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Dans le village isolé d’Apagui, dans l’ouest de la Guyane situé sur le fleuve Maroni, sans médecin permanent, à deux heures de pirogue et une heure d’avion de Cayenne, les « missions pirogues » sont essentielles: deux jeudis par mois, des dizaines d’habitants de cette localité peuvent être reçus en consultation par une équipe dépêchée de Grand Santi, commune de l’ouest guyanais dont elle dépend.
Il est 9H00 dans le village isolé d’Apagui, dans l’ouest de la Guyane. Depuis bientôt deux heures, les mamans les plus matinales attendent l’arrivée de l’équipe médicale qui vient deux fois par mois du centre de santé le plus proche, situé à 1H30 en canot à moteur. A l’abri du soleil, dans le couloir de l’école du village, une quinzaine de mamans sont assises sur des chaises d’écoliers, leurs enfants sur les genoux, au sein ou à proximité, carnets de santé en main. Les consultations se passent toujours à l’école.
De la pirogue débarquent un interne, deux infirmières dont une spécialisée en protection maternelle et infantile, et une agente hospitalière. L’équipe décharge une table d’auscultation, des médicaments, vaccins, un ordinateur et un paravent pour préserver l’intimité. Le tout est transporté jusqu’à l’école avec un engin à remorque motorisé, adapté au sol en terre battue.
« C’est important que le docteur vienne ici, ça m’évite de dépenser de l’argent pour prendre la pirogue et c’est plus sûr car le passage des rapides est dangereux », témoigne Bianca, jeune maman de quatre enfants.
« Ça coûte 75 euros de gasoil aller-retour », ajoute Marciano, collier et montre dorés clinquants et père de 11 enfants. Il accompagne sa femme « enceinte de cinq mois » mais affaiblie par la fièvre.
Depuis 2014, le centre hospitalier de Cayenne organise ces « missions pirogues », qui amènent une à quatre fois par mois des équipes médicales dans les hameaux isolés. Des soins qui bénéficient chaque année à 2.400 habitants. « Notre plus grosse activité ce sont les vaccinations pour les adultes et les enfants. On amène aussi les sachets de médicaments pour les malades chroniques et il y a aussi la bobologie », liste Nathan, interne formé à Lille et en Guadeloupe, qui encadre la mission.
Les nourrissons sont pesés, mesurés, et vaccinés si nécessaire. En cinq heures, 50 consultations, essentiellement pour de jeunes enfants et des seniors, sont assurées à un rythme soutenu.
Sous-effectif
Dans la file d’attente, les parents s’expriment timidement en français, leur langue maternelle étant le ndjuka, langue créole du Moyen Maroni. Grand-Santi est l’une des communes de ce bassin de 7.000 habitants répartis au fil de l’eau sur une centaine de lieux-dits. Ici, on est principalement agriculteur, pêcheur, chasseur et allocataire des aides d’État.
« Quand l’équipe médicale est au complet on arrive à s’organiser, mais jusqu’à janvier dernier on a eu de longues périodes de sous-effectif ce qui nous a empêchés de faire les missions pirogues », déplore Béatrice Pesna, cadre de santé à Grand-Santi.
Selon elle, ces ruptures dans l’offre de soins « posent problèmes » car le suivi des patients est « moins bon ».
Pour Georges Antéima, chef du village d’Apagui de 64 ans, il est temps d’ouvrir « une petite maison pour installer un docteur en permanence ».
L’accès aux spécialistes est encore plus complexe. Les patients sont obligés de faire plusieurs heures de pirogue ou un déplacement en avion pour voir un pédiatre, un infectiologue ou un dentiste.
« Les spécialités qui nous font le plus défaut sont la gynécologie et l’ophtalmologie », confirme la direction des centres de santé. « L’ophtalmologue est venu il y a deux mois, mais avant ça, on avait attendu 12 ans », regrette Adèle, agent de santé de Grand Santi.
Avec « 71 praticiens actifs, dont la moitié de spécialistes, pour 100.000 habitants », la Guyane est très loin de la moyenne nationale (201), notait en 2017 la Commission nationale consultative des droits de l’Homme (CNCDH) dans un rapport.
Elle y relevait que les populations autochtones de l’intérieur de la Guyane étaient « particulièrement exposées aux risques sanitaires faute de structures adaptées pour leur prise en charge ».
Avec AFP