À Paris, inauguration de la « Promenade Jane et Paulette Nardal », égéries de la « négritude »

À Paris, inauguration de la « Promenade Jane et Paulette Nardal », égéries de la « négritude »

Une des nièces des soeurs Nardal était présente à l’inauguration de cette Promenade en hommage aux égéries de la négritude ©Charles Baudry / Outremers360

Sur proposition de la Maire de Paris, Anne Hidalgo, le Conseil de Paris, en date du 20 novembre 2018, a validé l’attribution du nom « Promenade Jane et Paulette Nardal », à la promenade plantée du site Broussais, entre la rue Raymond Losserand et la rue Didot dans le 14ème arrondissement.

L’inauguration a eu lieu ce samedi 31 Août 2019 à 11h15, devant la Maison des Pratiques Artistiques Amateurs Broussais, 100, rue Didot, en présence de la grande cantatrice Christiane Eda-Pierre, nièce de Jane et Paulette Nardal. Cette inauguration prend place dans le cadre de la Fête de la Petite Ceinture, qui verra l’inauguration, sur le site Broussais, de 4 autres rues Huguette Schwartz, Maria Helena Vieira da Silva.

Cet hommage est rendu aux sœurs Nardal, afin d’ancrer dans la mémoire de Paris celles qui sont devenues écrivaines, philosophes, enseignantes, et sont considérées comme ayant posé les bases théoriques et philosophiques de la « négritude », dans le salon littéraire qu’elles avaient créé à leur domicile, fréquenté notamment par Aimé Césaire, Léopold Sédar Senghor et Léon Gontran Damas. Ces derniers conceptualiseront officiellement le terme de « négritude » en 1934.

Il est important que le rôle de Paulette et Jane Nardal dans cette émergence et dans une formulation pionnière de la conscience noire féministe soit enfin reconnu, car, tout autant que Césaire, Senghor, Damas, et plus tard Glissant notamment, elles sont le socle de la « négritude », dont l’impact intellectuel dans le monde entier a été et reste majeur. Leur apport aux combats des femmes, et notamment des femmes noires, pour leur émancipation est le second élément primordial qui méritait d’être souligné.

Paris, où a eu lieu cette révolution intellectuelle, se devait de rappeler cette réalité et de rendre cet hommage. Dans son discours, la maire de Paris a par ailleurs annoncé son soutien à la reconstruction de la maison d’Aimé Césaire ainsi qu’à la Panthéonisation de Paulette Nardal.

Discours de la nièce de Jane et Paulette Nardal et Anne Hidalgo :

Leur biographie : 

Jeanne ou Jane (1902-1993) 4ème des sœurs et Paule ou Paulette l’ainée (1896-1985), font partie d’une fratrie de 7 filles élevées dans une famille de la bourgeoisie Martiniquaise. Leur père Paul Nardal est le premier ingénieur noir et fils d’esclaves à devenir directeur des « Ponts et Chaussées », ancêtres des « Travaux Publics » (Il a notamment participé à la conception du Pont de l’Alma) et leur mère Louise Marceline Achille, est une pianiste de talent, très impliquée socialement. Pendant toute leur enfance et adolescence, les 7 sœurs baignent dans une conception élevée du service social, de la culture musicale et poétique de leurs parents, qui les incitent à la découverte et à l’excellence.

Paulette et Jane, après des études classiques à Fort de France, partent respectivement en 1920 et 1923 à Paris pour obtenir un diplôme d’Études Supérieures de Langues à la Sorbonne, l’une en anglais, l’autre en littérature. Elles sont les premières étudiantes noires de la Sorbonne. Paulette y soutient sa thèse sur Harriet Beecher Stowe, auteure de « La Case de l’Oncle Tom ».

À Paris, Paulette et Jane tiennent un club littéraire où de jeunes intellectuels noirs, universitaires afro- américains, africains et antillais, Césaire, Senghor, Maran, Damas…, se réunissent les dimanches pour échanger des idées et poser les fondations d’une conscience de race naissante qui influencera toute la diaspora africaine et caribéenne. Paulette en particulier, agira comme relais entre les intellectuels francophones des Caraïbes et d’Afrique, les universitaires et musiciens Afro-Américains.

