Dans un récent avis, le Conseil d’État a clôturé l’incertitude sur la question essentielle du délai de recours des tiers contre les autorisations d’utilisation du sol dans les collectivités relevant de l’article 74 (COM) de la Constitution et en Nouvelle-Calédonie. Autrement dit, les dispositions du Code de l’urbanisme « métropolitain » relatives au déclenchement du délai de recours contre les permis de construire, notamment, sont applicables de plein droit dans ces territoires.
Cet avis couronne une évolution jurisprudentielle, a des incidences concrètes sur les promoteurs, architectes et riverains de projets, et plus largement présente un intérêt pour l’identification des règles étatiques applicables de plein droit, et donc sans mention particulière, dans des collectivités jouissant d’une compétence normative. Une expertise de l’avocat, spécialiste en Droit public et membre de l’Association des Juristes Outre-mer (AJDOM), Gilles Especel.
> La délicate identification des règles d’urbanisme d’application nationale
Les COM (Polynésie française, Saint-Barthélemy, Saint-Martin) et la Nouvelle-Calédonie disposent de compétences normatives, notamment en matière d’urbanisme. Elles se sont dotées de réglementations encadrant les documents d’urbanisme et les autorisations d’utilisation du sol (déclaration préalable, permis de construire, permis de lotir…). Le code métropolitain de l’urbanisme n’y est donc pas applicable sur ces questions de fond.
Ce code contient des dispositions relatives au contentieux de l’urbanisme (livre VI), portant notamment sur l’intérêt pour agir, les délais de recours et l’obligation de notification du recours à l’auteur comme au bénéficiaire de l’autorisation contestée.
L’on sait de longue date que la procédure administrative contentieuse relève des « lois de souveraineté » et donc de la compétence exclusive de l’Etat. Les dispositions nationales sont, en la matière, applicables de plein droit sur l’ensemble du territoire de la République. La question de l’articulation des compétences locales et nationales en matière d’urbanisme alimente la jurisprudence.
Pendant longtemps a prévalu le principe selon lequel l’autonomie normative des collectivités susvisées excluait totalement l’application du code métropolitain, y compris ses dispositions relatives au contentieux. (CE, 27 avril 2011, n° 312093).
Ce principe a prévalu jusqu’à un revirement de jurisprudence intervenu en 2015, par lequel la Haute Juridiction a jugé que l’obligation de notification du recours (article R. 600-1 du code métropolitain) était applicable de plein droit sur l’ensemble du territoire de la République, dès lors qu’il s’agissait d’une règle de procédure administrative contentieuse. (CE, 8 avril 2015, n° 368349)
Cette solution a été confirmée par un avis contentieux soulignant que les administrés de Nouvelle-Calédonie ne pouvaient ignorer l’applicabilité de la formalité de notification des recours en urbanisme dès lors que la loi organique de 2009 (qui précise que les règles relatives à la procédure administrative contentieuse sont de compétence étatique et applicables localement de plein droit) assurait une « publicité suffisante de cette règle de procédure contentieuse ». (CE avis, 22 février 2017, n° 404007)
La question de la formalité de la notification du recours étant réglée, et celle relative à l’office particulier du Juge Administratif en contentieux de l’urbanisme ne soulevant pas vraiment de débat, restait à savoir quelles modalités de déclenchement du délai de recours des tiers trouvaient à s’appliquer.
> Des règles locales et nationales d’affichage en concurrence ?
Le code national fixe des règles strictes en termes d’affichage sur le terrain (localisation du panneau, format, mentions obligatoires, durée d’affichage) qui conditionnent le délai de recours des tiers. Son article R. 600-2 dispose : « Le délai de recours contentieux à l’encontre d’une décision de non-opposition à une déclaration préalable ou d’un permis de construire, d’aménager ou de démolir court à l’égard des tiers à compter du premier jour d’une période continue de deux mois d’affichage sur le terrain des pièces mentionnées à l’article R. 424-15 ».
Les articles R. 424-15, A. 424-15 à 18 du code national de l’urbanisme précisent les modalités d’affichage des autorisations. Pour leur part, les réglementations urbanistiques ultramarines prévoient dans certains cas des modalités de publicité et d’affichage plus souples et sans qu’il s’agisse expressément de conditions de déclenchement du délai de recours.
Question : les modalités de déclenchement du délai de recours des tiers relèvent-elles de la compétence des collectivités ou de la procédure administrative contentieuse réservée à l’Etat ?
> L’Etat, seul compétent pour fixer les conditions de déclenchement du délai de recours
Saisi par la Cour Administrative d’Appel de Paris, le Conseil d’Etat a clarifié la situation dans son avis n° 422283 du 13 février 2019. D’une part, le Conseil d’Etat retient que l’obligation d’affichage sur le terrain de mentions relatives au projet et aux voies de recours « a pour objet de permettre aux tiers de préserver leurs droits et constitue une condition au déclenchement du délai de recours contentieux » et constitue donc une règle de procédure administrative contentieuse.
D’autre part, le Conseil d’Etat précise que la compétence de l’Etat en la matière s’étend aux « règles accessoires », si bien que « les règles relatives à la durée et aux modalités de l’affichage, notamment les conditions destinées à assurer sa visibilité effective » (articles R. 424-15, A. 424-15 à 18 du code national de l’urbanisme) sont également applicables de plein droit sur l’ensemble du territoire de la République.
Les articles susvisés du code de l’urbanisme métropolitain, ainsi que son article R. 600-2, sont donc applicables dans les COM et en Nouvelle-Calédonie, étant souligné que cette position avait déjà été retenue il y a quelques temps par certains Tribunaux Administratifs. (TA Saint-Barthélemy, 13 novembre 2014, n° 1100057)
> Les implications de l’évolution du droit
L’évolution et surtout la stabilisation du contentieux de l’urbanisme en outre-mer illustrent à nouveau l’apport essentiel du Juge Administratif à la fois dans la mise en œuvre du principe de spécialité législative et pour la l’intelligibilité du droit dans les COM et en Nouvelle-Calédonie.
La détermination des contours de la notion de procédure administrative contentieuse vient de franchir un cap bienvenu, sans toutefois purger un débat qui, faute peut-être de pouvoir être réglé par le législateur organique, conduira encore les Juridictions Administratives à éclairer l’administration et les citoyens sur le droit qui leur est applicable.
Sur le terrain et de façon très concrète, l’avis de février 2019 implique une évolution immédiate des pratiques :
– Les bénéficiaires d’autorisations d’urbanisme et leurs architectes doivent veiller à un affichage strictement conforme au droit « national » sur le terrain ;
– Les tiers s’attacheront à lire très attentivement les mentions apposées sur les panneaux de chantier et ce, dès leur installation.
Quant aux praticiens du droit, ils pourront méditer sur l’émergence d’une nouvelle catégorie de normes étatiques applicables de plein droit dans les COM et en Nouvelle-Calédonie : les règles « accessoires se rattachant aux domaines relevant » de la compétence de l’Etat.
Me Gilles ESPECEL, Avocat associé – spécialiste en droit public
OVEREED AARPI (Paris | Fort-de-France)
Membre de l’AJDOM