Inauguration du mémorial des essais nucléaires, le 2 juillet 2012 ©JTF
Il aura fallu 9 ans de procédures pour que la Cour d’appel de Papeete en Polynésie française rende l’arrêt prouvant le lien évident entre les cancers dont souffraient deux anciens ouvriers civils du Centre d’expérimentation du Pacifique (CEP) et leurs missions à Moruroa, un des sites des essais nucléaires français.
Avant la publication en 2010 de la Loi Morin, qui indemnise les victimes des essais nucléaires, la seule façon viable d’obtenir réparation du préjudice lié aux essais nucléaires étaient la reconnaissance de la maladie professionnelle. Ainsi, entre 2007 et 2010, un dizaine de dossiers ont été déposés devant le Tribunal du Travail, soutenus par l’association polynésienne des vétérans du nucléaire : Moruroa e Tatou. La procédure, longue et faite d’appel, aurait été efficace dont 90% des cas selon Tahiti-infos. Le 18 février dernier, la Cour d’appel de Papeete a ainsi rendu un arrêt prouvant le lien entre les cancers de deux anciens travailleurs du CEP et les essais nucléaires, au vue de leurs anciennes missions à Moruroa. Entamées en 2007, il a donc fallu 9 ans pour que la demande de reconnaissance de maladie professionnel aboutisse. Pour la justice, pas de doute, les cancers de Lucien Faara et Robert Voirin sont bien une conséquences des essais nucléaires. L’arrêt précise aussi que le Commissariat à l’énergie atomique (CEA) est « présumé avoir commis un manquement à son obligation de sécurité ».
« Il aura fallu un marathon judiciaire pour que l’évidence du lien entre les essais nucléaires et les maladies des anciens travailleurs de Moruroa soit réaffirmée avec force par les juges », a confié Roland Oldham, président de l’association Moruroa e Tatou. Dans ce dossier, les deux anciens travailleurs étaient défendus par les avocats de Moruroa e Tatou, Me Jean-Paul Teissonnière et Me Philippe Neuffer, et opposé à leur ancien employeur, le CEA ainsi qu’à la Caisse de Prévoyance Sociale (CPS – équivalent de la Sécu) gérant les dossiers de maladies professionnelles. « Les obstacles opposés tant par le CEA que par la CPS expliquent la lenteur de la procédure. En effet, le CEA refusait de se reconnaître comme employeur, puis affirmait que les maladies dont souffraient MM. Faara et Voirin ne pouvaient avoir pour origine les essais nucléaires dont ‘l’innocuité’ est affirmée dans de nombreux rapports ! De son côté, la CPS exigeait le remboursement des indemnisations par le ministère de la défense », a expliqué Moruroa e Tatou par voie de communiqué.
Le 18 février 2016, la Cour d’appel de Papeete a donc définitivement statué. Elle reconnaît la maladie professionnelle ayant provoqué le décès de Lucien Faara et celle dont est atteint Robert Voirin, et déboute le CEA et la CPS. Les maladies des deux anciens travailleurs doivent être prises en charge au titre de la législation sur les maladies professionnelles. Pour Lucien Faara, ce sont ses ayants-droit qui bénéficieront de cette prise en charge. La Cour d’appel reconnaît également des « présomptions graves précises et concordantes sur l’existence de retombées radioactives présentant un danger sanitaire », en lien avec les activités professionnelles des deux anciens travailleurs. Toujours selon elle, il est « établi que le Commissariat à l’énergie atomique avait conscience du danger auquel étaient exposés les salariés sur les sites de tirs nucléaires, notamment atmosphériques, en Polynésie ». Par conséquent, le CEA est « présumé avoir commis un manquement à son obligation de sécurité », n’ayant pas pris « toutes les précautions nécessaires pour préserver » la santé des deux travailleurs. Si cette décision définitive de la Cour d’appel de Papeete redonne espoir aux anciens travailleurs cherchant reconnaissance, elle peut cependant être entachée si la partie adverse se pourvoie en Cassation.