En Nouvelle-Calédonie, « Les inégalités restent grandes » estime Jérémie Ukeiwé, président de l’Association des policiers calédoniens en France

En Nouvelle-Calédonie, « Les inégalités restent grandes » estime Jérémie Ukeiwé, président de l’Association des policiers calédoniens en France

Illustration ©AFP

Parmi les 19 lauréats du Concours projets Outre-mer, Jérémie Ukeiwé a retenu l’attention avec « Kenu One project », « qui vise à renouer avec l’Art du voyage en Nouvelle-Calédonie, à bord de grandes pirogues de traversée », nous explique-t-il. Également président de l’Association des policiers calédoniens en France, il profite de cette fonction pour retrouver et partager avec ses collègues mutés dans l’Hexagone leurs regards sur la Nouvelle-Calédonie. 

Portant un nom très connu sur le Caillou, Jérémie Ukeiwé est le petit-fils de l’ancien sénateur kanak Dick Ukeiwé qui, selon lui, « aurait été satisfait du chemin parcouru (…) ». « Par contre, il aurait certainement voulu que les Mélanésiens et les Océaniens en général soient plus nombreux à accéder à des postes de décisions et de directions », estime-t-il également. Interview

Tu fais partie des 19 lauréats du Concours projet Outre-mer. Peux-tu nous expliquer en quoi consiste ton projet ? Comment as-tu eu cette idée ? 

« Kenu One project, les chemins de la pirogue » est un projet collectif qui vise à renouer avec l’Art du voyage en Nouvelle-Calédonie, à bord de grandes pirogues de traversée, identiques à celles qui sillonnent de nouveau le Pacifique, notamment chez nos plus proches voisins (Fidji, Nouvelle-Zélande, Vanuatu).

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L’idée a émergé suite à une étude de Marlène Dégremont, (Doctorante en Anthropologie à l’EHESS), en faveur du gouvernement Calédonien, dans le cadre de la définition du plan de gestion du Parc de la mer de Corail qui comportait certaines lacunes concernant la dimension sociale et culturelle du Parc. En discutant avec des représentants coutumiers du Territoire et avec les acteurs principaux (Emmanuel Tjibaou de l’ADCK, Jean-Krist Ukeiwé, Jean-Emmanuel Frantz et Aïlé Tikouré), ils ont partagé l’idée de monter un projet autour de la navigation traditionnelle car cette pratique permet de se réapproprier des savoirs concernant les espaces océaniques qui ont une place prépondérante dans la culture kanak. Ils m’ont impliqué dans cette entreprise.

Grâce à ce concours, tu as pu notamment bénéficier d’un beau coup de pouce de 10 000 euros, plus un accompagnement par les partenaires du concours. Sais-tu déjà comment développer ton projet grâce à ces récompenses ? Comment penses-tu les utiliser pour permettre à ton projet d’avancer ? 

Le prix obtenu permettra de lancer le projet en organisant des rencontres publiques et des ateliers dans différents endroits de la Grande terre et des îles loyautés qui permettront de mettre en commun, d’échanger et de valoriser les techniques et savoir-faire transmis par les détenteurs de la tradition orale. Un volet « éducation et formation » sera également mis en place pour assurer la continuité du projet.

Tu es également président de l’association des policiers calédoniens en France, en quoi consiste cette association ? Combien recense-t-on de Calédoniens policiers dans l’Hexagone ?

Cette association apolitique et non syndicale a pour but de fédérer l’ensemble des policiers calédoniens exerçant sur le territoire métropolitain, autour de projets culturels et associatifs. Regroupant environ une soixantaine de membres, elle reflète le melting-pot culturel de notre île. La dimension sociétale et les réalités des grandes mégapoles ne sont plus les mêmes. On a besoin de se retrouver, de partager entre collègues calédoniens.

L’insécurité, la délinquance, sont des sujets sensibles en Nouvelle-Calédonie. Quel regard portes-tu sur la situation, à 20 000 km de ta terre natale ?

Personne ne peut nier les problèmes liés à l’insécurité et à la délinquance, les statistiques sont en hausse ces dernières années : les raisons sont multiples. Ce sont des problèmes de société qu’il faut prendre dans leurs globalités. Je ne vais pas les développer mais en citer quelques raisons : perte de repères (culturels, spirituels etc…) l’échec scolaire, problèmes sociaux et économiques (chômage des jeunes…), fragilisation des structures coutumières, éclatements des familles (monoparentales et séparations en hausse…). Avec le développement économique, les home-jacking, les vols de véhicules et la délinquance des mineurs a connu une forte augmentation.

Le Ministère de l’Intérieur avait notamment annoncé le rapatriement d’une cinquantaine de policiers Calédoniens, mutés dans l’hexagone, en Nouvelle-Calédonie. Est-ce suffisant pour faire reculer ces problématiques ? Penses-tu que les forces de l’ordre en Nouvelle-Calédonie sont assez préparées, et prêtes, pour les semaines qui arrivent avant et après le référendum ? 

