Sébastien Lepers, un Calédonien magistrat à la Cour des comptes

Sébastien Lepers, un Calédonien magistrat à la Cour des comptes

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S’il assure avoir derrière lui un « parcours simple », Sébastien Lepers a pour lui un cheminement pour le moins hors du commun, entre sa Nouvelle-Calédonie natale, Nouméa, l’Île des Pins, Noisy-le-Grand et même la Corse, jusqu’à ses fonctions de Magistrat financier, Conseiller référendaire à la Cour des comptes. Avant de prêter serment ce mercredi 2 mai, Sébastien Lepers s’est confié à Outremers360 sur son parcours, ses missions et surtout, sur sa vision personnelle de l’avenir de son pays, la Nouvelle-Calédonie. « Si on pouvait transformer ce référendum en un « oui » au vivre ensemble, un « oui » au construire ensemble le destin de ce pays outre-mer, je serais le plus heureux des hommes », dit-il. Interview.

Vous serez officiellement, ce mercredi 2 mai, promu au grade de Conseiller référendaire dans le corps de magistrat financier de la Cour des comptes. Pouvez-vous nous raconter votre parcours ?

Mon parcours est assez simple. Je suis né à Nouméa. J’ai fait ma scolarité au Mont-Dore et une partie du collège à l’Île-des-Pins, pendant trois ans. Mes parents étaient hôteliers. Je suis reparti à Nouméa une année, en quatrième, en Internat à Rivière-Salée. Mon père a ensuite décidé que je poursuive ma scolarité en Métropole pour avoir une profondeur dans le cycle des études. Je suis arrivé chez ma tante à Noisy-le-Grand où j’ai débarqué en troisième, jusqu’au Bac B, sciences économiques et sociales. J’ai continué à l’Université de Paris-Est Marne-la-Vallée en sciences économiques mention gestion d’entreprise. Je suis allé jusqu’en Maîtrise.

À l’époque, il y avait encore le service national, j’ai donc été appelé sous les drapeaux et j’ai fait l’École des Officiers de réserve à Évreux pour devenir aspirant du contingent, c’est-à-dire, officier de réserve. Étant arrivé 11ème sur 130, j’ai réussi à choisir la Corse, « l’île de beauté », à défaut de pouvoir choisir la Nouvelle-Calédonie ou la Polynésie. Mais j’ai quand même pu choisir une île où j’y ai passé une année riche et extraordinaire, au contact des corses, retrouvant l’état d’esprit insulaire.

C’était au début de la professionnalisation des armées. On m’a proposé un contrat et j’ai accepté de rester au sein de l’armée de l’air. J’ai été affecté sur la base aérienne 943 de Roquebrune-Cap-Martin au sud de la France. Chef d’un service de 70 personnes, dans le domaine du soutien logistique, j’ai continué mes études en cours du soir, et obtenu, à l’Université de Nice Sophia-Antipolis, un DESS d’administration des collectivités territoriales. Mon objectif à l’époque était de retourner en Nouvelle-Calédonie pour pouvoir exercer des responsabilités locales. Ensuite, j’ai continué sur un Master 2 plus régalien : Police, sécurité et droits fondamentaux de la personne.

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L’article 15 de la déclaration universelle des Droits de l’Homme ©Outremers360

En 2004, à la suite d’une sélection interne, je suis devenu commissaire de l’air (puis commissaire des Armées) et j’ai rejoint la direction centrale du commissariat de l’air jusqu’en 2007, à Paris-Balard. J’ai ensuite approfondi mon cursus dans l’audit interne au sein respectivement du service d’audit de l’administration et des finances (SAAF), du centre d’audit administratif financier interarmées (CAAFi) et du centre d’audit des armées (C2A), premier organisme public à être certifié aux normes professionnelles et internationales d’audit, toujours à Balard.

