Lutte anti-nucléaire en Polynésie : « Il faudra plusieurs générations pour continuer ce combat-là », disait Roland Oldham, président de l’association Moruroa e Tatou

Lutte anti-nucléaire en Polynésie : « Il faudra plusieurs générations pour continuer ce combat-là », disait Roland Oldham, président de l’association Moruroa e Tatou

©Marie-Hélène Villierme pour Témoins de la bombe

Roland Oldham, décédé ce samedi à 10h50 (heure de Paris), était un des grands totems de la lutte anti-nucléaire. En 2010 dans les « Témoins de la bombe », il racontait son combat, la création de l’association Moruroa e Tatou, qui vient en aide aux victimes et vétérans du Centre d’expérimentation du Pacifique (CEP) ou encore, la dure place réservée à ceux qui osait s’opposer aux essais nucléaires.

Roland Oldham exprimait aussi ses inquiétudes pour les générations futures qui, face à des conséquences sanitaires et environnementales qui perdureront après les grandes figures de la lutte, devront prendre le relai pour que jamais l’État n’oublie les conséquences de ses 193 tirs nucléaires en Polynésie.

Témoignage de Roland Oldam dans le livre « Témoins de la bombe » (Bruno Barillot, Arnaud Hudelot, Marie-Hélène Villierme – Ed. Univers Polynésiens) :

« Je m’appelle Roland Oldham, président de l’association Moruroa e tatou, l’association des victimes des essais nucléaires français ici en Polynésie. L’association Moruroa e tatou a été créée en juillet 2001, mais mon implication contre les essais nucléaires date de bien plus longtemps. Tout jeune, j’étais complètement inconscient des conséquences des essais, mais j’ai participé à la première manifestation à l’âge de 16 ans avec mon ami Michel Buillard.

A l’époque, un homme politique français était venu à Tahiti, il s’appelait Mitterrand et nous étions assez inspirés par le discours qu’il tenait. Malheureusement quelques années après, quand il est devenu président, il a fait autant d’essais que les autres ! Au début, il y a une partie de la population qui s’est opposée mais la machine de propagande de l’Etat français était puissante… C’était dur d’être un opposant. Il faut être clair, l’installation des essais s’est faite par la corruption de nos hommes politiques. Beaucoup de nos décideurs, à cause de l’argent, ont participé à la bombe, même s’ils avaient des doutes. L’argent était assez convaincant.

Les rares hommes politiques qui se sont opposés aux essais nucléaires ont eu des mésaventures avec l’Etat français. Avant même que ne commencent les essais, Pouvanaa a Oopa a été arrêté, puis accusé, mis en prison et exilé pendant des années. S’opposer aux essais nucléaires était quand même assez risqué ! De plus, la France apportait son soutien à ces hommes politiques pour les faire élire et le parti politique majoritaire en Polynésie était celui qui soutenait la politique française ici en Polynésie. Par la suite, le cheval de bataille du parti indépendantiste, Tavini Huiraatira, était aussi l’opposition aux essais nucléaires, ce qui fait que l’indépendance était liée avec la protestation contre les essais nucléaires.

Dans les livres scolaires d’histoire, encore utilisés aujourd’hui dans les écoles, il n’y a qu’une page sur les essais nucléaires vantant le développement économique généré par l’argent de la bombe. On ne parle pas des retombées, ni des conséquences, ni des problèmes qui pourraient éventuellement arriver par la suite. Donc, il y a une machine de propagande qui est très puissante. En plus, il y a déjà 10 ans de cela, parler des essais nucléaires aux journalistes, c’était très difficile. Je me rappelle que dans la presse du lendemain ceux qui avaient osé parler des essais nucléaires étaient ratatinés dans les journaux comme pas possible. Il faut admettre les choses comme elles se sont passées, la propagande était tellement puissante que même le pouvoir religieux en Polynésie, au moins certains, ont adhéré parce que on parlait des retombées économiques. Mais ces retombées ont bouleversé la société polynésienne. Du jour au lendemain, nous sommes passés de notre vie polynésienne tranquille, à une société de consommation. Et ce passage n’a pas toujours bien été géré par la plupart de nos populations.

