EXPERTISE. Violences faites aux femmes : la protection par le port d’un bracelet anti-rapprochement par Patrick Lingibé

EXPERTISE. Violences faites aux femmes : la protection par le port d’un bracelet anti-rapprochement par Patrick Lingibé

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Le 5 mai dernier, la Ministre des Outre-mer Annick Girardin et la Secrétaire d’État auprès du Premier ministre, chargée de l’Égalité entre les femmes et les hommes et de la Lutte contre les discriminations, Marlène Schiappa ont rappelé les multiples dispositifs nationaux de lutte contre les violences conjugales (permanences et numéro d’écoute, plateforme de signalement.)
Dans cet article, Maître Patrick Lingibé fait le point sur un autre dispositif de lutte : le bracelet anti-rapprochement.

L’étude nationale sur les morts violentes au sein du couple 2018 réalisée par la délégation aux victimes fait apparaitre que les femmes sont les premières victimes des violences au sein du couple : 121 femmes victimes de leur partenaire, 21 enfants tués dans le cadre de violences au sein du couple parental, 28 hommes victimes de leur partenaire de vie et 10 victimes collatérales et rivaux. Suivant cette étude, en 2018, 231 décès trouvent leur origine dans les violences au sein des couples.
A ces chiffres édifiants, s’ajoute une inégalité territoire mis en exergue par le rapport d’information au nom de la délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes et de la délégation sénatoriale aux outre-mer sur les violences faites aux femmes dans les outre-mer établi le 3 mars 2020 par les sénateurs Annick Billon et Michel Magras. Selon ce rapport, il apparaît que ces violences sont plus fréquentes et plus graves dans les outre-mer. Ainsi, en 2018 le taux de morts violentes au sein des couples pour un million d’habitants était de 14,2 pour la Polynésie française, de 7,4 pour la Guyane, de 5,2 pour la Martinique, de 4,6 pour La Réunion et de 3,1 pour la Nouvelle-Calédonie alors que la région hexagonale présentant le plus haut taux, la région des Hauts-de-France, se situait à 3,1.
Le présent article traite de l’un des nouveaux outils de protection des victimes de violences : le bracelet anti-rapprochement.

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Comment éviter que votre conjoint ou partenaire violent s’approche à nouveau de vous ?

La loi n° 2019-1480 du 28 décembre 2019 visant à agir contre les violences au sein de la famille prévoit, entre autres mesures, la mise en place du bracelet anti-rapprochement, aussi appelé BAR. La France s’inspire ici du modèle espagnol, où les féminicides ont baissé de manière significative depuis la mise en place du bracelet anti-rapprochement. 1350 femmes sont aujourd’hui protégées par un bracelet anti-rapprochement et aucune espagnole bénéficiant du dispositif n’a été tuée.

Le bracelet anti-rapprochement, qu’est-ce que c’est ?

Le bracelet anti-rapprochement est un dispositif composé d’un bracelet électronique permettant de géolocaliser l’ex-conjoint, concubin ou partenaire violent et d’un boitier que vous possédez, en tant que victime. Le porteur de ce bracelet anti-rapprochement est géolocalisé en permanence, et l’objet déclenche un signal si le périmètre d’éloignement de la victime, fixé par le juge, n’est pas respecté. En d’autres termes, le bracelet anti-rapprochement vous permet d’être informée lorsque votre ex-conjoint, ex-concubin ou ex-partenaire s’approche de vous. Si ce dernier pénètre dans une « zone interdite », une alarme se déclenche de manière automatique et les forces de l’ordre peuvent intervenir. La « zone interdite » c’est le périmètre d’éloignement décidé par le juge. Ce dernier peut également interdire à l’agresseur potentiel de se rendre dans certains lieux comme à votre domicile ou sur votre lieu de travail. En cas d’alerte, vous pouvez alors vous mettre à l’abri.

