« Mayotte entre Covid-19, pauvreté endémique, échéances électorales et aspiration au droit commun », l’analyse de MLEZI MAORE et du Groupe SOS Jeunesse

« Mayotte entre Covid-19, pauvreté endémique, échéances électorales et aspiration au droit commun », l’analyse de MLEZI MAORE et du Groupe SOS Jeunesse

Dahalani M’houmadi, Directeur général de l’association MLEZI MAORE, acteur majeur de l’économie sociale et solidaire à Mayotte, et Maxime Zennou, Directeur général du Groupe SOS Jeunesse, font une analyse à deux mains de la situation de l’île aux Parfums en s’appuyant sur le dernier rapport d’activité de l’association notamment dans le contexte de crise du Covid-19 est l’occasion de mettre un focus sur le 101ème département français.

Posons d’abord le décor de « l’île aux parfums » entourée sans doute d’un des plus beaux lagons de la planète. Mayotte est située dans l’océan Indien entre Madagascar et la côte du Mozambique. Dans cet archipel de plus de 256.000 habitants, un habitant sur deux est de nationalité étrangère (recensement de l’Insee, réalisé en 2017). C’est là une donnée essentielle d’un territoire déchiré entre une tradition ancestrale d’accueil et de mobilité et un flux migratoire permanent perçu par la population comme un vecteur de trouble et de frein au développement.

Mayotte est de fait le département le plus pauvre de France avec 84% de la population qui vit sous le seuil de pauvreté. Plus de la moitié de la population a moins de 18 ans, faisant ainsi de ce territoire le plus jeune de France. Là ou ailleurs la démographie constitue une ressource naturelle et un investissement évident pour l’avenir, trop souvent ici les enfants semblent incarner un « péril jeune » ou une population à risques dont il conviendrait de se garder.

Mamoudzou, chef-lieu de Mayotte ©Reddit

Mamoudzou, chef-lieu de Mayotte ©Reddit

Il est vrai que les sources d’inquiétudes commencent avec l’habitat précaire et souvent insalubre. Un tiers des constructions sont des maisons en tôle, deux logements sur trois sont surpeuplés et trois ménages sur dix n’ont pas d’eau courante dans leur logement. Malgré tous les efforts des autorités, le déploiement à Mayotte des mesures barrières à la diffusion de la pandémie demeure une vraie gageure.

En 2018, près de quatre jeunes sur dix entre 15 et 29 ans ne sont ni en emploi, ni en formation, ni en études. La déscolarisation est précoce à Mayotte, elle atteint 27% à 19 ans, laissant place à l’oisiveté et à l’errance d’une jeunesse sans perspective.

Dans ce contexte, en appui des politiques publiques, les associations mahoraises jouent un rôle essentiel pour parer au plus urgent, combler les manques ou encore faciliter le déploiement des dispositifs imaginés ailleurs sans tenir nécessairement des singularités du territoire mahorais et pourtant essentiels pour construire un « vivre-ensemble » possible assurer une cohésion sociale toujours fragile.

MLEZI MAORE : acteur majeur du social et du médico-social à Mayotte

MLEZI MAORE, est une association mahoraise qui agit depuis plus de 17 ans aux côtés des plus fragiles. Fruit de la fusion de deux associations majeures du territoire, elle intervient auprès d’un public diversifié : de la petite enfance à l’âge adulte.

Fondée sur des valeurs communes de solidarité et de respect, les associations TOIOUSSI et TAMA ont uni leurs compétences en décembre 2016 sous un même étendard rebaptisé MLEZI MAORE, Prendre soin de Mayotte en Shimaore sur proposition des salariés eux-mêmes. 1er acteur associatif du département de Mayotte, MLEZI MAORE intervient aujourd’hui dans les champs du social, du médico-social et de l’économie sociale et solidaire.

L’association, membre du GROUPE SOS, compte 30 établissements et services organisés en 4 pôles : handicap, jeunesse, solidarité et animation de la vie sociale. Forte de ses 400 professionnels issus en majorité du territoire, l’association mène des actions au bénéfice de 10 000 personnes chaque année.

