Rentrée scolaire 2018: Le difficile recrutement des enseignants dans les communes enclavées de Guyane

Rentrée scolaire 2018: Le difficile recrutement des enseignants dans les communes enclavées de Guyane

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Isolement, logements dégradés, problème de communication: chaque année, le recrutement et le maintien des enseignants dans les communes enclavées de Guyane, au bord des deux fleuves frontaliers, se fait avec difficulté, au grand désarroi des parents d’élèves.

Ces communes de langues maternelles amérindiennes ou créoles sont soit des bourgs de plusieurs milliers d’habitants équipés de quelques relais du service public et reliés au littoral par avion et pirogue à moteur, soit des hameaux de centaines de personnes accessibles après une journée de navigation ou plus. « A chaque rentrée, on se demande comment ça va se passer, s’il y aura des professeurs ou pas », témoigne Lydina, une mère de famille, à Grand-Santi, commune de l’ouest. Faute d’attractivité, « il y a un recours massif aux contractuels », et ce souvent en dernière minute, regrette Sarah Ebion, secrétaire académique du Snes-FSU. Ils représentaient en 2015 plus de 33% des effectifs guyanais.

Les mauvaises conditions d’accueil par les municipalités, l’insuffisance des moyens logistiques de l’Education nationale et les incompréhensions culturelles mutuelles entre les familles et l’école engendrent souvent une volatilité des enseignants. « Les enseignants se retrouvent toujours dans des logements délabrés, infestés de chauves-souris. En plus de l’isolement géographique, ils sont souvent confrontés aux problèmes de communication, de coupures d’électricité et d’eau. Et ils ne se sentent pas soutenus par leur hiérarchie et se considèrent oubliés », déplore le syndicat Se-Unsa Guyane. A l’automne 2016 à Camopi, bourg à plusieurs heures en canot du littoral, des instituteurs ont même quitté leur poste faute d’un logement décent.

Dans un rapport de 2017, la Commission nationale consultative des droits de l’Homme a aussi pointé les conditions difficiles des enseignants (« logement rudimentaire », « couverture téléphonique et numérique limitée, difficultés de ravitaillement »). Elle note que « le manque d’accompagnement des primo-arrivants est un facteur aggravant de la rotation des effectifs. Le choc culturel peut être important pour de jeunes enseignants non originaires des Outre-mer », en contact avec des populations souvent non francophones.

Portails cadenassés

Les familles ont pris l’habitude de cadenasser les portails d’entrée des écoles pour protester contre les reports de rentrée ou le manque de personnels éducatifs, ou pour réclamer que les mairies assurent des conditions d’accueil décentes (chasses d’eau fonctionnelles, savon, isolation des toitures).
« Quand on met un peu la pression au rectorat ça marche, mais après, il fait des recrutements à la va-vite », commente Lydina.

En 2017 à Camopi, « un prof a été absent pendant un mois sans remplaçant. Alors les enfants restent à la maison ou on les met dans les autres classes mais ils n’apprennent rien, c’est juste pour les garder », raconte Jérémie, père de plusieurs enfants. « On nous a donné le droit d’apprendre le français, d’étudier, mais on ne nous permet pas d’exercer ce droit ». A Trois-Sauts, localité la plus enclavée, 60 écoliers ont attendu deux mois et demi avant d’aller en classe, à la rentrée 2017. En juin, le syndicat Se-Unsa chiffrait à « 80 » le nombre de postes vacants dans le 1er degré pour les cinq communes fluviales, sur « environ 210 postes ».

Selon la préfecture, « une convention » a été signée il y a plusieurs années entre le sous-préfet délégué aux communes de l’intérieur et le rectorat, pour débloquer la situation. Mais pour le Se-Unsa, « les choses n’ont guère évolué. »Interrogé par l’AFP, le recteur n’a pas souhaité s’exprimer. Le manque d’enseignants pourrait s’aggraver puisque ces communes connaissent un fort accroissement démographique annuel (autour de 6%): les enfants en âge d’être scolarisés représentent souvent la moitié de la population.

La Collectivité territoriale de Guyane a annoncé l’ouverture dans deux ans du premier lycée à Maripasoula (10.000 habitants) et d’un collège à Taluen (250 familles) « avant 2022 ». Soit beaucoup de nouveaux postes à pourvoir. Selon une enseignante de Grand-Santi, une solution pourrait être apportée par les « jeunes des communes », « de plus en plus intéressés par l’enseignement ». Mais il leur est souvent « difficile » de « revenir » dans ces villages isolés, après avoir fait des études dans les agglomérations du littoral. L’académie de Guyane compte plus de 80.000 élèves pour 6.000 enseignants.

Avec AFP