EXPERTISE. Chlordécone et activité aquacole en Martinique

EXPERTISE. Chlordécone et activité aquacole en Martinique

Un élevage d’écrevisses au Carbet, en Martinique ©Ville du Carbet

Dans une expertise pour la rédaction d’Outremers360, Pascal Saffache, Professeur des Universités, et Grégory Aribo, Doctorant en Géographie, analysent l’impact de la chlordécone sur la filière aquacole des eaux douces en Martinique. Un impact essentiellement environnemental, qui a joué au bénéfice de l’aquaculture marine. 

Utilisée massivement dans les Antilles françaises (dans le domaine agricole) entre 1972 et 1993, la chlordécone a d’abord déstructuré la profession d’aquaculteur, jusqu’à la faire quasiment disparaître. Actuellement, il ne subsiste que deux fermes aquacoles d’eau douce en Martinique, dont l’une produit des écrevisses. La filière aquacole locale, comptait pourtant à la fin des années 1980 une cinquantaine de professionnels, qui pratiquaient souvent cette activité en complément d’une activité agricole.

Les aquaculteurs sont les premiers touchés

Principalement employé pour lutter contre le charançon dans les bananeraies, cet insecticide a d’abord imprégné les sols, les eaux de surface, les nappes phréatiques, puis, tout naturellement, le milieu marin. Il est vrai qu’en Martinique, comme en Guadeloupe, les transferts terre-mer se font d’autant plus vite que les bassins versants sont petits, et la mer n’est jamais très loin.

L’épandage aérien a aussi participé à accentuer la pollution, et particulièrement les transferts du milieu terrestre vers les milieux aqueux (rivières, nappes phréatiques et milieux côtiers). Cette situation, déjà très grave, prend une toute autre ampleur quand on sait que la chlordécone est constituée de molécules dont la persistance est pluri centenaire, mais surtout que ces dernières contiennent des perturbateurs endocriniens qui seraient à l’origine de cancers et de maladies chroniques. C’est d’ailleurs ce qui explique qu’aujourd’hui l’agriculture soit interdite sur de très vastes surfaces et que la pêche côtière subisse le même sort. A titre d’exemple, 33 % de la zone infralittorale est aujourd’hui interdite à la pêche (Carte 1).

Un élevage d'écrevisses au Carbet, en Martinique ©Ville du Carbet

Un élevage d’écrevisses au Carbet, en Martinique ©Ville du Carbet

La méfiance et la peur de la population ont mis fin à une activité qui suscitait pourtant un certain engouement. Selon de récentes études, l’agence nationale de santé publique estime que 90 % de la population des Antilles françaises serait contaminée – plus ou moins fortement – à la chlordécone.

Les fermes marines 

L’aquaculture d’eau douce ayant quasiment disparu, c’est l’aquaculture marine qui a pris le relai. Cette activité qui était balbutiante dans les années 1980 tente de se structurer aujourd’hui. Les fermes situées en majorité sur la côte Atlantique, dans des baies abritées, doivent se conformer deux fois par an à des tests drastiques, en vue de se prémunir d’une éventuelle contamination de la filière.

Bien que le contexte soit peu engageant, il apparait souhaitable d’investir massivement dans ce mode d’élevage, particulièrement en milieu insulaire. Rappelons, en effet, que la Martinique et la Guadeloupe sont dépendantes de l’importation de produits exogènes, et qu’il serait souhaitable de réduire l’écart qui existe entre la production locale et les produits importés.

Cette période de crise sanitaire et de confinement nous pousse à repenser notre modèle sociétal et particulièrement notre façon de consommer. Si l’autosuffisance alimentaire parait aujourd’hui utopique, développer et renforcer la production locale devrait être notre objectif prioritaire…

Pascal Saffache et Gregory Aribo

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