Un dispositif à deux volets

La loi prévoit l’utilisation du bracelet pour des agresseurs déjà condamnés ainsi que pour ceux poursuivis pour des violences et dont on peut craindre un nouveau passage à l’acte. La personne violente doit avoir été condamnée à au moins trois ans d’emprisonnement. Lorsque vous déposez plainte à l’encontre de votre conjoint, votre concubin ou votre partenaire pacsé, l’officier ou l’agent de police judiciaire qui reçoit votre plainte doit vous informer de votre possibilité de demander à bénéficier du bracelet anti-rapprochement.

Le nécessaire consentement du conjoint violent

Le bracelet peut être autorisé au pénal comme au civil, mais avec le consentement des deux conjoints, soit également celui de l’auteur des violences, pour éviter tout risque d’inconstitutionnalité. Vous pouvez demander le port du bracelet au juge pénal à titre de peine mais également avant tout jugement pénal dans le cadre d’un contrôle judiciaire, ou en dehors de toute plainte, dans le cadre civil d’une ordonnance de protection. Dans ce dernier cas, la mesure est alors préventive. L’ordonnance de protection est une mesure d’urgence permettant d’assurer votre protection en tant que victime de violences conjugales. La demande s’effectue auprès du juge aux affaires familiales que vous pouvez saisir avec l’aide de votre avocat. Le procureur de la République est également compétent pour saisir le juge, avec votre accord.


Si le port du bracelet est soumis au consentement du conjoint, concubin ou partenaire violent, sachez que ce dernier a tout intérêt à l’accepter. Au pénal, le port d’un bracelet anti-rapprochement lui évitera la détention provisoire. S’il est déjà condamné, et qu’il accepte de porter l’objet, il pourra bénéficier d’un aménagement de peine. Sur le plan civil, même idée puisque son refus sera considéré comme une violation de ses obligations permettant au juge aux affaires familiales de transmettre le dossier au procureur de la République qui décidera de l’opportunité ou non d’engager une action pénale. Le bracelet anti-rapprochement présente également l’avantage d’apporter la preuve judiciaire que la personne violente n’a pas respecté ses obligations.

Un dispositif complémentaire au téléphone grave danger

Le téléphone grave danger (TGD) permet à une femme victime de violences conjugales d’alerte lorsqu’elle voit son agresseur potentiel près d’elle. Ce dispositif laisse une plus grande liberté d’action aux femmes victimes de violences. En effet, ce sera à vous de décider d’appeler à l’aide ou non. Toute la responsabilité de l’alerte repose donc sur la victime de violences.

Techniquement, il s’agit d’un téléphone portable disposant d’une touche dédiée vous permettant de joindre un service de téléassistance 7 jours sur 7 et 24 heures sur 24. La plateforme téléphonique qui reçoit votre appel va ensuite évaluer la situation. Si vous êtes en présence d’un danger grave, l’appel sera relayé à la gendarmerie nationale qui pourra demander l’intervention des forces de l’ordre, le dispositif permettant de vous géolocaliser immédiatement si vous y consentez. Vous serez assistée et suivie dans toutes vos démarches par une association.

Pour bénéficier du dispositif, vous devez y consentir expressément et ne plus être en cohabitation avec l’auteur des violences. De plus, l’interdiction pour votre agresseur potentiel d’entrer en contact avec vous doit avoir été formalisée sur le plan judiciaire. Le téléphone grave danger vous sera délivré sur décision du procureur de la République après une évaluation de votre situation faite par une association, pour une durée de six mois renouvelable.

Patrick Lingibé
Vice-Président de la Conférence des Bâtonniers de France
Ancien membre du Conseil national des barreaux
Bâtonnier
Avocat associé Cabinet JURISGUYANE
Spécialiste en droit public
Diplômé en droit routier
Médiateur Professionnel
Membre du réseau d’avocats EUROJURIS
Membre de l’Association des Juristes en Droit des Outre-Mer (AJDOM)