Passionné par l’audit et convaincu de sa plus-value, je me suis ensuite inscrit dans une démarche de recherche universitaire en devenant doctorant à l’Université de Montpellier III. Je prépare actuellement une thèse portant sur la valeur ajoutée de l’audit interne dans le secteur public. De 2014 à 2016, j’ai rejoint la direction des affaires financières du Ministère de la défense, devenu Ministère des armées en 2017. Et c’est à ce moment que je postule pour intégrer le corps des magistrats financiers. C’est une sélection au titre des Armées, en application de l’article 4139-2 du code de la défense, qui permet de pouvoir être sélectionné et intégrer ce corps. Aujourd’hui, je suis donc Magistrat financier au grade de conseiller référendaire.

Est-ce le parcours type pour entrer à la Cour des comptes ?

Le « parcours type », la voie majoritaire du recrutement, c’est celui de l’école nationale d’administration (ENA). Et tout autour, il existe d’autres voies d’accès assez diversifiées : des nominations par la voie du tour extérieur pour les hauts fonctionnaires remplissant un certain nombre des conditions d’âge et d’ancienneté dans la fonction selon une procédure de sélection au choix du gouvernement, on peut aussi être recruté parmi les rapporteurs extérieurs de la Cour mais aussi venir des chambres régionales ou territoriales des comptes, et enfin il y a le recrutement militaire. Des personnes comme moi, qui viennent de l’université publique, du corps des armées et en plus des outre-mers, il ne doit pas y en avoir beaucoup.

En tout cas, Je suis ravi de servir cette noble et indépendante institution qu’est la Cour des comptes dont l’action s’inscrit pleinement dans l’esprit de l’article 15 de la déclaration universelle des droits de l’homme et du citoyen selon lequel chaque citoyen est libre de demander des comptes à son administration. Après avoir protégé le citoyen au travers de missions opérationnelles menées pendant 17 ans au ministère de la défense, je suis désormais motivé et fier de pouvoir l’informer du fonctionnement de son administration.

Vous êtes le seul Calédonien ?

Oui, sauf erreur, je pense être le seul, parmi mes collègues, à provenir de « l’île de lumière ».

Quelles sont vos missions au quotidien ?

La Cour des Comptes, c’est tout d’abord quatre métiers. Le premier métier, historique, est celui du jugement des comptes : ce métier fonde le statut de magistrat. Vous avez des instructions à mener se traduisant par la rédaction des rapports à fin d’examen juridictionnel. Il y a ensuite le métier d’examen des comptes et de la gestion : il faut analyser dans une administration publique, un ministère ou une administration d’État si les deniers publics sont utilisés de manière efficace, efficiente et économe. En d’autres termes, si les objectifs préalablement définis sont bien atteints et si la gestion est performante. Le troisième, c’est un métier récent, qui existe depuis 2006 au sein de l’administration d’État : la certification des comptes. En effet, la Cour des Comptes certifie les comptes de l’administration d’État et ceux de la sécurité sociale. Le quatrième métier, enfin, c’est celui de l’évaluation des politiques publiques.

C'est dans cette salle que Sébastien Lepers prêtera serment ce 2 mai ©Outremers360

C’est dans cette salle que Sébastien Lepers prêtera serment ce 2 mai ©Outremers3600

Il s’agit d’une mission de contrôle au long cours, s’étalant sur une durée plus grande que les contrôles organiques classiques (quelques années parfois) car on réalise vraiment des études d’impact en profondeur, impliquant toutes les parties prenantes, sur des sujets qui intéressent le citoyen, par exemple : la politique de lutte contre la pollution de l’environnement. Enfin, à compter du 2 mai, je vais découvrir un autre aspect de la vie de la Cour puisque je vais occuper les fonctions de directeur adjoint des relations internationales. Il s’agira pour moi de participer activement à l’activité internationale de la Cour à travers des actions de coopération bilatérale avec d’autres institutions supérieures de contrôle (ISC), des contributions aux travaux de normalisation internationale (Intosai, Eurosai, Eurorai, Ipsas Board, etc.) et dans le cadre de mandats d’audit externe d’organisations internationales.

