Carnaval 2017: Guadeloupe, l’autre carnaval

Carnaval 2017: Guadeloupe, l’autre carnaval

© DR/Outremers Be You

Après deux mois de défilés dans les différentes communes de la Guadeloupe, le carnaval 2017 va connaître son apogée dans les prochaines heures. A  cette occasion, Outremers 360 vous propose un focus retour sur un autre type du carnaval guadeloupéen.

En marge de défilés de groupes aux couleurs chatoyantes, où les carnavaliers parés de costumes de plus en plus étudiés et travaillés, dansent sur des chorégraphies rythmées et bien orchestrées, un autre tableau prend place dans les rues du département. Les spectateurs sont plongés comme dans un autre monde. S’ouvre sous leurs yeux un long cortège de jeunes claquant contre le goudron leur fouet de «karata ». Ils laissent ensuite la place à un imposant raz-de marée de personnes interprétant des chants créoles, sous une marche vigoureuse voire quasi-militaire. Là, les cuivres, les tambours, les caisses claires sont remplacés par les tambours faits en peau de cabri, des chachas et  les conques à lambis. Dans le langage carnavalesque, on les appelle « les groupes a po ». Sur l’île, on en compte une dizaine. Parmi les plus emblématiques, on retrouve AKIYO (Qui sont-ils? en créole) en région pointoise, crée en 1979 et qui fût le premier groupe à po en Guadeloupe, suivis de d’autres groupe plus jeunes comme « Mas ka Klé » ou « Nasyon a Neg Mawon ». Sur la Basse-Terre, difficile de faire l’impasse sur le groupe VOUKOUM, qui a vu le jour en 1988.

© Un déboulé du groupe a po Akiyo, en tenue de Mas Gwo Siwo

Un carnaval conscient et revendicatif

Ces groupes carnavalesques se sont construits en antagonisme avec les autres groupes plus festifs et spectaculaires. « Le travail de groupes a été de remettre sur la scène publique des personnages présentés comme historiques et s’en tenaient justement à l’écart: les marrons, ces esclaves qui ont fui les plantations pour refuser la domination des maîtres », explique Stéphanie Mulot dans son étude intitulée « politiques identitaires et conscience historique dans le carnaval guadeloupéen ». Les groupe a po font ainsi revivre ces symboles de résistance à travers la figure des Mas. (Masque en créole). Ces « mas »sont même un élément central des groupe a po. C’est le cas du groupe VOUKOUM qui décrit ainsi l’importance du Mas: « Lorsqu’il ne reste rien de matériel à l’homme pour se rattacher à son passé, déboussolé, « chouboulé », transvasé de port en port. Pour s’ancrer sur un rivage inconnu, il lui faut un lien irréel, immatériel qui lui permettra de voyager, de retourner ne serait-ce qu’un court instant à son point de création. Et ce lien, ce pont dressé à la verticale, cet Esprit qui transcende le temps et l’espace, pour l’homme libre africain déporté et devenu esclave aux Antilles, c’est le « MAS ».

© Syndie Benoit

Le groupe Voukoum à Basse-Terre © Syndie Benoit

« Ces mouvements vont rester longtemps marginaux et suscitent pendant bien longtemps un sentiment d’attirance/répulsion de la part des spectateurs et des autres groupes. Renvoyant au tambour traditionnel et intervenant en pleine période de quête identitaire et de mobilisation politique, il est vite catalogué comme un « groupe d’indépendantistes ». souligne le maître de conférences en sciences politiques Eric Nabajoth. Mais ces groupes vont peu à peu retrouver leurs lettres de noblesse. à l’instar du groupe Akiyo qui devient l’expression d’une fierté nouvelle et porte en lui la force d’une négritude affirmée. Groupe à message, militant contre la répression, le colonialisme ou la guerre, il se voit interdire par le sous-préfet de l’époque HUGODOT dans les années 80, ce qui a pour effet de joindre la population guadeloupéenne à sa cause. Akiyo devient alors le groupe de carnaval le plus populaire de Guadeloupe.  « Ils sont des groupes de carnaval guidés par des thèmes d’utilité publique », explique Marie-Josèphe Dalila, vice-présidente de la Fédération Guadeloupéenne de Carnaval. Les années précédentes, ils déboulaient sur les thèmes de l’accès à l’eau, la corruption des élus ou la violence des jeunes.