Bien que non négligeable, les récents renforts dont a pu bénéficier la Direction de la Sécurité Publique de Nouméa ne sont pas suffisants. Ils ont pallié aux départs de fonctionnaires en interne, dans les 2 nouveaux services ouverts dernièrement (PSQ et brigade canine). Tout vient de se mettre en place, je pense qu’il faut un peu de temps avant de se faire une analyse mais cela permet d’apporter une réponse un peu plus structurée.

Outre ces problématiques, les départs à la retraite des anciennes promotions au pays se font ressentir. En toute honnêteté, le rapatriement de policiers calédoniens en provenance de la Métropole sera plus que bienvenue. Je demeure confiant et optimiste. C’est un travail qui a été élaboré il y a plusieurs mois déjà par nos forces politiques.

Ton nom de famille est très connu en Nouvelle-Calédonie. Dick Ukeiwé, ton grand-père, fut notamment le premier sénateur Kanak de la Nouvelle-Calédonie, et un proche de Jacques Lafleur. Peux-tu nous en dire plus sur lui, sa carrière, son parcours, son engagement ? Quel souvenir gardes-tu de lui ? 

Dick Kiamue Ukeiwé est né en 1928 à Xodré (Lifou) et s’est éteint à Nouméa en 2013. Affecté comme moniteur à Tiga en 1947. Membre de l’AICLF puis de l’UC, il entre à l’Assemblée territoriale en 1957. Il travaille à la SLN de 1960 à 1971. Gaulliste, il entre au RPCR en 1978. Chef de nombreux exécutifs du Territoire, il devient président du gouvernement local en 1984. Sénateur de 1983 à 1993 et député européen de 1989 à 1994.

Au plus fort des evénements politiques, Dick a combattu pour le maintien de la Nouvelle-Calédonie dans la République française même s’il a été l’initiateur d’un mouvement de promotion mélanésienne en intégrant beaucoup de cadres dans les administrations publiques. Il était pressenti au ministère de l’Outre-mer.

Dick Ukeiwé, ancien sénateur de Nouvelle-Calédonie ©DR

Dick Ukeiwé, ancien sénateur de Nouvelle-Calédonie ©DR

Il fait partie des personnes qui ont marqué l’histoire de la Nouvelle-Calédonie durant 50 ans de vie politique. Il gravi tous les échelons du conseiller municipal à conseiller territorial jusqu’à être le premier sénateur mélanésien et premier calédonien à être député européen. C’est un homme de conviction, à la fois très ancré dans la tradition et à la coutume de ses pères et républicain profondément attaché aux valeurs de la République.

C’est ce qui a fait de lui un homme au parcours atypique, exceptionnel… Il est respecté dans son île et dans l’Hexagone… dans ma mémoire, il restera un vieux sage, un artisan de paix et de dialogue au service de son pays.

Avec un peu de recul, comment penses-tu qu’il verrait la situation actuelle de la Nouvelle-Calédonie, à quelques semaines du référendum ? Penses-tu qu’il aurait été satisfait de tout le chemin parcouru ou est-ce qu’il aurait voulu que certaines choses se passent différemment ?

Dick est signataire des Accords de Matignon. Il aurait été satisfait du chemin parcouru puisque grâce à lui et bien d’autres, le pays a connu trente ans de paix et un équilibre au niveau de ses institutions.  Par contre, il aurait certainement voulu que les Mélanésiens et les Océaniens en général soient plus nombreux à accéder à des postes de décisions et de directions. Il y a encore trop peu de cadres mélanésiens : 1 juge, 1 avocat, 1 chef d’établissement scolaire public, 0 vétérinaire, 0 pharmacien etc…

Et toi, quel regard portes-tu sur les 30 dernières années parcourues par la Nouvelle-Calédonie ? 

Les accords ont apporté la paix et la stabilité économique. De nouvelles usines métallurgiques ont vu le jour (VALE dans le sud et KNS dans le Nord). On a appris à vivre ensemble dans la paix, la prospérité et réaliser ce qu’est le destin commun. Cependant des efforts notables restent encore à faire sur le partage des richesses. Les inégalités restent grandes entre les classes sociales aisées, vivant dans les quartiers Sud et les classes populaires généralement océaniennes vivant dans la banlieue Nord de Nouméa et ses alentours.

Comptes-tu voter ? Étant dans l’Hexagone, as-tu rencontré des difficultés pour effectuer ta procuration ? Si oui, est-ce réglé ?

Bien sûr. C’est le destin de notre pays qui est en jeu. C’est le rendez-vous avec notre histoire. Pas à mon niveau, j’ai pu voir que des notes de services ont été dispatchés dans les services de police et de gendarmerie suite à la circulaire ministérielle du 12/06/2018 en vue de la consultation référendaire en Nouvelle-Calédonie. Le 4 novembre, je voterais en âme et conscience pour le bien de mon pays et des générations à venir…