En ce qui me concerne, en tant que magistrat, je passe mes journées à mener des analyses et des entretiens, selon le type de contrôle que je réalise. Par exemple, j’ai mené des contrôles portant sur des parcs nationaux. J’ai préparé ma mission en identifiant les axes de contrôle à retenir. A partir de cette grille d’analyse, j’ai examiné divers aspects de gestion (commande publique, ressources humaines, finances, budget, comptabilité, logistique, informatique, etc.). En parallèle à ces contrôles, je mène un travail juridictionnel en élaborant des rapports d’examen portant
sur des établissements publics évoluant dans le périmètre de contrôle de la chambre au sein de laquelle je suis affecté (transports, environnement, agriculture et énergie).

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J’ai également contrôlé un aéroport régional, plusieurs chambres d’agriculture, … Dans le cadre d’un contrôle, on mène des entretiens avec les directeurs généraux, les responsables des services financiers, … C’est un tour d’horizon très intéressant. Je pense souvent à mon premier contrôle en arrivant à la Cour portant sur une période de plusieurs années 2009-2016. En réponse au questionnaire, nous avons reçu 1 151 fichiers en une seule transmission, dont certains documents de 200, 300 voire 400 pages ! Un travail de fourmi commence, consistant à examiner chacun d’entre eux.

Concernant le contrôle du Parc national de La Réunion, quand pourra-t-on en prendre connaissance ?

Les observations définitives ont été transmises au Parc. Mais elles n’ont pas été rendues publiques. On est dans un dialogue confidentiel avec le parc et son ministère de tutelle. De plus en plus de rapports sont rendus publics pour que le citoyen puisse accéder à toute l’information nécessaire. C’est le cas des rapports publics annuels qui contiennent une sélection des rapports les plus intéressants de l’année passée. Il reste des cas où la Cour parle directement à l’administration notamment sur des sujets très techniques. Pour des contrôles effectués en série, une synthèse sur l’ensemble des organismes contrôlés pourrait faire l’objet d’une publication si des éléments étaient de nature à être considérés comme utiles à l’information du citoyen.

Quels sont les enseignements que vous avez pu tirer du Parc national de La Réunion ?

Ce que je peux dire, c’est que le Parc national de La Réunion a la spécificité d’être un parc situé outre-mer, comme celui de la Guyane et de la Guadeloupe. Il y a comme partout des pistes de progrès, mais ce n’est pas inhérent à ce parc. J’ai été frappé par la beauté du site et de sa nature. Sur place, j’ai senti beaucoup de personnes engagées dans la défense de l’environnement, sachant que le site est inscrit au patrimoine mondial de l’UNESCO. C’est un endroit reconnu dans le monde, avec beaucoup d’espèces endémiques, aussi bien animales que végétales. Il représente un bien commun de l’humanité, du citoyen. Il faut pouvoir préserver cette faune et cette flore qui constituent une richesse incomparable pour nos régions d’outre-mer.

©Île de La Réunion Tourisme / IRT

©Île de La Réunion Tourisme / Emmanuel Virin

D’un autre côté, on est sur une île de près d’un million d’habitants, avec une forte densité de population, des exigences de développement économique et l’idée est de pouvoir concilier développement, urbanisme et préservation de l’environnement. C’est tout le défi qui s’offre à tous les exécutifs locaux, à l’État. Nous sommes dans la même problématique en Nouvelle-Calédonie : on a le plus grand lagon du monde, une faune et une flore endémiques et exceptionnelles, nous sommes 300 000 personnes à habiter une île deux fois plus grande que la Corse. La problématique est de réussir une exploitation raisonnée et raisonnable des formidables ressources naturelles qu’offre le territoire.

Avez-vous tout au long de votre carrière à la Cour des comptes, des exemples d’administration, de collectivité locale exemplaire ?

Je n’ai pas de nom à donner. Mais une administration, une collectivité exemplaire et idéale serait une collectivité publique à la gestion efficace, efficiente et équilibrée à l’aune de l’état actuel de la dette publique. Cette collectivité proposerait au citoyen une administration moderne et ouverte dans le respect des lois et des règlements.

