Mayotte: le dysfonctionnement inexpliqué du service des migrations plonge de nombreux étrangers dans l’irrégularité

Mayotte: le dysfonctionnement inexpliqué du service des migrations plonge de nombreux étrangers dans l’irrégularité

©Lény Stora

A Mayotte, des dizaines d’étrangers dont les titres de séjour ont ou vont expirer, risquent de plonger dans l’irrégularité car ils ne ne peuvent plus accéder au servicedes migrations et de l’intégration, partiellement fermé sans raison officielle depuis mi-février et le début du mouvement de lutte contre l’insécurité.

Chaque jour, devant les grilles closes de ce qu’on appelle aussi le « bureau des étrangers » à Mamoudzou, ils sont des dizaines à patienter en vain. C’est le cas d’Ahmed, arrivé légalement à Mayotte en octobre, et détenteur d’un récépissé. Il est « devenu clandestin », a-t-il expliqué, n’ayant pu obtenir sa carte de séjour, en raison de cette fermeture partielle.
Ce Comorien diplômé d’architecture, travaillant sur des chantiers privés et publics, a perdu de nombreux contrats, n’a pu se rendre aux Comores pour le décès de son père et ne pourra pas voyager avec sa femme française et sa fille cet été, comme il l’avait projeté. « Je suis bloqué », déplore-t-il.

Fermé à la mi-février en raison du mouvement social, puis officiellement le 17 mars suite à une décision de la ministre des Outre-mer pour une durée initiale d’un mois et pour « des raisons d’ordre public » alors que le mouvement social contre
l’insécurité prenait une tournure anti-étrangers, ce service n’est toujours pas accessible.

Il « n’est ouvert que sur rendez-vous pour certains renouvellements (de titres de séjour, ndlr). Aucune première demande n’est reçue aujourd’hui », affirme Julien Kerdoncuf, sous-préfet en charge de la lutte contre l’immigration clandestine, renvoyant vers le secrétaire général pour d’autres précisions. Contacté à plusieurs reprises, ce dernier a refusé de s’exprimer sur le sujet et de motiver cette fermeture partielle.
Pourtant, « on a des personnes qui se retrouvent au centre de rétention administrative (CRA) car elles n’ont pu renouveler leur titre de séjour (…) Elles se sont présentées (devant le bureau des étrangers) et elles disent que c’est fermé », indique Méline Moroni, coordinatrice de la mission Accès aux droits du CRA. Selon elle, une à deux personnes par jour seraient retenues au CRA pour ce motif.
Selon une autre source proche du dossier, plusieurs centaines de renouvellements urgents, liés à des problématiques de santé ou d’emploi, ont cependant été traitées par la préfecture, alertée par le personnel médical et soignant ou les services de l’Etat concernés.

« aucune légalité »

Pour Me Marjane Ghaem, cette fermeture partielle « n’a aucune légalité » en raison « de l’atteinte au principe de continuité du service public ». L’avocate spécialisée en droit des étrangers estime que cette situation « prive certaines personnes de travailler », évoquant le cas « emblématique » d’une entreprise de restauration collective ayant dû licencier 20 personnes pour non-renouvellement de leur titre de séjour.
« Tous les jours, des personnes viennent nous dire qu’elles ont perdu leur travail », renchérit Solène Dia, responsable de la Cimade. Certaines ont des convocations mises par la préfecture mais, malgré cela, ne parviennent pas à accéder au service,
relate-t-elle. Solène Dia aborde également les problèmes liés à la rupture de la couverture maladie, notamment pour les « soins à domicile et les traitements de maladies chroniques, du coup arrêtés ».

Pour les demandeurs d’asile, « c’est très long mais les choses se font », que ce soit pour les primo-arrivants ou les renouvellements de titres, rassure Romain Reille, directeur de l’association Solidarité Mayotte. Le directeur ne connaît pas les raisons de la fermeture partielle mais suppose que c’est « par rapport à la population mahoraise, par rapport aux tensions dues aux arrivées trop massives d’étrangers en situation irrégulière sur le territoire ».
Etienne, réfugié du Congo, affirme qu’il n’a plus accès ni à une couverture maladie ni au RSA et qu’il ne peut déclarer ses impôts, n’arrivant pas à obtenir sa carte de résident.
Le collectif des réfugiés et des demandeurs d’asile de Mayotte explique que seules les urgences liées à l’emploi ou à la santé sont traitées par le bureau des étrangers et qu’il faut, souvent, passer par le biais d’une association ou d’un avocat pour
faire valoir ses droits.

Avec AFP