Le village de Twenke, sur les rives du fleuve Maroni en Guyane ©Jody Amiet / AFP
« Je veux juste voir l’eau redevenir plus propre ». Dans le petit village de Twenké, dans le sud-ouest de la Guyane, le Grand Man Amaï Poti, chef suprême des Amérindiens wayanas, est amer face à l’orpaillage illégal qui pollue le Maroni et rend la consommation de poissons dangereuse.
Assis à l’entrée du village, près du drapeau français et d’une boîte aux lettres jaune de la Poste, il regarde d’un œil las la rive voisine du Suriname, à quelques centaines de mètres, d’où viennent les orpailleurs clandestins, les garimpeiros, la plupart brésiliens. A 75 ans, Amaï Poti, short gris et tee-shirt blanc, est « fatigué » de réclamer depuis des années la même chose et d’ « écouter les promesses », dit-il en langue wayana, traduit par sa petite-fille Pauline.
C’est à Twenké, village d’environ 60 habitants, mais aussi à Taluen, village wayana voisin d’environ 250 personnes, que Nicolas Sarkozy s’était rendu en 2012, pour annoncer un renforcement de la lutte contre l’orpaillage clandestin. Et c’est dans ce secteur, qui appartient au parc naturel amazonien de Guyane, qu’il y a deux ans, plus de 80 sites d’orpaillages illégaux ont été recensés, explique Laurent Kelle, du WWF Guyane.
Ici la population vit tournée vers le fleuve. Même si ces villages disposent de points d’eau potable collectifs, c’est dans le Maroni qu’on se lave, qu’on pêche, et c’est le seul moyen de se rendre à Maripasoula, la commune la plus grande de France, dont ils dépendent, à une heure de pirogue minimum. Mais « quand on se lave, ça donne des maladies corporelles », assure le Grand Man. « Souvent nous avons des démangeaisons sur la peau », confirme Tilimoike Ajelatan, agent municipal de l’ « annexe mairie » de Taluen.
Pour le docteur Rémy Pignoux, du centre de soins et de prévention de Maripasoula, ces démangeaisons sont liées à la forte turbidité de l’eau, causée par le rejet dans le fleuve des terres lessivées par les garimpeiros pour trouver de l’or.
Poissons contaminés
En pirogue sur l’Inini ou la Lipolipo, deux petits confluents du Maroni, la « triste ligne de démarcation » entre les eaux très marrons et d’autres plus claires traduit la présence de sites d’orpaillage en amont, montre Laurent Kelle. Autre pollution très visible, les ordures déversées sans contrôle le long des rives surinamaises par les nombreuses bases de ravitaillement des garimpeiros, transforment le Maroni en décharge sauvage.
Mais ces eaux sales cachent un poison plus insidieux, le mercure, qui bien qu’interdit en Guyane, est utilisé par les orpailleurs pour amalgamer les paillettes d’or. Il faut 1,5 kg de mercure pour un kilo d’or. « Pour aller plus vite, les orpailleurs en utilisent jusqu’à quatre fois plus », explique Laurent Kelle. Ils chauffent ensuite le mercure, qui va s’évaporer et se disséminer dans la nature. Il s’ajoute alors au mercure déjà présent à l’état naturel dans le sol guyanais et qui, réactivé par le lessivage des sols, se retrouve dans les rivières, où il se concentre dans l’organisme des poissons, base de l’alimentation des populations amérindiennes.
Un tiers de la pollution mondiale au mercure vient de l’orpaillage, explique Laurent Kelle. Le WWF va lancer un grand programme transfrontalier d’élimination de l’usage du mercure dans les mines, avec le Suriname et le Guyana. « On se donne quatre ans », dit-il. Le mercure est surtout dangereux pour les femmes enceintes. Il peut entraîner des malformations du fœtus et des troubles du développement cognitif pour l’enfant, explique Remy Pignoux, auteur d’une étude qui a montré une forte sur-imprégnation de ce produit chez les autochtones du Haut Maroni.
Garimpeiros tenaces
Mais les taux ont baissé chez les femmes enceintes depuis sept ans, après une grande campagne d’information. Sur les portes du centre de santé de Taluen des affiches rappellent que les futures mamans doivent renoncer à manger l’Aymara, l’Acoupa ou le « Jamais gouté ». « On n’a plus le droit de manger les bons poissons », résume Pauline, 20 ans et à bientôt huit mois de grossesse. Quant au gibier, il se raréfie avec la concurrence des garimpeiros, qui « chassent même des animaux qu’on ne se permet pas de manger ».
Et dans les « abattis », leurs parcelles agricoles en forêt, « certains se font voler les potagers, les bananes, les patates douces », déplore le Grand Man. Car depuis peu, les militaires français qui occupaient un poste de contrôle à Taluen, « sont partis, on n’est plus en sécurité ». Les orpailleurs sont « tout autour », armés et dangereux, insiste Amaï Poti. A moins de 20 minutes de pirogue, Yaopassi, la base de vie des orpailleurs sur la rive surinamaise, qui offre ravitaillement, prostituées, alcool et drogue aux orpailleurs et à toute la population amérindienne, n’est pas faite pour le rassurer. « Il faut arrêter tout ce qui permet aux Brésiliens de travailler, s’attaquer à la logistique », estime le Grand Man. Mais il le sait, les garimpeiros sont tenaces. « Chez nous, on les appelle les fourmis ».
Avec AFP.