C’est dans ce même esprit de commémoration d’une histoire oubliée, l’ensemble des groupes a  po ont célébré cette année, le 50ème anniversaire de Mai 1967. Ainsi, depuis le début de l’année, ils ont multiplié les conférences, les témoignages de cet évènement. »Depuis septembre nous avons travaillé sur la thématique du souvenir de « Mé 67″,fait d’histoire encore trop méconnu, même en Guadeloupe », racontent Kelly Bahija et Ninette Hubert, du groupe Nasyon a Neg Mawon à l’AFP. Dans un de leurs déboulés, une partie du groupe a incarné les forces de l’ordre, le visage peint en blanc, des écharpes tricolores et des képis rouges, avec un camion-char militaire. Le reste du groupe, symbolisant les Guadeloupéens, arborait un visage peint en tête de mort. Ces actions autour de mai 1967 ont été bien accueillies par le public, souvent ému au sortir des conférences. Le besoin de regarder l’histoire en face a été renforcé par les propos d’Emmanuel Macron sur la colonisation comme « un crime contre l’humanité » des mots « tombés à pic » pour les carnavaliers.

© VOUKOUM

© VOUKOUM

Ainsi, la Guadeloupe offre deux facettes de son carnaval. Le premier avec un défilé plus actuel plongeant le département dans une « mondialisation culturelle » en s’inspirant des festivités brésiliennes, caribéennes ou européennes. Le second, propose plutôt un retour aux origines de la société créole tout en développant la conscience de sa propre histoire.

Les différents Mas en Guadeloupe

Le Mas ou le Mass (masque) est une personne ou un groupe de personnes défilant en marge du défilé officiel. C’est aussi le costume qui fait référence à un personnage de l’histoire ou de l’imaginaire guadeloupéen et qui rappelle l’Afrique. Le Mas est là pour effrayer, déranger et choquer.

Mass a lan-mò, mass lan-mò, mass lan-mò ou mass lamow (Masques de la mort) : est souvent drapé de blanc ou de noir et porte un masque funéraire. Pendant le défilé, il peut envelopper la foule ou piquer le spectateur d’une épingle.

Mass a konn (Masques à cornes) : c’est le symbole du taureau, synonyme de puissance dans un monde rural.

Mass a fwet (Masques à fouet) : est souvent habillé de chemise et de pantalon en tissu madras, tête encagoulée et masquée

Mass a miwa (Masques à miroirs) : habillé en costume de tissus de couleurs vives ou de madras, parsemé de fragments de miroirs. Il symbolise le changement et la mutation et fait référence au Dieu Janus.

Mass a kongo, Mass a goudwon (Masques de goudron) ou Mass gwo-siwo (masque gros sirop) : est vêtu de « konoka » (pantalons de travailleurs des champs), d’un short ou d’un simple cache sexe, il s’enduit toutes les parties visibles du corps d’un mélange de mélasse destinée à noircir la peau et rougit ses lèvres de roucou. Ils représentent les nègres importés d’Afrique et la présence africaine dans le présent. Dans le passé, un des membres effectuait une danse acrobatique en montant sur deux longs bâtons posés sur les épaules de quatre hommes.

Mass a rubans : est vêtu de long rubans cousus sur ses vêtements brillant et d’un chapeau. Leur danse consistait à tourner au pied d’un mât en tressant autour de celui-ci de longs rubans. Le symbole phallique a son importance dans ce mass. Ce mass est importé par les travailleurs indiens (Immigration indienne) et a, de nos jours, presque disparu.

Mass a hangnion ou Mas a rannyon (masque en haillons) : il porte des haillons multicolores cousus sur un vieux vêtement et symbolise la pauvreté. Après les fêtes de Noël et les dépenses, la population n’a pas d’autre choix que de récupérer de vieux vêtements. Il ouvre le carnaval.

Mass a Lous (Masque à l’ours) : est vêtu de feuilles de bananes et porte un masque avec des cornes de bœuf. Il est le symbole de l’héritage des temples religieux africains et symbolise une divinité africaine.

Mass a roukou ou Mas a woukou (masque de roucou) : est vêtu d’un pagne fait de feuilles et est recouvert d’huile de roucou. Il représente les premiers habitants de Guadeloupe : les Indiens Caraïbes (« zendien Karaib »).

Mass a biki ou moko zombi : il existe depuis le début de xxe siècle. C’est un homme habillé en femme, masqué et monté sur échasses. Il danse au son du triangle, du tambour basque et de l’accordéon. Il représente les esprits, les zombis ou le diable. Il portait un parapluie qu’il utilisait pour faire la quête.

Mass a Man Ibè (Masque de Madame Hubert) : symbole des hypocrites et des traîtres. Madame Hubert était une guérisseuse de Pointe-à-Pitre qui parcourait les bois la nuit, accompagnée de ses chiens, à la recherche de plantes médicinales et magiques. Elle était critiquée le jour par ceux qui venait la consulter la nuit.

Mass a zonbi (Masques de zombie) : créé pour le Lundi-gras de 1991 par le groupe carnavalesque Voukoum. Le carnaval n’est pas pratiqué par les esclaves restés fidèles au voudou et autres coutumes africaines car il servait aux maîtres à se moquer des esprits. Les rituels et les cultes antiques d’Afrique étaient méprisés et les ancêtres injuriés.