Louise Peltzer, Nathalie Infante et Coralie Lancry © Titania Redon / Pascal Yuan / Laurenn Marc
À l’occasion de la Journée internationale des Droits des Femmes, ce 8 mars, Outremers360 publie aujourd’hui et demain des portraits de femmes interviewées dans le numéro spécial femmes d’Itinéraires d’outre-mer, « Des îles et des Elles », le magazine de SUEZ en outre-mer.
Pour commencer, rencontre avec la Polynésienne Louise Peltzer, spécialiste des langues du Pacifique, professeure des universités, ancienne ministre et petite-nièce du metua Pouvana’a a Oopa, mais aussi Nathalie Infante, directrice régionale de la Caisse des Dépôt Réunion Océan Indien, et enfin, la Martiniquaise Coralie Lancry, créatrice de la marque de cosmétiques Nateya.
Polynésie française : Louise Peltzer, pour l’amour des langues polynésiennes
Si préparer un doctorat en langues et civilisations polynésiennes ou passer un CAPES de tahitien est aujourd’hui possible, c’est en grande partie grâce à Louise Peltzer, première Tahitienne élue présidente d’université, poétesse à ses heures.
L’enfant qui allait à l’école en pirogue ne s’imaginait pas un jour présidente de l’Université de Polynésie française (UPF) ni ministre de la culture, de l’enseignement supérieur et de la recherche du gouvernement de Polynésie, d’autant que l’université n’existait pas encore à l’époque… Le destin de Louise semblait scellé : fille de cultivateurs, elle le serait à son tour. Sa curiosité et sa volonté farouche d’échapper aux dures conditions de vie de ses parents en ont décidé autrement. Louise Peltzer voulait apprendre et se rêvait institutrice.
Remarquée par son instituteur, M. Mallégol, qui lui obtient une bourse d’études, elle quitte son île de Huahine à 11 ans pour Tahiti. « Mes parents me disaient : le bac, c’est pour les Européens. Têtue, j’ai voulu leur montrer que j’étais capable de réussir à force de travail », se souvient Louise. L’enfant qui n’a jamais oublié les centaines de « je ne parlerai plus tahitien en classe » alignées dans ses cahiers d’écolière a eu envie de faire sien le pouvoir du verbe. Sans renier ses racines mais avec pour devise « le respect mutuel est le fondement de la véritable harmonie ».
En tahitien et en français
Pétrie de culture orale polynésienne, c’est dans l’Hexagone qu’elle découvre sa propre histoire en entendant parler de l’Institut national des langues orientales (INALCO). « Je parlais le tahitien, mais j’ai voulu l’étudier dans les règles académiques », explique-t-elle. Elle s’inscrit en Langues et Civilisations Océaniennes, suit des cours à l’Institut de phonétique de Paris et à la Sorbonne où elle soutient une thèse de linguistique en 1986. Quatre ans plus tard, de retour à Tahiti comme enseignant-chercheur dans le DEUG de Tahitien récemment ouvert par l’Université Française du Pacifique (devenue UPF), elle s’attèle à sa mission : construire une filière solide.
À un président d’université qui entendait supprimer la Licence, la professeure répond : « des Polynésiens bien formés en tahitien et en français seront les meilleurs ambassadeurs de la France dans le Pacifique ». L’argument fait mouche. En 2004, le parcours LMD (licence-master-doctorat) en langues et civilisations polynésiennes est une réalité. Louise Peltzer, avec l’enseignement des langues, participe ainsi au renouveau des cultures du Pacifique. Elle est à l’origine de la création d’un CAPES de tahitien, bilingue français-tahitien.
Son incursion en politique comme ministre lui donne une autre vision des besoins en compétences du Pays. Avec l’UPF, l’université de Bordeaux et le ministre de la santé, elle participe à la mise en place de la première année du concours de médecine. Lors de ses deux mandats de présidente de l’UPF, elle multiplie les coopérations internationales et régionales en signant des conventions avec les universités de Corte (Corse) de Bologne (Italie) et de Pékin (Chine).
Elle œuvre activement en faveur de l’insertion des jeunes diplômés en créant le Forum Étudiants Entreprises et le parrainage des majors de promotions par les entreprises polynésiennes. Elle donne aussi régulièrement des cours à l’université de Nouvelle-Calédonie, à l’université d’Hawaï et à l’INALCO. Aujourd’hui, fière du travail accompli, elle continue d’épauler les étudiants qui viennent à elle. « Passez vos diplômes, après faites ce que vous voulez mais ayez toujours foi en vous », leur glisse-t-elle volontiers, confiante dans les capacités de cette jeunesse.
La Réunion : Nathalie Infante, l’ouverture pour horizons
La curiosité pour moteur, le monde comme terrain de découvertes, la directrice régionale de la Caisse des Dépôts Réunion Océan Indien est une femme déterminée. Elle trouve ici l’occasion de revenir sur ses racines.
« J’ai grandi en région parisienne auprès de parents attentifs qui accordaient beaucoup d’importance à l’école et aux études. Comme notre famille était et est toujours dispersée entre La Réunion et l’Auvergne, j’ai eu la chance de me construire une culture riche de plusieurs origines. Je pense que cela m’a donné envie très tôt de découvrir le monde. J’ai eu la chance de pouvoir le faire, notamment grâce aux études. J’avais une vocation de diplomate, j’ai donc opté pour un DESS en relations internationales et une maîtrise de russe qui m’ont amenée à m’installer quelques années en Russie. Passionnant mais ça forge le caractère. J’ai plus tard passé le concours interne de l’ENA afin d’élargir mon horizon ».
