Suicides en Nouvelle-Calédonie : Les violences conjugales, « un facteur de risque majeur »

Suicides en Nouvelle-Calédonie : Les violences conjugales, « un facteur de risque majeur »

A trois semaines d’intervalle, deux étudiants inscrits à l’université de Nouvelle-Calédonie mettaient fin à leurs jours. L’université a alors décidé d’organiser une conférence intitulée Prévenir le geste suicidaire le jeudi 8 octobre dernier. Cette soirée débat était animée par Grégoire Thibouville, psychologue clinicien, et le Dr Benjamin Goodfellow, psychiatre et chercheur au Centre hospitalier spécialisé (CHS) Albert Bousquet. Notre partenaire Actu.nc a interviewé les deux experts qui reviennent sur cette soirée de débat et la prévention du suicide en Nouvelle-Calédonie. 

Pouvez-vous nous résumer cette soirée débat ? 

Grégoire Thibouville, psychologue clinicien : « Après le suicide de deux de ses étudiants, l’Université a souhaité organiser cette conférence pour apporter des réponses aux étudiants et aux personnels et pour informer sur le suicide et le repérage des signes avant-coureurs tels que les changements de comportement, le repli sur soi, un certain mal-être… Nous avons insisté sur le fait qu’il ne faut pas hésiter à poser des questions directes. En général, on pose peu de questions aux gens qui vont mal alors que cela peut permettre de débloquer la parole. C’est un sujet très délicat mais il est important d’en parler et de tendre la main vers ceux qui vont mal. Au cours de la conférence, la parole s’est déliée chez certains étudiants qui ont témoigné penser au suicide, par exemple. Il est donc important d’organiser ces actions de prévention. »

Peut-on connaître les causes d’un suicide et les prévenir ? 

Dr Benjamin Goodfellow, psychiatre et chercheur au Centre hospitalier spécialisé (CHS) Albert Bousquet : « Le suicide est compliqué à comprendre et à analyser. Il est impossible de savoir les causes, on ne peut que parler de facteurs de risque. Il n’existe aucun modèle prédictif non plus. Tout cela rend très difficile la prévention du suicide. Nous ne pouvons que dégager des facteurs de risque et identifier des populations à risque. Par exemple, nous avons mené une enquête sur le suicide en Nouvelle-Calédonie et nous avons observé que les disputes sévères dans un couple étaient un facteur de risque majeur, tout comme les violences conjugales. C’est une particularité en Nouvelle-Calédonie, la proportion (60% des suicides concernent des personnes ayant vécu un conflit ou une rupture amoureuse) est surprenante par rapport à d’autres pays. Il faut donc cibler ces personnes vulnérables, qui ont des conflits dans leur couple ou qui sont impliquées dans des violences conjugales, et leur proposer de l’information et de l’aide. »

Vous nous parlez d’une enquête sur le suicide en Nouvelle-Calédonie, pouvez-vous nous en dire quelques mots supplémentaires ? 

Dr Benjamin Goodfellow : « Cette enquête est la première qui ait été menée sur le suicide dans les îles du Pacifique. Les données ont été collectées entre 2014 et 2015 et les résultats publiés en mars 2019. Nous avons pu, en particulier, déterminer la proportion des communautés. Sur les 75 personnes décédées par suicide, 56% étaient d’origine kanak. Ce qui n’est pas surprenant car il y a une surreprésentation des peuples autochtones dans les études sur le suicide à travers le monde (à Hawaii, au Canada…). Nous avons pu mettre en avant certains facteurs de risque, comme les conflits dans le couple ou les troubles mentaux. Nous avons déterminé également qu’il y avait une forte proportion de jeunes, entre 15 et 24 ans, des jeunes kanak surtout. »

Quelles recommandations pourriez-vous faire en termes de prévention du suicide ? 

Dr Benjamin Goodfellow : « En Nouvelle-Calédonie, beaucoup de choses ont déjà été faites. Il y a un psychiatre qui passe quotidiennement aux urgences. Comme les jeunes, et en particulier les adolescents, sont très vulnérables en Nouvelle-Calédonie, un Centre d’accueil et de soins pour les adolescents (Casado) a été créé. Il existe également une ligne d’écoute SOS écoute qui est un outil majeur pour la prévention du suicide.

Mais est-ce que les gens en détresse vont recourir à ces moyens d’aide ? C’est le point le plus important et le défi est de démocratiser ces outils de prévention. Aujourd’hui ce qui est d’ordre psy est soit banalisé (« oh c’est bon reprends toi en main et ça ira mieux ») soit stigmatisé (« les psychiatres c’est pour les fous »). Tout ce qui est en rapport avec la santé mentale fiche la frousse. Il faut que ça change.

Sinon, comme autres recommandations, on pourrait imaginer la création d’un observatoire du suicide pour enregistrer correctement les décès par suicide et les comportements suicidaires. En analysant les données, nous pourrions savoir les personnes les plus à risque, lorsqu’il y a des épidémies (la contagion est un des facteurs de risque) et si les moyens de prévention fonctionnent.

La restriction aux moyens est également un outil important dans la prévention. Un homme sur deux qui se suicide le fait avec une arme à feu. La restriction d’accès aux armes à feu est donc un moyen de prévention. Il peut aussi être intéressant d’effectuer de la prévention du suicide avec des outils culturellement appropriés. Il faut s’adapter au public concerné et à leur langage. Par exemple, utiliser les réseaux sociaux pour faire de la prévention et véhiculer des messages auprès des jeunes. »

Propos recueillis par Sylvie Nadin, pour Actu.nc

Besoin de parler ? 

« Au sein de l’université, une cellule d’accompagnement a été mise en place il y a deux ans, mais finalement, peu de gens la connaissent. La conférence a été l’occasion de rappeler son existence », indique Grégoire Thibouville. La Cellule d’accompagnement spécifique des étudiants (Case) de l’Université propose une permanence psychologique les mercredis et vendredis de 11h00 à 13h00 et les jeudis de 10h00 à 12h00. Il est possible prendre rendez-vous gratuitement par courriel à cellule_ecoute@unc.nc ou par téléphone au 290195.

La plateforme SOS écoute s’adresse quant à elle à toute personne en détresse psychologique, éprouvant des idées suicidaires et ressentant le besoin d’être écoutée et/ou d’être informée, conseillée et orientée. Il est possible d’appeler le 053030, gratuitement et anonymement, partout sur le territoire.

Grégoire Thibouville ©Facebook

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