[Edito d’Erick Boulard] Ratification des langues régionales : Péril républicain ?

[Edito d’Erick Boulard] Ratification des langues régionales : Péril républicain ?

Panneau de signalisation à Saint-Denis (en créole réunionnais) à La Réunion © DR

Alors que la France a signé depuis bien longtemps la charte européenne de 1999 qui vise à protéger et promouvoir les langues régionales et minoritaires et donc les créoles, la ratification de cette convention est toujours en suspens contrairement à certains engagements pris. Pourquoi cette inertie ? Où en est aujourd’hui ce dossier qui semble bien encombrant ? Eléments de réponse.

Diglossie
Une carte interactive éditée récemment par le CNRS recense un large éventail des langues régionales parlées dans l’hexagone et dans les territoires ultramarins. Cette carte met en exergue la richesse linguistique de la France qui comprend 307 langues et patois différents. Parmi ces langues parlées en France, l’outre-mer en représente les deux tiers (les créoles, les langues kanak, le mahorais, le malgache de Mayotte, la marquisien, le wallisien, le futunien, le tahitien, la langue de tuamotu, les langues des iles australes….). On estime à 2,5 millions le nombre de locuteurs des créoles aux Antilles-Guyane et à la Réunion qui sont parlés par 90% de la population de ces territoires. C’est dire l’importance que revêt la pratique des créoles dans ces territoires ultramarins. C’est dire surtout l’importance qu’attachent ces populations – qui vivent dans une situation de diglossie compte tenu du statut socio-politique de leurs territoires avec le Français comme langue dominante – à la reconnaissance officielle des créoles et des autres langues parlées. Manière de rééquilibrer les rapports de force entre les différentes langues.

Jacobinisme
Mais force est de constater que sur cette question, le jacobinisme de l’Etat français est toujours très prégnant. En effet, aujourd’hui, en dépit de la revendication quasi unanime des territoires ultramarins et de certaines régions de l’hexagone, la France refuse de reconnaître officiellement les langues régionales et minoritaires. Pourtant, elle a apposé sa signature à la charte européenne sur les langues régionales, dont le préambule proclame le « droit imprescriptible » de pratiquer une langue régionale « dans la vie privée et publique », mais elle s’obstine à ne pas ratifier la convention afférente. Or, seule la ratification entraîne une obligation juridique pour un Etat d’appliquer la convention. En clair, en l’absence de cette ratification, seul le Français a aujourd’hui un statut de langue officielle.

Promesse de campagne
Cette revendication portée à la fois par les ultramarins et certaines régions de l’hexagone a pourtant rencontré à une certaine époque un écho favorable. Ainsi, en 2012, François Hollande, alors candidat à la Présidentielle, en a fait un argument de campagne qui figurait parmi ses 30 propositions pour l’outre-mer. En 2015, à l’approche des élections régionales, son gouvernement avait même tenté, par l’entremise de Christiane Taubira, Garde des Sceaux de l’époque, de rouvrir le débat et de forcer la main à certains parlementaires. Une tentative avortée faute de majorité pour voter une loi qui nécessite une réforme constitutionnelle.
Depuis, le dossier végète dans les méandres administratives. Il faut dire que les résistances voire les oppositions à une reconnaissance officielle des langues régionales sont légion. A commencer par des institutions comme l’Académie française qui, en 2012 rejetait à l’unanimité de ses membres cette idée jugée inappropriée et inadéquate. C’est aussi le Conseil d’Etat qui, par deux fois en 2013 et 2015, s’est opposé fermement à cette ratification au prétexte que « la France méconnaîtrait les principes constitutionnels d’indivisibilité de la République, d’égalité devant la loi, d’unicité du peuple français et d’usage officiel de la langue française ». Fermez le ban. Circulez, il n’y a rien à voir.

Frilosité
En s’arcboutant becs et ongles au pacte républicain du peuple français « un et indivisible » pour s’élever contre la ratification des langues dites régionales et minoritaires, ces institutions semblent craindre d’ouvrir la boite de Pandore et d’y faire entrer un je sais quel cheval de Troie qui mettrait à mal le principe d’indivisibilité tant loué. Elles semblent redouter que la digue ne se lézarde pour laisser passer la brèche communautariste et le loup du repli sur soi. Mais plus encore, l’Etat jacobin, nonobstant sa proclamation d’aller vers plus de décentralisation et s’appuyant sur les réticences de ces institutions, veut surtout écarter toute velléité de revendication d’ordre statutaire émanant d’éventuels groupes régionalistes.
Bref, éviter à tout prix que l’exemple espagnol ne fasse des émules de ce côté-ci des Pyrénées. Tout faire donc pour éviter que l’édifice ne s’écroule. Cette frilosité de la part des institutions françaises apparaît plutôt étonnante voire incompréhensible car c’est faire fi de la diversité et des spécificités culturelles de la France qui comporte en son sein un certain nombre de minorités avec leurs langues, leurs particularismes locaux et leurs identités culturelles.
Dans ce contexte, autant dire qu’aujourd’hui ce dossier n’est pas prêt d’être réouvert car le gouvernement actuel qui a d’autres chats à fouetter, n’a aucune envie de se coltiner cette « patate chaude » et d’aborder cette question qui sent le souffre. Il est donc urgent d’attendre. Décidément, ce dossier des langues régionales est bien encombrant.

Erick Boulard