« Les communautés amérindiennes de Guyane comptent aujourd’hui près de 10.000 personnes et que ces communautés sont concernées par un taux de suicide notamment parmi les jeunes, entre dix et vingt fois plus élevé que celui relevé dans l’Hexagone. Cette situation appelle à une réaction ». Ainsi s’ouvre la lettre du Premier Ministre à Mesdames Aline Archimbaud, sénatrice de Seine Saint Denis et Marie-Anne Chapdelaine députée d’Ille et Vilaine.
Le 30 Novembre 2015, au lendemain des attentats meurtriers et à l’ouverture de la COP 21, les deux parlementaires remettaient à la Ministre de l’outre-mer le rapport de leur mission. Le rapport fût peu médiatisé et un colloque se déroulera au Sénat le 12 Mai prochain pour en revisiter propositions et mises en œuvre.
Nous avons rencontré au Sénat Aline Archimbaud , sénatrice de Seine Saint Denis.
Vous ne connaissiez pas la Guyane, vous partiez à deux femmes pour un territoire difficile. Il vous a sans doute fallu beaucoup de détermination pour remplir votre mission ?
J’étais profondément touchée par ce fait : A 7000 km de Paris , sur une terre qui porte les exploits européens de la conquête spatiale, un drame stupéfiant, récurrent, et indigne d’un pays moderne, se joue dans le silence le plus complet : « une épidémie de suicides ». Le 10 Septembre nous partions pour le Haut Maroni et le haut Oyapock, entrant dans quinze jours de bras de fer pour pouvoir quitter Cayenne et vivre la situation en immersion.
Quand on connaît les barrières administratives qui protègent le sud guyanais et notamment le territoire de l’ININI et le parc national, ce ne dû pas être chose facile?
Il a fallu nous battre avec l’aide du préfet de Guyane, Eric Spitz, des membres du CCPAB, de Chantal Berthelot et Gabriel Serville, d’Antoine Karam et Georges Patient, tous quatre, parlementaires guyanais.
D’abord nous avons vécu les difficultés que tous rencontrent ici : l’immensité du territoire et les difficultés d’accès aux villages : le temps perdu en heures de pirogue, ou les coûts exorbitants d’avion… J’ai rencontré un femme médecin extraordinaire. Quand elle part à Camopi , ou à Petit Saut, elle passe des jours en pirogue pour une journée marathon de consultations dans le village. Nous sommes allées à Maripasoula, Antécum Pata, Twenké, Trois Sauts, Camopi… Le rituel était partout le même. Nous étions accueillies par les chefs coutumiers, commencions à parler et peu à peu le village se regroupait autour de nous. Nous avons rencontré beaucoup de doutes quant à notre mission : les sociologues, ethnologues, observateurs en tout genre se succèdent et cela ne sert à rien, il n’y a pas de suite. Les discussions avec les jeunes et les femmes ont été passionnantes.
Alors, avez vous compris pourquoi tous ces suicides ? On dit que c’est aussi lié à la tradition, aux croyances. Qu’il s’agirait d’une manière d’atteindre le bonheur ?
Ces drames déchirent la communauté. Quand nous sommes arrivées à Saint George, la veille il y avait eu deux suicides dont celui d’une femme de 20 ans. Nous avons vécu le drame de quatre jeunes filles qui sont allées acheter au Surinam pour l’ingérer, un désherbant interdit de vente en Guyane. Deux sont mortes, les deux autre sont gravement atteintes.
Nous avons bien sûr cherché à connaître quelles étaient les représentations de la mort et de se donner la mort. J’ai eu des discussions à huis clos avec des chamans et avec les autorités coutumières du CCPAB (Comité consultatif des peuples amérindiens et bushinengés). Les réponses sont différentes et parfois contradictoires selon les peuples amérindiens. D’abord s’impose de savoir si ces communautés ont encore un chaman, guérisseur mais aussi codificateur de l’intermédiation avec l’au delà.
Il n’y a plus de chaman Arawak ou Palikour seulement des guérisseurs.
Pour les Wayanas, il n’y a pas de vie après la mort selon le grand Man.
Pour les Tékos, les belles âmes montent vers le ciel bleu (sans divinités) et ceux qui se suicident restent dans les nuages.