Face à la crise, l’association reste mobilisée

Depuis le 17 mars dernier et la mise en œuvre du confinement, la détermination des équipes de Mlezi Maore reste sans faille. Tous sont mobilisés pour assurer des actions de solidarité et d’intérêt général auprès des plus démunis. L’organisation de sensibilisation autour du respect des gestes barrières a permis de concourir à assurer la sécurité de tous durant cette période complexe. Le territoire doit faire face aujourd’hui à une pluralité de crises additionnées : une crise sanitaire (COVID, dengue, alimentation en eau), une crise alimentaire, une économique et une situation de crise sociale latente qui prend régulièrement la forme d’épisodes de violence qui insécurisent régulièrement le territoire.

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MLEZI MAORE, appuyée par les équipes du GROUPE SOS s’est vite réorganisée autour d’une « cellule de crise » animée par les cadres. Pour permettre aux équipes d’appréhender les modalités de gestion de crise, des formations ont été organisées, des Plans de Continuité de l’Activité (PCA) ont été élaborés pour chaque établissement et une Foire Aux Questions (FAQ) a été constituée par l’équipe des ressources humaines pour indiquer la conduite à tenir face aux problématiques RH suscitées par cette situation inédite. Enfin, la création d’un guide de gestion de crise commun à toutes les activités de l’association apporte une cohérence globale et commune à la gestion de crise en donnant des orientations et des outils aux acteurs qui y participent. On peut souligner ici le sang-froid, le professionnalisme et l’engagement des salariés qui a permis d’assurer une continuité indispensable des activités d’accompagnement ou de prise en charge des publics très fragilisés auxquels l’association s’adresse.

Malgré les difficultés sanitaires et compte tenu de la nécessité de poursuivre ou de reprendre un accompagnement auprès des personnes les plus fragiles, le retour progressif à un fonctionnement normal a été acté au sein de l’association avec cependant une vigilance maintenue. Il s’agit désormais de maintenir des mesures spécifiques permettant la préservation sanitaire des salariés et des publics : visite à domicile, accueil en établissement, hébergement, application des gestes barrières …

Le déconfinement pour le département de Mayotte n’a pas encore été définitivement décidé par les instances politiques locale et nationale mais MLEZI MORE doit au regard de missions, se préparer à la reprise progressive de toutes ses activités. Aussi dans cette perspective, l’association a réalisé un guide de sortie de crise qui recense et explicite les recommandations gouvernementales.

La ville de Tsingoni, sur l'île de Mayotte, en septembre. Photo Ali Al-Daher. AFP

La ville de Tsingoni, sur l’île de Mayotte, en septembre. Photo Ali Al-Daher. AFP

Ce nouveau guide servira de socle à partir duquel seront déclinés les Plans de Reprise d’Activité (PRC) de chaque établissement afin d’assurer une unité et donner des repères communs au sein de l’association. Si à ce jour, notre activité est rythmée par les orientations législatives et réglementaires, nous sommes d’ores et déjà disposés à accueillir de nouveau les personnes accompagnées au sein de nos établissements avec hébergement (Établissement de placement éducatif, Maison d’enfants à caractère social, Centre d’hébergement et de réinsertion sociale) en milieu ordinaire (Aide éducative en milieu ouvert, soutien aux mineurs non accompagnés, service des tutelles, …).

Il reste encore beaucoup à faire à Mayotte. Il faut dans le même temps traiter les problèmes, rattraper le retard et ne pas rester à la remorque des politiques publiques nationales ou des enjeux de la coopération interrégionale. Les candidats aux prochaines échéances électorales ont bien conscience de tous ces enjeux pour lesquels il faudra continuer d’élever encore la professionnalisation des mahorais tous secteurs confondus et de faire monter en compétence et en expertise de jeunes mahorais qui resteront ou reviendront sur le territoire. C’est là une vraie gageure qui passe ici comme ailleurs par l’éducation et par l’amélioration du dispositif de formation et par une politique globale de soutien à l’attractivité du territoire.

D’aucuns évoquent depuis longtemps un « plan marshall » … Il est vrai qu’à situation exceptionnelle des dispositions exceptionnelles seraient nécessaires. Pas seulement pour une mise à l’abri ou une mise à niveau. Mais pour un rattrapage sans lequel Mayotte restera durablement le second parent pauvre de nos outre-mer. Avec la Guyane. MLEZI MAORE poursuit inlassable son chemin. Prendre soin, éduquer, donner les mêmes chances à chaque enfant voilà notre leitmotiv pour aujourd’hui et plus encore pour demain.