En Nouvelle-Calédonie, comme dans beaucoup d’Outre-mer, on observe beaucoup de décrochage scolaire, qui amène parfois les jeunes à la délinquance. Quel message pourriez-vous leur faire passer ?

Mon premier conseil va aux jeunes et aux parents : Je leur dirai de toujours conserver leur motivation intacte coûte que coûte. Ne jamais abdiquer. Il faut toujours avoir à l’esprit de progresser, d’améliorer son niveau de compétence, de connaissance et toujours avancer dans cette direction sans jamais faiblir. À un moment donné, vos qualités seront reconnues. On finit toujours par trouver le rayon de soleil ou l’ouverture d’une porte qui fait passer ce rayon de soleil. Il faut se tracer une feuille de route ambitieuse et tenter de la suivre pas à pas.

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Deuxièmement, si on a une opportunité, et qu’on en a envie, il ne faut pas hésiter à sortir de sa zone de confort en découvrant autre chose. Beaucoup de Calédoniens ne sont jamais allés à Nouméa. Et si on a l’occasion se présente, il faut franchir le pas. C’est peut-être un moyen de développer des compétences, de suivre une formation, de tomber amoureux d’un métier, de s’adonner à une passion…

Il en va de même si l’occasion de sortir de la Nouvelle-Calédonie arrive, il faut saisir cette chance. Il n’y a pas vraiment d’échec possible dans la mesure où, si l’opportunité saisie ne vous convient pas, elle reste une expérience par laquelle vous vous êtes enrichi. Il faut éviter d’être replié sur soi-même et s’ouvrir au monde, aux autres. Il faut se laisser aller à ses envies car souvent si des moments de doutes existent, il y a toujours le clin d’œil de la vie qui fait qu’on rebondit vers des horizons souriants.

La Nouvelle-Calédonie arrive à un tournant majeur de son histoire, avec le référendum prévu le 4 novembre. Quel regard portez-vous sur l’avenir de votre pays ?  

Je regarde ce moment avec beaucoup d’attention, j’ai un fort intérêt pour le sujet. J’ai vraiment un attachement fort, au-delà de la terre, avec tous les femmes et hommes de ce pays métissé par nature. J’ai grandi à Nouméa et habité à Robinson, au Mont-Dore, dans un quartier à forte communauté wallisienne et futunienne. Je m’y suis senti bien. Ensuite j’ai vécu sur l’Île-des-Pins, peuplée majoritairement de Mélanésiens : les Kuniés. Je m’y suis senti bien aussi. Mon père est un « zoreil » qui s’y est installé il y a cinquante ans et ma mère est une Calédonienne d’origine indonésienne. C’est ce métissage conjugué à mon expérience de vie qui font que j’ai un fort attachement envers toutes les communautés calédoniennes.

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Pour moi, toutes les solutions de paix sont des occasions à ne pas manquer. Si on pouvait transformer ce référendum en un « oui » au vivre ensemble, « oui » au construire ensemble le destin de ce pays d’outre-mer, je serais le plus heureux des hommes. Je préférerai une solution apaisée où toutes les communautés trouvent leur intérêt, une solution de type « gagnant-gagnant ». J’espère que ce référendum ne se transformera pas en une bataille de tranchée où les peurs sont ravivées, les uns sont montés contre les autres, alors que notre territoire dispose de tant d’atouts. Plutôt qu’un référendum qui divise, il nous faut un référendum qui rassemble, avec un objectif de construction d’un pays d’outre-mer qui puisse mettre en valeur les qualités du territoire : le nickel, le tourisme, la culture, l’agriculture, l’aquaculture, l’élevage, la culture,… En effet, toutes les cultures mélanésienne, polynésienne ou européenne doivent être valorisées. Chacune des communautés a une responsabilité envers l’autre, doit tendre la main à l’autre.