La mise en place de Moruroa e tatou n’a pas été aussi simple que ça, car en 2001, dans la société polynésienne, ceux qui disaient que le nucléaire n’est pas quelque chose de bon pour la société et pour l’environnement étaient considérés comme des anti-français et des indépendantistes. De l’autre côté, la majorité des personnes qui, pour des intérêts politiques et autres, soutenaient les essais nucléaires ont même fait la promotion des essais nucléaires « propres ». Ces termes utilisés par l’Etat français étaient repris par nos dirigeants de l’époque, notamment par Gaston Flosse.

©Marie-Hélène Villierme pour Témoins de la bombe

©Marie-Hélène Villierme pour Témoins de la bombe

Donc il nous a fallu expliquer aux victimes, à la population, que ce n’était pas une question politique et que les conséquences sur la santé concernaient tout le monde quel que soit son parti politique. C’était dans ce contexte que nous avons créé Moruroa e tatou. Mais aujourd’hui nos populations sont mieux informées, notamment sur les problèmes concernant la santé et l’environnement. Des personnes qui, à l’époque, n’étaient pas d’accord avec nous, se rendent compte que c’est un problème qui concerne toutes nos populations de Tahiti ou des îles. Aujourd’hui, tout homme politique digne de ce nom, se doit de se saisir de ce dossier sans faire de politique politicienne. Mais un problème subsiste : d’un côté, l’Etat laisse traîner le dossier des réparations par une loi de reconnaissance du bout des lèvres. L’Etat français a utilisé une formule qui a bien marché pendant 40 ans, c’est-à-dire qu’on achète et puis on fait les essais nucléaires, les gens ferment les yeux et adhèrent au mensonge. Cela a marché il y a 40 ans. Aujourd’hui, j’ai l’impression que l’Etat utilise cette formule qui marche. On voit nos hommes politiques surfer sur la vague de travail effectué par les associations pendant 10 ans, non pour faire que les victimes soient indemnisées, mais pour faire pression sur l’Etat français pour qu’il leur donne plus d’argent pour une politique corrompue sans projet pour la Polynésie. Ils vont voir la France en disant : « Donnez-nous de l’argent » et ils se complaisent, comme au cours des 30-40 ans du CEP dans l’assistanat et la corruption de ce peuple.

Ici, en Polynésie, il faudra plusieurs générations pour continuer ce combat-là. J’ai visité Moruroa pour la première fois, il y a 4 mois : on a peine à imaginer qu’il y a eu environ 150 essais souterrains à Moruroa et Fangataufa. Je pense que c’est la plus grande concentration d’essais nucléaires souterrains sur un atoll aussi petit. On se demande ce qu’il en sera de l’avenir, puisqu’il y a déjà des fuites que l’armée elle-même confirme.

Il y a une bonne partie de l’atoll de Moruroa qui risque de s’effondrer et on voit maintenant que les sommets des puits où on a stocké des déchets nucléaires – à l’air libre il y a encore quelques années, sont aujourd’hui sous l’eau. Les vrais dangers concernent des générations et des générations. Ici le Pacifique est un endroit où le sol bouge assez : il y a des séismes dans certaines régions de la Polynésie. On est en droit de se demander ce qu’il en sera demain. Je pense que le combat le plus important de Moruroa e tatou est de faire adhérer nos jeunes générations à cette prise de conscience. Les jeunes d’aujourd’hui sont plutôt préoccupés par les questions d’emploi et les questions économiques et nous avons du mal à les entraîner dans ce combat-là. Aussi nous travaillons au niveau éducatif, on se mobilise pour que la question des essais nucléaires entre dans les programmes scolaires et que nos jeunes soient de mieux en mieux informés, notamment par le recueil des témoignages qui garderont la mémoire de la période du CEP ».