Commission Stora : Le rapport invalide la thèse de l’attentat dans le crash de  juin 1962, mais ne clarifie pas le nombre de morts pour Mai 67 en Guadeloupe

Commission Stora : Le rapport invalide la thèse de l’attentat dans le crash de juin 1962, mais ne clarifie pas le nombre de morts pour Mai 67 en Guadeloupe

La commission présidée par Benjamin Stora sur les manifestations sanglantes de décembre 1959 en Martinique, de Mai 1967 en Guadeloupe et le crash en juin 1962 a remis son rapport le 21 novembre dernier à la Ministre des Outre-mer Ericka Bareigts.

Entouré des membres-historiens de sa commission, Benjamin Stora a présenté son rapport devant la presse et certains parlementaires antillo-guyanais (le député Serge Letchimy,  les sénateurs Jacques Cornano, Antoine Karam et Serge Larcher).« Avec les informations dont nous avons disposé, ce rapport va instaurer des pistes nouvelles, déterminer des faits historiques  de ce qui est réellement passé », a souligné Benjamin Stora, le président de cette commission. A travers ce document d’une centaine de pages, les historiens ont tenté de répondre à trois questions: quel était le degré d’implication dans les émeutes de décembre 1959  des trois jeunes tués par la police en Martinique? Pourquoi le rapport sur l’avion de juin de1962  était-il resté sous le sceau du secret ? Quelle a  été l’ampleur et quel profil avaient les auteurs du massacre de mai 1967 en Guadeloupe?

Toutefois, Benjamin Stora rappelle qu’il est important de replacer ces trois évènements dans leur contexte. « Il fallait faire une mise en contexte de ce travail: nous étions dans un moment très particulier, celui de la décolonisation des années soixante, de la construction des mouvements indépendantistes, dans l’environnement international de la révolution cubaine, de la guerre d’indépendance en Algérie ».

Benjamin Stora présente les travaux de la commission

Benjamin Stora présente les travaux de la commission

Une première historique pour les Outre-mer

Lors de la remise de ce rapport, la Ministre des Outre-mer a souligné un travail « considérable et historique ». « Aucune commission historique ne s’était intéressée aux Outre-mer. C’est une première de découvrir aujourd’hui  les fruits du travail d’une commission historique portant sur des événements étant survenus au sein des Outre-mer. Historique par son sujet d’étude car les précédents commissions initiées par l’Etat n’avaient concerné jusqu’à alors la Seconde Guerre Mondiale » a déclaré  Ericka Bareigts. Elle ajoute que ces trois événements, bien que très différents partagent un point commun: ils ont profondément marqué la Guadeloupe, la Guyane et la Martinique.

De nouvelles pistes de réflexion

Après plus de deux ans de recherches historiques et de recueil de témoignages, le rapport n’apporte pas de conclusions tranchées mais ouvre de nouvelles pistes de réflexion. Concernant les émeutes urbaines de décembre 1959, la commission Stora conclut à une émeute de nature sociale plutôt que politique. Le doute reste entier sur le statut des  trois jeunes tués lors de ces violences urbaines. « On ne connaît pas encore avec certitude le statut des trois victimes, émeutiers, simples curieux ou passants », interroge le rapport.

Même incertitude sur le nombre de morts suite aux événements de mai 1967 en Guadeloupe. « Nous n’avons pas réussi à prouver que le nombre de  morts, très élevé, ait pu atteindre le chiffre de 87(1985) et jusqu’à 200 (2009). Le relevé des décès envoyé par les communes n’a pas donné de résultats tangibles, aucun pic de décès n’ayant été enregistré  en mai-juin 1967 » souligne le rapport

S’agissant du crash de juin 1962, le rapport invalide l’hypothèse de l’attentat. « Le rapport remis au ministre le 12 décembre 1962, établit clairement le concours de circonstances qui débouche sur l’accident de l’avion et met gravement en cause la responsabilité de l’équipage du Boeing 707, les insuffisances des services au sol, ainsi que les manquements de la compagnie nationale. Le classement »secret » du rapport d’enquête – dont la fonction consistait à expliquer cet accident – a donné, si besoin était, encore plus de consistance à la thèse de l’attentat ».

 

Evènements de décembre 1959 en Martinique: Fin décembre 1959, dans un contexte économique et social très difficile, une altercation entre un Français de l’Hexagone et un Martiniquais dégénère en émeute. L’intervention des forces de l’ordre, qui ouvrent le feu sur les jeunes venus des quartiers populaires de Fort-de-France, fait des dizaines de blessés et 3 morts : Edmond Eloi (20 ans), Christian Marajo (15 ans) et Julien Betzi (19 ans).

Crash Air France en Guadeloupe en juin 1962: Le 22 juin 1962, en vol de nuit, à 04 h 30, le Boeing 707-331 de la compagnie Air France Château de Chantilly, en provenance de Paris via Lisbonne et Les Açores, sur le point d’atterrir à l’aéroport du Raizet-Pointe à Pitre (Guadeloupe), s’écrase dans la forêt sur la colline de Deshaies. Il n’y a aucun survivant parmi les 103 passagers et les 10 membres d’équipage. Selon les explications officielles, l’accident serait dû à une panne de VOR (système de radio-guidage) de l’aéroport du Raizet et à une défaillance de l’ADF (automatic direction finder) de l’appareil liée aux mauvaises conditions météorologiques. Cependant, des pécheurs auraient déclaré avoir vu l’appareil exploser en vol. La thèse de l’attentat n’a jamais pu être démontrée, mais elle fut soutenue par certains commentateurs. La raison en est que, parmi les passagers, se trouvaient deux militants anticolonialistes et autonomistes notoires : le Guadeloupéen Albert Béville dit Paul Niger qui avait curieusement réussi à s’embarquer alors qu’il était interdit de séjour aux Antilles, et le député de Guyane Justin Catayée, qui rentrait précipitamment après la terrible répression d’une manifestation.

Emeutes de Mai 1967 en Guadeloupe: Le 26 mai 1967, à Pointe-à-Pitre, sous-préfecture de la Guadeloupe, des ouvriers du bâtiment sont rassemblés devant la chambre de commerce. En grève depuis plusieurs jours, ils réclament des augmentations de salaire. Les négociations sont au point mort. En cette veille d’anniversaire de l’abolition de l’esclavage en Guadeloupe, les esprits sont surchauffés. Les CRS reçoivent des conques et des bouteilles. A 14h00, des coups de feu éclatent. Les CRS affirment qu’ils sont venus de la foule, et ripostent. La première victime des tirs des forces de l’ordre est d’ailleurs un certain Jack Nestor, l’un des leaders du Gong (Groupement d’organisation Nationale de Guadeloupe, organisation indépendantiste)… C’est le point de départ d’un drame qui entachera à jamais l’histoire, faisant 87 morts, selon un aveu tardif des autorités, 200 selon d’autres sources.