lamberti / AFP

©Ornella Lamberti / AFP

La structure sociale à Mayotte comme dans tous les autres territoires d’Outre-mer souffre d’un double handicap. D’un côté ; la même discrimination d’une majorité des fonctionnaires européens de type caucasien s’exerce à l’égard de la population. Il n’y a pas d’homogénéité dans cette appartenance corporatiste sur l’unique critère épidermique, mais gare à celui qui s’en écarte car sa relégation est assurée. La survivance de relents coloniaux y trouve une forme de renaissance. Et l’autre fait marquant, est la pression des migrations économiques pour lesquelles l’Europe n’a pas trouvé de solutions. Elle est la même qui s’exerce sur des territoires dont la finitude insulaire, démultiplie les conséquences toutes aussi paradoxales de la part de la population locale.

L’affrontement de ce double défi donne l’impression à l’image de la chanson de Serge Gainsbourg, concernant la France pour les Outre-mer « Je t’aime moi non plus », une ambiguïté des relations. Prétendre porter l’idéal républicain et laïque de la patrie à l’origine de la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme et dans le même élan se comporter comme les esclavagistes d’antan, tel est le dilemme des européens vivants à Mayotte. Le fait que même le Front National adhère à la revendication sécuritaire de la population, démontre l’inanité du diagnostic. Là où il faut s’interroger sur un enjeu structurel de développement social et économique dans une aire géographique défavorisée, on oppose une vision conjoncturelle.

Personne n’est dupe du double jeu, la frustration est immense et le ressentiment profond, ce refus de la concorde sociale est vécu comme une violence, elle-même exercé à l’encontre des migrants économiques. Les représentants de l’Etat, Ministres des Outre-mer, Préfets, Magistrats, Polices, Cadres dirigeants hospitaliers, Chefs d’entreprises et une part des élites locales savent pertinemment comment se perpétue cet esprit colonial français qui reprend le dessus dès qu’ils sont en dehors de la Métropole.

©Georges Mérillon / Figaro Photo

©Georges Mérillon / Figaro Photo

Cet éloignement les exonère de leur conscience, car identitairement la supériorité tant vantée historiquement par le Code Noir et toutes les figures tutélaires de la culture française, Napoléon Bonaparte, Montesquieu, Jules Ferry, Victor Hugo et bien d’autres, hantent leurs mémoires. Le déterminisme des originaires des Outre-mer n’est pas différent des espérances des autres composantes de la Nation, comme la Corse, ou la Nouvelle-Calédonie Kanaky, seule leur expression diffère. L’usage de la violence physique et matérielle n’est pas l’apanage des Outre-mer, cette époque révolue n’est pas prête de resurgir sauf cas extrême.

Face à l’immensité des besoins, la réponse ne peut-en effet être le seul fait de la France en dépit de sa richesse relative. Elle ne pourrait être que le fait d’une véritable conception nouvelle des rapports entre pays riches et pays économiquement moins développés. En effet, à l’exemple de l’aide financière accordée par la France et la Communauté européenne à l’Union des Comores, le retard structurel reste constant. Manifestement, l’imaginaire fait défaut pour concevoir une nouvelle mutation statutaire avec une autonomie plus conséquente pour appréhender à égalité de chances les enjeux régionaux.

Car quand bien même que les financements, pour la santé, pour les écoles, pour les infrastructures, pour les transports, pour l’emploi et bien d’autres besoins fondamentaux seraient satisfaits, pourrait-on tarir l’aspiration des peuples démunis à ces marqueurs de bien-être. Est-il pensable d’interdire aux candidats à l’émigration économique de quitter leurs terres natales pour accéder à ces biens matériels ? Le rattrapage de Mayotte, à l’image des autres territoires d’Outre-mer tels que, la Martinique, La Réunion, la Guadeloupe, ou la Guyane, ne ferait qu’accentuer le déséquilibre régional. Seul un projet de co-développement de l’ensemble de l’archipel des Comores peut-être une esquisse de réponse.

©Ornella Lamberti / AFP

©Ornella Lamberti / AFP

Notre système économique mondial dominant est peut-être arrivé à son terme et il est urgent d’y consacrer une attention imminente.  N’est-il pas temps de mettre en œuvre la citation du Docteur Martin-Luther King : « Nous devons apprendre à vivre ensemble comme des frères, sinon nous allons mourir tous ensemble comme des idiots » ? L’énormité des capitaux à rémunérer ressemble à la « pyramide de Ponzi » l’insuffisance d’argent pour alimenter les intérêts pourrait engendre un crash boursier.

Un article dans Libération a souligné « quand les entreprises veulent conserver ou renforcer leurs rendements en période de recul économique, elles baissent les salaires, ce qui conduit les capitalistes à renforcer leurs activités spéculatives ». Ces sommes d’argent vertigineuses, stockées pour la majeure partie dans des paradis fiscaux n’alimentent pas l’économie réelle. Par conséquent, c’est le schéma classique elles ne sont pas investies dans la production et la création d’emplois.

Le capital pour emprunter une analogie est à l’image de cet ogre insatiable dévorant tout sur son passage, les femmes, les hommes, les enfants, la nature, car son redéploiement est à ce prix. Cependant si le prix est connu, les bénéficiaires tout autant veillent à ne pas se faire engloutir par ce monstre cybernétique. La question jusqu’à quand  Aujourd’hui plus que jamais, le système capitaliste ne trouve plus de perspectives pour conquérir des parts de marchés, à l’échelle micro économique, la destruction des services publics fondamentaux notamment en France tels que l’école ou le milieu hospitalier sont en passe d’être détruits pour offrir ce champ de redéploiement.

©Sipa Presse

©Sipa Presse

Et à une autre échelle macroéconomique, les guerres sont une autre forme pour générer des profits via les relations contractuelles entre les Etats en créant des flux économiques par le biais de la reconstruction. Sans vouloir endosser le rôle de la Pythie de Delphes, notre Monde est dans un état de délabrement idéologique et moral ou tous les peuples à des degrés divers sont dans une misère propre aux conditions sociales de leurs pays. Ces situations découlent des rapports structurels de pays dominés et dominants par le pillage des richesses avec la complicité active des dirigeants desdits pays.

Les fortunes infinies se terrent dans des cachettes virtuelles et privent une partie de l’humanité de l’essentiel. Si cette redistribution ne se manifeste pas que croyons-nous qu’il adviendra ? Il revient à chacun en son âme et conscience de laisser libre cours à son imaginaire sur les désastres que nul mur ne saurait endiguer. Il revient aussi à chacun de l’obligation de secouer son apathie et de peser sur les Gouvernements pour mettre y un terme.

Dans les Damnés de la terre, Frantz Fanon dit aux Africains « chaque génération doit dans une relative opacité, découvrir sa mission, la remplir ou la trahir ». Il n’est pas certain que le Paradis existe, mais on peut au moins essayer de lui donner corps…

Antony Etelbert, Docteur en Anthropologie et Ingénieur-urbaniste