Deux semaines sans internet aux Tonga ou comment redécouvrir l’art de la conversation

Deux semaines sans internet aux Tonga ou comment redécouvrir l’art de la conversation

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L’archipel des Tonga, royaume du Pacifique Sud, a subi pendant deux semaines une panne informatique qui a provoqué casse-tête financiers et panique sociale, mais également poussé ce peuple polynésien de tradition orale à redécouvrir l’art de la conversation.

L’archipel s’est soudain retrouvé plongé dans le noir virtuel le 20 janvier. De nombreuses entreprises ont dû se mettre à l’arrêt, les gens ont perdu leur accès à des réseaux sociaux qui représentent une importante porte d’entrée sur le monde. « On a dû apprendre à se parler sans messagerie internet », raconte Joshua Savieti, qui travaille dans les arts créatifs. « On ne savait rien, on ne savait pas ce qu’il se passait, on n’avait pas d’informations, on ne savait pas s’il y avait un cyclone ». Il a fallu 13 jours pour trouver l’origine de la panne, une rupture de câble sous-marin, et pour reconnecter ces îles de 110 000 habitants, situées à près de 2 400 kilomètres au nord-est de la Nouvelle-Zélande.

Pendant le blackout, l’archipel s’est contenté d’une connexion locale par satellite, bien moins puissante, et ne permettant que des services limités. Les réseaux sociaux tels que Facebook et YouTube ont été bloqués afin d’économiser de la bande passante au profit des activités essentielles. Les gens ont donc été privés de contacts avec leurs proches à l’étranger. Les entreprises travaillant via Facebook ont été paralysées. Beaucoup se sont rendus compte à quel point ils étaient dépendants de l’internet à peine cinq ans après la mise en service de ce câble à fibre optique de 827 kilomètres.

Bars bondés

Certains faisaient la queue pendant des heures pour avoir accès au service satellite mais d’autres s’occupaient de leur jardin ou allaient voir les gens en face à face. « En fait, je me suis dit que c’était plutôt pas mal d’être évincé de l’internet, de reparler aux gens, d’aller dehors et de voir ce que tout le monde était en train de faire », a poursuivi Joshua Savieti. « Plein de gens sont sortis, ils allaient dans les bars, tout était plein ». Cette pause forcée n’a pas plu à tout le monde cependant. Les stocks de médicaments sont descendus et le directeur du ministère de la Santé, Siale ‘Akau’ola, a perdu le contact avec les postes gouvernementaux des îles éloignées.

« Il y a des zones dans un état critique, la plupart ont besoin de se voir confirmer leurs approvisionnements, les dates. On était dans le noir et certains stocks étaient à des niveaux dangereusement faibles », a-t-il dit. « C’est sûr que cela allait avoir un impact sur toute une série d’opérations ».

Illustration ©AFP

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Les Tonga sont très dépendantes des liaisons internationales pour leurs approvisionnements ainsi que de revenus touristiques vitaux. L’absence d’internet a provoqué de sérieux problèmes pour effectuer et confirmer les paiements. Les banques étaient dans l’incapacité de traiter les transferts, plongeant dans la difficulté les familles dépendantes de l’argent envoyé par leurs proches travaillant à l’étranger. Sam Vea, agent pour les Tonga de l’empire de livraison express DHL, a expliqué que la première semaine de panne avait provoqué « de graves problèmes » pour l’entreprise.

Pertes de revenus

« Nous n’avons pas pu expédier nos marchandises car il faut poster des documents avant qu’elles ne soient chargées sur un avion », a-t-il dit. « On a vraiment besoin de cette connexion. C’était l’aspect effrayant. Et on ne savait pas combien de temps ça allait durer ». Des petites entreprises qui se servent de Facebook pour promouvoir leurs services ne pouvaient plus prendre de réservations en ligne.

A Nuku’alofa, la capitale, Taiatu ‘Ata’ata, qui gère une auberge, estime qu’elle a perdu « des milliers de dollars » de réservations.Lee Latu, lui, tentait de gérer son hôtel situé dans l’archipel Vava’u « sans avoir la moindre idée si je devais aller chercher des gens qui auraient réservé ». Caryl Jones, un comptable, a raconté qu’il n’avait pu remplir les déclarations fiscales mensuelles de nombreux clients : « J’ai des clients qui m’envoient l’information par mail. J’ai des clients dont les comptes sont dans le cloud et ils ne pouvaient accéder à leurs comptes ».

Une rue de Nuku'alofa, capitale des Tonga, avec son marché ©AFP

Une rue de Nuku’alofa, capitale des Tonga, avec son marché ©AFP

D’autres problèmes se sont posés quand le câble, qui rejoint celui de la Croix du Sud reliant l’Australie, la Nouvelle-Zélande, Hawaï et la partie continentale des États-Unis, a été réparé. Par exemple, lors d’un procès pour meurtre à Nuku’alofa, le juge Charles Cato a dû rappeler aux jurés que ce n’est pas parce que l’internet était revenu qu’ils pouvaient se mettre sur les réseaux sociaux durant l’audience…

Sectionné par l’ancre d’un navire ou sabotage ?  

« Nous nous sommes réveillés avec une nouvelle bien agréable », a néanmoins déclaré le porte-parole du gouvernement tongien, Lopeti Senituli, à Radio New Zealand, lors du retour de la connexion le 3 février. « Ces deux dernières semaines ont été calmes, alors les gens essaient de rattraper le temps perdu dans les potins et les nouvelles », a-t-il ajouté sur cette radio néo-zélandaise. La cause exacte de la panne n’a pas été déterminée. Mais le câble aurait pu être sectionné par l’ancre d’un navire ou pire, avoir été victime d’un sabotage.

Cet épisode de coupure a coûté aux Tonga 827 000 euros, sans compter la réparation. Cet épisode pose notamment la question d’un plan de secours en cas de coupure du câble, comme ce fut le cas en Guyane en mars 2018, lorsque le câble America 2 a été sectionné. « Malheureusement, et c’est le cas pour beaucoup d’îles du Pacifique, il n’y a qu’un seul câble et il n’y a pas assez de budget pour en avoir deux », a regretté Christian Patouraux, responsable de l’opérateur Kacific. Plusieurs États et Territoires insulaires du Pacifique sont actuellement engagés dans la pose d’un nouveau câble sous-marin les reliant à la Nouvelle-Zélande.

Avec AFP.

Un grand projet de câble est en cours dans le Pacifique sud, reliant la Nouvelle-Zélande et l'Australie aux États-Unis en passant par Hawaii. Plusieurs États et territoires du Pacifique y seront raccordées par d'autre câbles

Un grand projet de câble est en cours dans le Pacifique sud, reliant la Nouvelle-Zélande et l’Australie aux États-Unis en passant par Hawaii. Plusieurs États et territoires du Pacifique (en jaune) y seront raccordées par d’autre câbles, comme la Polynésie, les îles Cook et Niue via les Samoa avec le câble Manatua