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Après le choléra, les habitants de Haïti vont devoir affronter la pandémie du covid-19. La rédaction d’Outremers360 a contacté hier le journaliste local Pierre-Louis Snayder. Selon lui, la situation de son pays est plus que préoccupante.
« Cette fois, c’est fini pour nous. Nous, le peuple haïtien, n’avons pas de chance. Après tous les dégâts du choléra, nous ne sommes pas prêts pour ce virus en Haïti», se désole une marchande de produits alimentaires du marché Salomon de Haïti. Des propos relayés par Pierre-Louis Snayder, journaliste pigiste haïtien que notre rédaction a contacté hier suite à son message d’alerte sur facebook sur la situation dramatique à venir de son pays. Un pays, il faut le rappeler, déjà tristement affaibli par des années de choléra apparu par la présence des forces de l’ONU venues en aide à la population après le séisme de janvier 2010.
Avec au moins huit cas positifs au covid-19, l’île la plus densément peuplée des Caraïbes est en proie à la panique. Le système de santé défaillant, les frontières passoires et les mesures de confinement difficiles à respecter accentuent la peur parmi la population.
Des mesures de protection sanitaire difficiles à respecter
Dès les deux premiers cas positifs le 19 mars 2020, le président Jovenel Moïse a décrété l’état d’urgence sanitaire, imposant un couvre-feu de 20 heures à 5 heures du matin durant un mois. Il a enjoint les habitants à rester chez eux et à limiter leurs déplacements au strict nécessaire. Tout rassemblement de plus de dix personnes est interdit et la fermeture des écoles, des universités, des ports et aéroports, des lieux de culte et des usines ont été également annoncées.
Des mesures de précautions difficiles à faire respecter malgré les menaces de sanction de la part du gouvernement. Dimanche dernier, au moins cinq pasteurs ont été interpellés pour avoir violé les interdictions de rassemblements. Aussi, ces mesures de confinement strictes sont difficiles à faire respecter dans un pays où, selon un article de Le Figaro du 20 mars, « la grande majorité des près de trois millions d’habitants de la capitale dépend quotidiennement de l’économie informelle pour survivre ». La forte densité de Port-au-Prince complique la mesure de gestes barrière comme la distanciation sociale, notamment dans des transports en commun quotidiennement bondés.
Un système de santé défaillant
« Haïti est un pays à ressources limitées. Durant les dix dernières années, le budget de la santé publique en Haïti a diminué. Le dernier budget voté par le Parlement haïtien est celui de 2017-2018. Ce budget est estimé à 2,2 milliards de dollars américains. Par ailleurs, selon le président directeur général de la société-conseil haïtienne Groupe Croissance, Kesner Pharel, le secteur de la santé publique n’a hérité que de 6 milliards, soit moins de 5% du budget de l’État », nous confie le journaliste pigiste haïtien Pierre-Louis Snayder.
Alors comment Haïti va-t-elle pouvoir gérer une pandémie dans ces conditions ? L’inquiétude monte parmi les personnels de santé, comme l’a témoigné récemment Jean-Hugues Henrys au journaliste Pierre-Louis Snayder. Cet épidémiologiste haïtien de renom, principal acteur de la recherche contre le choléra s’inquiète en effet du manque de plateaux techniques pouvant prendre en charge des cas graves comme celui du covid-19. D’autant que ces plateaux sont mal répartis dans le pays, avec une plus grande proportion dans l’Ouest.
Aussi, le pays ne dispose pas non plus d’un nombre suffisant de professionnels de santé formés à la prise en charge de cette maladie.
À cela s’ajoute un contexte de grèves depuis plusieurs jours dans les hôpitaux publics, revendiquant « de meilleures conditions de travail et de disponibilité de matériels et d’équipements appropriés ».
Un nombre de lits insuffisants caché par les autorités locales
Pierre-Louis Snayder se fait relai du manque de transparence des autorités locales sur le nombre de lits disponibles dans les centres hospitaliers du pays dans le cas d’une propagation du covid-19 plus intense. « La ministre de la santé publique, Marie Greta Roy Clément, précise le 2 mars 2020, que 200 lits d’isolement sont situés dans plusieurs centres hospitaliers (…). Pourtant, le plan de préparation et de réponse au coronavirus du MSPP (ministère de la santé publique et de la population, ndlr) publié le 10 mars 2020 fait état de 58 salles avec 55 lits disponibles », s’insurge le journaliste haïtien.
Des frontières passoires
Depuis le 19 mars, Haïti a suspendu l’ensemble de ses vols commerciaux et fermé ses ports à tout transport de passagers. Les frontières sont également fermées jusqu’à nouvel ordre.
Néanmoins, Geralda St-Vil, responsable de la communication et plaidoirie du groupe d’appui aux rapatriés et réfugiés fait savoir à Pierre-Louis Snayder « une faiblesse dans la frontière haitiano-dominicaine au niveau de l’État haïtien ». Selon elle, « les autorités haïtiennes n’ont le contrôle que 4 sur 141 points. (…) Les dominicains rentrent dans notre territoire sans contrainte». Une frontière « passoire », malgré le travail conjoint de l’armée dominicaine et de la Police frontalière terrestre (POLIFRONT) à Haïti.
Un résident de l’hôpital universitaire d’État, Ricardo Mirlien, se montre inquiet face au journaliste Pierre-Louis Snayder. « Des personnes peuvent circuler comme ils le souhaitent (…). Imaginez-vous, des personnes infectées en République Dominicaine décident de rentrer dans le pays, passant par les buissons illégalement. Ce sera une catastrophe, une semaine plus tard. Nous sommes très vulnérables ».
Par Amélie Rigollet