Comment s’est déroulée votre carrière ?
J’ai d’abord travaillé comme rapporteur à la Commission des recours des Réfugiés, une juridiction administrative dépendant du Conseil d’État. Sa vocation était de statuer sur les recours des demandeurs d’asile qui avaient été déboutés par l’OFPRA. Les parcours humains chaotiques, la misère et la dignité des gens m’ont appris l’humilité. Énarque, j’ai été nommée au sein de l’Inspection générale de l’administration du ministère de l’Intérieur puis conseillère en charge des affaires européennes, de l’agriculture et de la pêche au cabinet du ministre en charge des outre-mer. Aujourd’hui, j’anime la direction régionale de la Caisse des Dépôts pour La Réunion et Mayotte. Avec mes équipes, je contribue à trouver des solutions de financement pour le territoire et ses politiques prioritaires, en particulier celle du logement social et de l’investissement des collectivités territoriales.
Qu’est-ce qui vous plait dans votre métier ?
Le contact avec les acteurs de terrains, le fait de participer à la réalisation de projets, le sentiment de soutenir des projets territoriaux au bénéfice de tous. Je suis également très attentive aux cercles de réflexion et aux initiatives qui sur le territoire contribuent à l’émergence de solutions collectives.
Vous êtes en poste à La Réunion depuis 2015. Que ressentez-vous en revenant sur l’île ?
La Réunion est l’île natale de mon père, mais c’est la première fois que j’y vis vraiment. Dans ma vie, j’ai toujours beaucoup voyagé. Peut-être ai-je eu besoin de m’interroger sur mes origines et sur ce territoire que je connaissais finalement peu. L’opportunité s’est présentée de venir y travailler grâce à la Caisse des dépôts, je ne pouvais pas laisser passer la chance d’apporter modestement ma pierre à l’édifice.
Avez-vous des conseils à donner aux femmes qui veulent faire carrière ?
J’aime beaucoup ces vers très connus de René Char : « Impose ta chance, serre ton bonheur et va vers ton risque. À te regarder, ils s’habitueront… ».
Martinique : Coralie Lancry, par amour de la cosmétique
A moins de 30 ans, la Martiniquaise a créé une marque engagée de cosmétiques à base de matières premières naturelles et locales. Retenez ce nom, Nateya…
La détermination est dans l’ADN de Coralie Lancry. Quand lycéenne, l’idée de créer ses propres produits cosmétiques à base de fruits germe dans son esprit, aucune marque de soins beauté martiniquaise n’existe. Passionnée de chimie, elle n’imagine pas créer son entreprise, mais se forme solidement. Après un cursus d’ingénieure Chimie et Formulation, une année de spécialisation en Cosmétologie Bio, et de cours à l’Isipca – la grande école des métiers du parfum, de la cosmétique et des arômes – Coralie rentre au pays avec dans ses valises des rêves intacts. La découverte de la cosmétique naturelle a été pour la jeune femme une véritable révélation lorsqu’elle a vu ses problèmes d’acné disparaître en quelques semaines, alors que les traitements classiques restaient inopérants… « Pour moi, il est plus concevable d’avoir à choisir entre des produits sains et efficaces ».
Des produits respectueux de l’environnement
Après plus de deux ans de réflexion, de recherches et d’essais, la nouvelle marque Nateya a fait son entrée sur le marché martiniquais avec une gamme de soins du visage à l’extrait naturel de goyave. Les produits sont disponibles dans plusieurs boutiques sur l’île et en ligne. Nateya est la contraction du mot « Nature » et « Kateya », un mot d’origine indienne qui signifie « trace de pas dans le sable », un bel hommage à la Martinique natale, terre de métissages. Proche de la nature Coralie a voulu s’engager sur des produits respectueux de l’environnement. Les ingrédients controversés, irritants ou nocifs sont exclus, l’emballage est recyclable et les produits sont certifiés non testés sur les animaux. Son ambition est de proposer des soins cosmétiques issus de matières premières 100 % locales.
Aujourd’hui, les ingrédients proviennent principalement de la Caraïbe (huiles végétales bio, actifs naturels…). La marque privilégie les circuits courts et se fournit exclusivement auprès de producteurs de fruits locaux. La promesse ? « Plus qu’une gamme de cosmétiques, Nateya c’est un art de vivre, une invitation au voyage ». Coralie entend surtout simplifier la routine beauté des femmes et des hommes en proposant des produits essentiels adaptés à tous types de peau. Dans les prochains mois, la gamme Guayashine à l’extrait de goyave devrait s’enrichir d’une nouvelle référence. A côté des développements produits, le développement du réseau de partenaires dans la Caraïbe s’amorce.
Sources d’inspiration
Quand on lui pose la question, Coralie avoue être inspirée par des femmes comme Hapsatou Sy, pour sa vision et sa ténacité, Justine Hutteau, pour sa simplicité et son engagement et Rihanna la chanteuse et femme d’affaires, audacieuse et anticonformiste. Ces modèles inspirants renforcent sa conviction que les femmes doivent aller au bout de leurs ambitions. « Croire en ses capacités et ne pas se laisser influencer est essentiel. Si vous savez ce que vous voulez, foncez ! Pour moi, tout est possible », conclut-elle.
Ne manquez pas ce dimanche les portraits de Valentine Bonifacie, qui a lancé le réseau des « Pionnières de Guyane », de la Mahoraise Anissa Aboudou, directrice de l’Environnement et de la Biodiversité, d’Annaïg Le Guen qui dirige le CRIOBE de Polynésie et de Claudy Lombion et sa start-up Tri a Kaz en Guadeloupe.