Valeurs Actuelles : Au delà de l’indignation collective, qu’en dit le droit ?

Valeurs Actuelles : Au delà de l’indignation collective, qu’en dit le droit ?

© Assemblée nationale

La publication du magazine Valeurs Actuelles, mettant en scene la députée de La France Insoumise Danièle Obono en esclave dans le recit fiction, a été unanimement condamnée par l’ensemble de la classe politique française, de Jean-Luc Mélenchon et jusqu’au plus haut sommet de l’Etat avec le Président de la République Emmanuel Macron,  le premier ministreJean Castex en passant par le Président de l’Assemblée nationale et les autres partis. En Outre-mer, les élus ultramarins ont également partagé leur indignation et apporté leur soutien à Danièle Obono. Ainsi, le député européen Younous Omarjee a souligné qu’« à travers la députée Obono, ce sont tous les ultramarins qui se sentent insultés». La députée de Polynésie Maina Sage a pour sa part dénoncé une « ignominie qu’on accepte encore de publier». La Présidente du Conseil Départemental de Guadeloupe Josette Borel-Lincertin a souligné de son côté « un racisme décomplexé» La Députée Danièle Obono réfléchit à porter plainte. 
Outremers 360 partage ci-dessous l’analyse de Raphaël Lapin, Docteur en Droit sur les dispositifs législatifs ou juridiques possibles pour condamner ces publications et leurs limites.

Le magazine « Valeurs actuelles » s’est illustré, une fois encore, par une publication nauséabonde qui s’inscrit dans une « série d’été » où des personnalités politiques sont censées voyager « dans les couloirs du temps ».

Cette fiction de sept pages fait le récit de la députée de Paris, Danièle OBONO qui, selon les termes de la publication : « expérimente la responsabilité des Africains dans les horreurs de l’esclavage » au XVIIIe siècle. Ce « roman de l’été » est, au surplus, accompagné de dessins de Danièle Obono, collier en fer au cou.

La vague d’indignation provoquée par cette publication est révélatrice du choc issu de la rencontre entre la liberté d’expression et les abus de cette liberté. En effet, les propos contenus dans cette publication et les images l’illustrant nient et minorent la réalité historique de l’esclavage colonial tout en ayant vocation à banaliser de manière outrancière ce crime contre l’humanité.

Ce faisant, elle relance une question récurrente dans l’actualité : Quelle sanction pour les propos négationnistes, minorant ou banalisant l’esclavage ? 

Ce n’est effectivement pas la première fois qu’un acte de nature à nier, minorer ou banaliser de manière outrageante l’esclavage colonial est proféré en toute impunité. A ce propos, il n’est que de se rappeler de cette nuit du 1er juin 2019, où la chroniqueuse de l’émission « On n’est pas couché », Christine ANGOT, a déclaré à propos de la Shoah et de l’esclavage colonial « qu’il n’était pas vrai que les traumatismes étaient les mêmes » et qu’il fallait « que les esclaves soient en bonne santé́ pour être vendus » contrairement aux juifs déportés. 

Au-delà de la vindicte populaire, l’impunité judiciaire des auteurs de ces faits est justifiée par des lacunes tirées de la loi du 27 juillet 1881 sur la Liberté de la presse.

En effet, l’article 24 bis de cette loi punit par un an d’emprisonnement et 45 000 € d’amende le fait de nier, minorer ou banaliser de façon outrancière, et de façon publique, l’existence d’un ou plusieurs crimes contre l’humanité. 

Cette rédaction résultait de l’initiative de M. Jean-Claude Gayssot qui avait permis au Parlement d’adopter en juillet 1990, une proposition de loi visant à créer une nouvelle infraction pour punir pénalement les propos révisionnistes relatifs à la négation du crime contre l’humanité que constitue la Shoah. 

De fait, la rédaction de l’article 24 bis de la loi visait jusqu’en 2016, exclusivement les crimes contre l’humanité qui ont été perpétrés pendant la seconde guerre mondiale. 

L’ensemble des autres crimes contre l’humanité reconnus à ce jour ne pouvait donc donner lieu à une condamnation en cas de négation, de minoration ou de banalisation. 

Un amendement à la loi Égalité et Citoyenneté adoptée en 2017 devait élargir le champ d’application de l’infraction afin de pénaliser également les infractions de négation, de minoration ou de banalisation des crimes de réduction en esclavage ou d’exploitation d’une personne réduite en esclavage ainsi que la traite négrière. 

Cet amendement a été adopté avec le soutien du Gouvernement de l’époque. 

Il devait permettre, au-delà de l’oprobre publique et de manière plus générale, de prendre en compte des crimes historiquement reconnus, même si leur ancienneté exclut de fait toute possibilité pour la justice de se prononcer, lorsque leur contestation ou leur banalisation sera commise dans des conditions incitant à la haine ou à la violence. 

Cependant, le Conseil constitutionnel a considéré que la disposition était trop large dans une décision du 26 janvier 2017. Il a censuré la loi sur ce point en maintenant l’infraction tirée de la négation des crimes contre l’humanité tels que visés par l’article 6 du statut de tribunal militaire international. Le Conseil constitutionnel a également maintenu à l’article 24 bis, la condition selon laquelle, il faut que ce crime ait donné lieu à une condamnation prononcée par une juridiction française ou internationale. 

Cette condition a pour effet d’exclure ipso facto l’esclavage et la traite négrière de la catégorie des crimes contre l’humanité susceptible de faire l’objet de l’infraction de négationnisme ou de révisionnisme. 

Le texte est donc tout simplement devenu inapplicable. 

Ajouter une référence à la loi Taubira du 21 mai 2001 aurait pu être une bonne parade pour garantir la liberté d’expression tout en protégeant les potentielles victimes contre les abus de cette liberté. Rappelons en effet, que la loi Taubira reconnaît la traite négrière et l’esclavage colonial comme crime contre l’humanité. 

Que neni explique là encore le Conseil constitutionnel dans une décision du 8 janvier 2016 puisqu’il fait bien la distinction entre : 

– La négation de faits qualifiés de crime contre l’humanité par une décision d’une juridiction française ou internationale reconnue par la France et qui peut faire l’objet de poursuites pénales au sens de l’article 24 bis de la loi suscitée ;

– Et la négation de faits qualifiés de crime contre l’humanité par une juridiction autre ou par la loi (comme c’est le cas pour l’esclavage avec la loi Taubira). 

De sorte qu’à moins que le Conseil constitutionnel fasse évoluer sa jurisprudence, ou qu’une réforme constitutionnelle ne l’y contraigne, la répression pénale des propos ou des images comme ceux publiés dans le magazine Valeurs Actuelles est malheureusement compromise. 

Une situation de non droit qui provoque une impunité insupportable pour les victimes, pour les descendants d’esclaves et les associations qui font vivre le souvenir des victimes de l’esclavage colonial. 

Le négationnisme de l’esclavage colonial est définitivement inacceptable et le droit devra nécessairement évoluer à ce propos. 

Raphaël LAPIN
Docteur en droit