Centenaire de l’Armistice : Les soldats antillo-guyanais sur le front

Centenaire de l’Armistice : Les soldats antillo-guyanais sur le front

Durant la Première Guerre mondiale, 17 000 soldats martiniquais, guyanais et guadeloupéens ont répondu à la mobilisation générale pour aller combattre sur les différents fronts français et européens. Quelles étaient leurs motivations ? Dans quelles conditions combattaient-ils ? Eléments de réponse avec l’historienne Sabine Andrivon-Milton dans ce podcast en deux épisodes.

La Première Guerre mondiale éclate en août 1914 en Europe. La France est concernée par le conflit par le jeu des alliances. Elle mobilise massivement à partir du 2 août 1914. Cependant, les habitants des « vieilles colonies » ayant pourtant obtenu la citoyenneté française en 1848, sont pourtant exclus de la loi mettant en place la conscription. Le principe du service militaire avait été adopté par une loi de 1889 mais les difficultés d’application firent que les premiers enrôlements ne s’effectuèrent qu’à partir de 1913.

Des hommes politiques locaux comme le Guadeloupéen Grantien Cnadance ou le Martiniquais Joseph Lagrosillière vont réclamer cette participation dans un souci d’assimilation et d’obtention de l’égalité avec les métropolitains. La France va faire finalement appel aux originaires d’outre-mer et, le 28 mars 1915, les gouverneurs doivent procéder au recensement des Antillo-Guyanais. Mais les hommes sur place n’ont pas fait de service militaire et ne savent pas manier des armes. Afin de les préparer, le ministre de la guerre avait envoyé dans la colonie des hommes expérimentés qui devaient leur enseigner, à la hâte, le maniement des armes, la discipline, les manœuvres. Les soldats étaient soumis à un entraînement intensif avant leur départ.

 

Joseph Lagrosilière, le député de la Martinique ui défendit le droit aux habitants des vielles colonies à participer à la conscription © BnF

Joseph Lagrosilière, le député de la Martinique qui défendit le droit aux habitants des vielles colonies à participer à la conscription © BnF

En mars 1915, les premiers départs sont salués par une organisation officielle et populaire : fêtes, discours patriotiques. Ces conscrits partent pour payer « l’impôt du sang », si cher aux notables, aux intellectuels et aux politiques locaux, soucieux de montrer leur attachement à la Mère-Patrie.

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À leur arrivée en 1915, une grande partie des originaires des colonies sont dirigés dans l’armée d’Orient, aux Dardanelles, car les autorités militaires estimaient que cette région serait moins difficile pour eux que les régions de l’Est. Mais là, ils furent nombreux à succomber à cause des maladies (dysenterie, paludisme) et du froid (pieds gelés qui nécessitent parfois l’amputation) et des combats épouvantables. Le 22 mai 1915, au combat de la Redoute Bouchet, à Gallipoli, 49 Martiniquais meurent sans compter ceux qui sont décédés des suites de leurs blessures. Les Dardanelles sont restées dans la mémoire collective des Antillo-Guyanais comme un traumatisme, car la vie y est dure à cause du manque d’eau et de ravitaillement, de la chaleur étouffante en été, du froid glacial, des permissions inexistantes. Pendant l’hiver, ils sont envoyés sur l’île de Mytilène.
Sur le front occidental, les soldats issues des vielles colonies participent aux grandes batailles de Verdun, de la Marne et de la Champagne, de Belgique. Pour leur épargner le froid hivernal, on les envoie, en général de début décembre à début mai, dans le sud de la France ou en Afrique du nord.

Les permissions pour les soldats créoles sont accordées comme pour les soldats français mais la durée du voyage interdit tout retour vers leur colonie respective. Aussi, pour accueillir les permissionnaires créoles, le sénateur Bérenger et le député guadeloupéen Candace créent en 1915, le Foyer colonial à Paris (56, rue Saint-Lazare). « Il faudrait par mesure d’équité que les Antillais rentrent chez eux au lieu de les envoyer en Algérie ou en Tunisie pendant l’hiver. Les soldats antillais doivent avoir la joie de retrouver leur famille, ils souffrent moralement de ne pas voir leur famille et physiquement à cause du froid », déclarait Gratien Candace dans son discours.

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A partir de 1917, les soldats créoles obtiennent un congé colonial de 30 jours, voire de 60 jours, en plus des 6 à 7 semaines de voyage. D’après les fiches matricules, seule une poignée de soldats guyanais a pu en bénéficier.

Les autorités militaires se plaignaient des originaires des colonies qu’ils qualifiaient d’hommes indolents, paresseux et indisciplinés. Toutefois ils furent nombreux à obtenir des citations et à se distinguer. L’histoire retiendra les noms de Mortenol pour la Guadeloupe, de Jean-Marie Guibert et Pierre Réjon, deux aviateurs martiniquais, du lieutenant Léon Becker de la Guyane…

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Les retours s’effectuent de février à novembre 1919. Certains restent en France pour travailler, d’autres se marient. Ceux qui retournent sont considérés au début comme des héros (on leur cède le passage), mais ils sont amers car rien n’est fait spécialement pour eux. Certains tombent dans la misère, sont sans ressources et sans moyens de subsistance. Les associations d’anciens combattants se mettent en place. Les monuments sont érigés dans les communes, les noms de rues et les stèles rendent hommage à ces hommes. Peu de soldats racontent leurs aventures et préfèrent ne pas en parler pour ne pas raviver les horreurs de la guerre.