Au « Bal Nègre » (aujourd’hui le « Bal Blomet », dsns le 15ème arrondissement, qui a conservé cet esprit de redécouverte des racines), l’un des rares endroits où les jeunes femmes peuvent retrouver leurs repères culturels, elles assistent notamment, aux revues de Joséphine Baker qui les font s’éveiller à ce que Jane appelle, la « conscience noire » et qui la fera réagir dans le numéro d’octobre 1928 de « La Dépêche africaine » qu’elle a rejoint, et dans laquelle elle publie un essai intitulé « Pantins exotiques ». Elle y discute de la fascination parisienne pour les femmes noires et leur « exotisation » et appelle les intellectuels noirs à résister à l’altérisation de leur travail, particulièrement illustré par les stéréotypes véhiculés dans les spectacles comme ceux de Joséphine Baker.

Jane décrit également des concepts pivots qui seront au centre des débuts du mouvement de la négritude : la communauté internationale, la conscience de race afro-latine, le nouveau noir francophone, et le noir d’après-guerre. Elle aborde également la construction d’une identité diasporique noire qui refuse de renoncer à son héritage afro-latin et à son héritage africain.

Des activités militantes

A Paris, Paulette Nardal fonde en 1931 avec l’écrivain haïtien Léo Sajous et le guyanais René Maran, « La Revue du Monde Noir », éditée en français et en anglais. Ses sœurs, Jane et Andrée sont également des contributrices de la revue. L’objectif : « créer entre les noirs du monde entier, sans distinction de nationalité, un lien intellectuel et moral, défendre plus efficacement leurs intérêts collectifs et illustrer leur race. » La revue cesse de paraître en 1932, après seulement six numéros bimestriels.

Elle devient secrétaire du parlementaire martiniquais socialiste Joseph Lagrosillière puis de Galandou Diouf, député du Sénégal en 1934. En 1937, elle se rend au Sénégal sur l’invitation de son ami Léopold Sédar Senghor et dénonce l’invasion de l’Éthiopie par l’Italie fasciste en 1938.

Pour le droit des femmes antillaises

Une fois la parution de l’ordonnance du 21 avril 1944 qui accorde le droit de vote aux femmes, Paulette Nardal crée le « Rassemblement féminin » en 1945, initiative destinée à inciter les femmes martiniquaises à exercer ce nouveau droit et à aller voter le 20 avril 1945, et sa revue « La femme dans la cité », milite pour l’entrée des femmes, notamment antillaises, en politique, et pour l’obtention du droit de vote. Elle collabore également aux journaux : « La Paix » et « L’Information » et s’affilie à « l’Union Féminine Civile et Sociale » dont le rôle était de permettre aux femmes d’exercer et d’assumer pleinement leurs droits, notamment le droit de vote.

Paulette part ensuite pour les États–Unis, où elle devient la secrétaire particulière de Ralph Bunche, 1er afro-américain Prix Nobel de la Paix en 1950, militant pour les droits civiques, ami de Martin Luther King, Il la fit ensuite entrer à la récente ONU, où elle devint pour une année et demi, déléguée à la section des territoires autonomes.

En parallèle, Jane Nardal retournée en Martinique en 1929, musicienne comme sa mère, y organise une conférence sur « Le Chant nègre aux États-Unis », mettant l’accent sur l’influence du « Blues ». Elle se spécialise ensuite sur les racines et influences de la musique noire-caribéenne, tout en poursuivant avec succès une carrière d’enseignante dont deux ans au Tchad. Toujours militante, elle fait face à de nombreuses difficultés pour conforter une carrière politique et en 1956, un individu incendie la maison familiale en réaction à ses activités, brûlant un nombre considérable d’écrits et de correspondances avec Paulette. Quatre ans plus tard, elle se retirera de la vie publique.

Honorée

Paulette sera faite Officier des Palmes Académiques et Chevalier de la Légion d’Honneur pour son engagement. Léopold Sédar Senghor lui décernera le titre de Commandeur de l’Ordre National de la République du Sénégal. À Fort-de-France, l’ancienne place Fénelon porte maintenant son nom.