Pour les Galibis, une forme de panthéisme régissant la vie, on suppose qu’une fois mort on rejoint les esprits.
Nous avons eu trop peu de temps pour aller plus avant, mais globalement le suicide est regardé par tous ces interlocuteurs comme une souffrance et un drame à combattre et dont il convient de rechercher les causes.
Alors , pourquoi ces suicides ?
Le passage à l’acte est souvent rapporté à un fait déclenchant identifié, une querelle, une négligence…Mais tous les interlocuteurs ont insisté sur la situation plus large du « mal vivre ».
D’abord pèse l’isolement géographique. Les échanges ne peuvent être que par le fleuve et en pirogues, même si des pistes existent à Maripasoula et Camopi. La réflexion sur les infrastructures en Guyane est loin d’être aboutie. Nous avons tenté de faire des propositions simples qui résoudraient quelques cas précis comme par exemple des rotations pour les médecins et les cellules psychologiques. Mais ce sont surtout les causes sociétales culturelles et les troubles identitaires qui sont à analyser.
Des progrès ont cependant été réalisés. Par exemple les enfants sont scolarisés, les communes reconnues ?
La côte seule est vraiment départementalisée. Les Amérindiens de l’intérieur ont été renvoyés au flou du territoire de l’inini. Les communautés vivent sur un fond de non droits, d’inégalité dans l’accès aux droits républicains : pas d’accès à l’eau potable souvent polluée par les effluents de mercure des orpailleurs clandestins , ni à l’électricité, pas d’internet, des centres médicaux en ruines… Un malaise vécu comme mépris.
Quant à l’école, les valeurs « républicaines hexagonales » ne sont pas toutes concordantes avec celles des traditions des peuples amérindiens . Jusqu’à 11 ans les enfants restent au village avec un attachement viscéral au clan, au village. A 12 ans, à partir de la 6°, ils doivent s’exiler à deux ou trois jours de pirogues de leur village soit en internat, soit dans des familles d’accueil peu formées ou peu motivées.
Votre rapport est parfois sévère à l’égard des structures scolaires ?
Il y a des choses simples à faire, par exemple régler la question de la collation de midi. Cela dépend des communes et de leurs efforts. A Camopi et Maripasoula cela n’existe pas encore. Les enseignants aux profils très variés, montrent parfois une non reconnaissance voire un mépris à l’égard de ces enfants. Or ces enfants sont déjà partagés entre leurs parents et l’évolution de la société qu’ils perçoivent comme inéluctable. Ils ont découvert la non bienveillance, le téléphone, les chaussures de marque. Quand ils reviennent au village souvent en situation d’échec, ils tournent en rond. Et ceux qui poursuivent et vont à Cayenne sont mal entourés. Le week end, ils errent dans la ville.
Vous avez fait 37 propositions dont nous aurons l’occasion de reparler à l’occasion du colloque du 12 Mai . Mais s’il fallait citer celles qui vous semblent primordiales, lesquelles seraient ce ?
Nous en avons classé 16 d’une absolue priorité. Je vous en cite quelques unes, toutes élaborées en s’appuyant sur le forces vives des communautés amérindiennes et notamment des femmes et des jeunes :
– Renforcer les dispositifs de prise en charge psychiatrique des personnes en crise suicidaire et des communautés impactées par un suicide et élaborer un programme de santé communautaire avec des équipes pluridisciplinaires
– Développer des politiques vigoureuses de lutte contre les addictions
– Réaliser dans les villages de l’intérieur les travaux d’infrastructures urgents
– Offrir un accès généralisé à une collation pour tous les élèves et régler les questions du week end pour les jeunes lycéens
– Développer un fond pour le développement d’activités dans les villages
– Garantir une offre régulière et abordable de transport par pirogue sur les deux grands fleuves
– Former les cadres amérindiens
– Reconnaître les cultures et langues amérindiennes et mobiliser les connaissances ancestrales immenses des Amérindiens concernant la forêt
Propos recueillis par Dominique Martin Ferrari
Crédits photos : Conseil Général de la Guyane
Outremers 360° est partenaire du colloque du 12 mai.