Histoire et Culture en Nouvelle-Calédonie : Alexandre Juster raconte « comment les Kanak ont accepté de partager leur destin »

Histoire et Culture en Nouvelle-Calédonie : Alexandre Juster raconte « comment les Kanak ont accepté de partager leur destin »

Après s’être intéressé aux 101 dates historiques de la Polynésie française, Alexandre Juster a publié, fin 2018, L’Histoire de la Nouvelle-Calédonie en 101 dates, une suite logique pour l’ethnolinguiste passionné par les îles du Pacifique. 

Un « outil simple, pas cher et qui s’adresse à tout le monde pour avoir un aperçu de toute l’Histoire de la Nouvelle-Calédonie ». C’est en ces mots qu’Alexandre Juster décrit son ouvrage. L’ethnolinguiste admet un travail « plus complexe et compliqué » que l’Histoire de la Polynésie en 101 dates, le poussant à être plus grave, plus sobre, plus centré sur des dates politiques. « J’ai souhaité poser les choses de manière neutre, voir comment mieux apprendre la situation en Nouvelle-Calédonie en regardant comment les Kanak ont accepté de partager leur destin », dit-il. L’Histoire de la Nouvelle-Calédonie en 101 dates est disponible, à Nouméa, dans la librairie Caledo Livres. En attendant, la rédaction d’Outremers360 a posé quelques questions à l’ethnolinguiste.

Même si l’exercice peut paraître difficile, et sans être réducteur, si vous pouviez retenir cinq grandes dates de l’Histoire de la Nouvelle-Calédonie, quelles seraient-elles ? 

L’arrivée du peuple austronésien qui a formé par la suite cette culture kanak pendant des millénaires. On est à environ -1000/1100 avant JC. C’est ce peuple qui s’est adapté au territoire, qui a forgé le territoire en créant des tarodières, en modelant le territoire et en s’accaparant au fur et à mesure la chaine centrale.

Deuxième grande date pour moi, sans que ce soit des dates officielles : c’est le statut de l’indigénat de 1887. Un statut qui a fini de mettre en pièce ce que l’administration coloniale avait déjà commencé en bouleversant le paysage coutumier kanak : création de réserves, déplacement et regroupement de différentes tribus qui n’avaient rien à voir ensemble au départ. C’est l’époque où on s’est arrogé le droit de remodeler le paysage et les alliances politiques locales. C’est un statut incompréhensible car il créé des êtres à part. Et le gouverneur s’arroge les pouvoir judiciaires, législatifs et exécutifs. Il y avait un couvre-feu imposé, les kanak n’avaient pas le droit de rester à Nouméa le soir, ils devaient payer l’impôt de capitation et verser tous les ans une certaine somme en nature ou en monnaie. Ce statut a duré jusqu’à la fin de la seconde guerre mondiale.

Alexandre Juster ©Outremers360 (Archives)

Alexandre Juster ©Outremers360 (Archives)

Troisième grande date : juste après la seconde guerre mondiale, quand les catholiques et protestants vont former deux associations chacun de leurs côtés et qui vont accueillir et former une élite politique kanak, qui va ensuite prendre son destin en main. On va voir très vite les premiers élus kanak. Maurice Lenormand va prendre sous son aile des kanak et les former, les mettre au-devant de la scène politique.

Finalement, la religion, qui a été un des moyens de la colonisation, a aussi permis une émancipation des Kanak ? 

Oui mais pour contrer un parti communiste qui était en train d’être fondé. Les deux religions principales se sont élevées contre ça en formant leur association.

Je reviens sur les cinq dates. La quatrième, c’est tous les événements des années 80 avec la date importante : 1988, la signature des Accords de Matignon-Oudinot qui ont ramené la paix sur l’archipel. Il y a eu beaucoup de compromis qui ont ouvert un espoir de sortir de cette crise par le haut en fixant un référendum et en restreignant un corps électoral. C’est très important pour la France, pays républicain et démocratique, qui a accepté de limiter un suffrage à un corps donné, sous l’égide de l’ONU.

En mai 2018, le président Emmanuel Macron avait restitué les actes de Possession de la Nouvelle-Calédonie, lors d'une visite sur l'archipel ©Ludovic Marin / AFP

En mai 2018, le président Emmanuel Macron avait restitué les actes de Possession de la Nouvelle-Calédonie, lors d’une visite sur l’archipel ©Ludovic Marin / AFP

La cinquième grande date, c’est la restitution des actes de possession. La France enfin reconnait qu’on peut confier à un territoire, aux Calédoniens, son Histoire. Ce n’est pas vraiment une restitution d’ailleurs, c’est un prêt, ces actes appartiennent encore à Paris. Mais tout ce qui concerne l’Histoire de la Nouvelle-Calédonie est implanté localement. On n’a plus besoin d’aller à Aix-en-Provence. On considère enfin que ces anciennes colonies sont assez matures pour avoir retrouvé leur Histoire. C’est très symbolique. Selon moi, le référendum n’est pas un but, c’est une étape dans l’Histoire calédonienne.

Il y a 27 langues kanak : comment les communautés kanak étaient organisées ? Est-ce qu’elles échangeaient entre elles ? On parle beaucoup de guerres entre les clans, les tribus… 

Il y avait peut-être plus que 27 langues, ou moins même, on ne peut pas savoir. Certaines langues sont mortes. On suppose que les populations kanak, contrairement à ce que l’on peut penser, avaient beaucoup de liens entre elles. En effet, on allait chercher son épouse à l’extérieur et on la ramenait à la maison : on était forcément obligé de connaitre la langue de son épouse et les enfants était obligé de connaitre les deux langues. Il y avait beaucoup de liens entre les différentes îles calédoniennes mais aussi avec les autres îles du Pacifique : avec le Vanuatu, les îles Salomon, … Le peuple kanak est aussi un peuple de navigateurs, pas forcément des horticulteurs ou des gens de la terre et les échanges étaient incessants avec les îles de la zone. Et c’était aussi un peuple accueillant envers les apports extérieurs : d’Uvea (Wallis), de Futuna, des Tonga.