Une marche blanche a été organisée en soutien à la famille du nourrisson ©Facebook « Que de neuf à Ua Pou » / Lionel Tehaamoana / Polynésie La 1ère
Ce dimanche 6 octobre à Nuku Hiva (archipel des Marquises), Hoane Kohumoetini, 3 mois, est décédé d’une infection pulmonaire avant d’avoir pu être évacué en urgence sur l’île de Tahiti. En Polynésie, son décès relance le débat sur la prise en charge des urgences dans les îles éloignées.
« Comment est-il possible qu’en deux semaines, lorsque les parents ont emmené leur enfant en pleurs, on ne soit pas arrivé à diagnostiquer la maladie alors qu’on a deux médecins et quatre infirmiers sur place », fustige le grand-père de Hoane Kohumoetini, interrogé par Tahiti-infos. Originaire de l’île de Ua Pou aux Marquises, nord de la Polynésie française, cela faisait quelques jours que le nourrisson souffrait de fièvre et de diarrhée. Son état s’aggrave dans la nuit de samedi à dimanche, alors qu’un des deux médecins urgentistes de l’île décide le matin même de le garder en surveillance. Après une radio, ce dernier détecte une infection pulmonaire qu’il ponctionne et évacue l’enfant au petit matin sur l’île de Nuku Hiva, à 60 km au nord de Ua Pou et disposant d’un hôpital. Faute de moyen aérien, Hoane Kohumoetini est acheminé en « speedboat », un « poti marara » plus précisément, bateau de pêche en haute mer.
Après une traversée d’1h30 en mer dans des conditions difficiles, selon Radio 1 Tahiti, le nourrisson arrive à bon port à 8h du matin. Sur place, l’hôpital de Nuku Hiva demande l’évacuation sur le centre hospitalier de Polynésie française (CHPF), situé sur l’île de Tahiti, à 1 400km au sud pour une durée de vol d’environ 2h30, sans escale. Ses parents seront quant à eux acheminés à Tahiti en vol régulier, par manque de place dans le twin otter assurant l’évacuation sanitaire de l’enfant. Mais Hoane Kohumoetini ne tiendra pas jusqu’à l’arrivée de l’avion à midi. Ses parents apprennent son décès alors qu’ils sont déjà arrivés sur Tahiti. « Il fallait anticiper ce problème. On est obligatoirement confronté à ce problème à Ua Pou. Il n’y a que le bateau pour évacuer rapidement un malade », a déploré le grand-père du nourrisson.
En Polynésie, le décès de Hoane Kohumoetini a suscité un vif émoi, la colère aussi, et a relancé le débat sur la prise en charge des urgences dans les îles éloignées. Certaines ne disposent pas d’aéroport, tout juste un dispensaire. « Il y a 3 ans, mon bébé de 9 mois et demi a vécu les mêmes complications au dispensaire de Haka Hau à Ua Pou et est décédé dans les mêmes circonstances que Hoane », raconte Julie Bruneau. « L’évasan de mon fils était faite par bateau de nuit. Et à notre arrivée à Nuku Hiva, mon bébé décède. 3 ans plus tard nous en sommes à un autre drame. Mais quand est-ce que ça va s’arrêter ? ». Aux Marquises, la population réclame un nouvel hélicoptère, type d’appareil qui faisait la navette entre ces îles jusqu’en 2007. Certains rappellent également que Le Dauphin, hélicoptère de secours de l’armée, avait récemment été dépêché à Hiva Oa aux Marquises, pour secourir en pleine nuit trois randonneurs.
« Les moyens de l’État ne viennent qu’en deuxième position après les moyens civils. On ne se tourne vers les moyens de l’État que lorsque les civils n’ont pas de moyens disponibles », a néanmoins expliqué le Dr Vincent Simon, chef du service d’aide médicale, interrogé par Radio 1 Tahiti. « Malheureusement, des patients qui décèdent dans les îles, cela arrive quand les pathologies sont trop importantes, trop graves et trop urgentes », poursuit-il. « Toute la chaîne de secours a été correctement organisée (…). Malheureusement cet enfant est décédé parce qu’il était dans un état très grave ». Reconnaissant « un problème de desserte intra-archipels qui n’est pas réglé », il rappelle que l’absence de moyen de transport rapide entre les îles de l’archipel provoque une dizaine de décès par an à l’hôpital de Nuku Hiva.
« Le délai pour faire monter un hélicoptère depuis Papeete, c’est entre 12h et 15h » ajoute le médecin urgentiste Gerhard Adamek, qui avait pris en charge le nourrisson à Ua Pou. « C’était une perte de temps encore plus importante », poursuit-il au micro de Polynésie La 1ère. Il précise également qu’il revient au SAMU de déclencher, ou pas, l’hélicoptère. Saisi par l’émotion populaire, le président de la Polynésie française a annoncé l’ouverture d’une enquête « afin de faire toute la lumière sur les circonstances et les responsabilités éventuelles » du décès de Hoane. Elle a été confiée à l’Agence de régulation de l’action sanitaire et sociale. Édouard Fritch « compatit à la douleur qui frappe les parents et la famille de l’enfant ».
Du côté de l’Assemblée de la Polynésie, les rapporteures de la mission d’information relative aux conditions de prise en charge des patients evasanés inter-îles, Sylvana Puhetini et Eliane Tevahitua, soulignent que tout est mis en œuvre pour « redéfinir l’organisation de l’aide médicale d’urgence et la prioriser sur tous les transports sanitaires afin que plus jamais de tels événements puissent survenir dans de telles conditions au Fenua ». Selon le dernier rapport de la Cour territoriale des comptes consacré au CHPF, celui-ci ainsi que « les autres hôpitaux dotés de services des urgences, prennent en charge ces dernières sans qu’aucune loi de Pays d’organisation du traitement de l’urgence n’ait pu aboutir. Les textes métropolitains n’étant pas applicables, il n’existe donc pas de textes réglementaires en Polynésie française qui définissent les niveaux de soins pouvant être assurés par les différents établissements appelés à traiter l’urgence, c’est donc vers le CHPF et son plateau technique que les patients sont souvent adressés, quelle que soit la gravité de leur problème médical. Cette situation est doublement dommageable car outre les carences qu’elle révèle, elle expose le Pays et les établissements concernés à un risque juridique en cas de recours de la part d’un patient invoquant une mauvaise prise en charge ».
En attendant, les habitants des Marquises et plus précisément de Ua Pou ont rendu un vibrant hommage à Hoane, dont le corps a été rapatrié sur son île d’origine après que ses parents aient pu revenir depuis Tahiti sur Nuku Hiva, lundi après-midi. Environ 600 personnes ont participé à une marche blanche entre le quai et le domicile du grand-père du nourrisson. Une marche blanche rythmée par les pahu et les haka marquisiens. Une messe aura lieu ce mardi matin à 9h (heure de Polynésie), toujours au domicile de son grand-père, avant l’enterrement du nourrisson à 10h.