La valeur n’attend pas l’âge dit l’adage. Elsa Jaubert est jeune, et alors qu’elle poursuit un Master 2 à la célèbre école Audencia, l’ultramarine a ouvert sa propre boîte : une plateforme qui met en relation des voyageurs et des acheteurs.
À 24 ans, Elsa Jaubert affiche un parcours déjà impressionnant. Jeune entrepreneuse, elle a rejoint la ville de Nantes il y a quelques années pour poursuivre ses études. Loin de Tahiti, de la famille et des amis, elle intègre la bien renommée école Audencia. De là, elle enchaîne les expériences professionnelles à l’étranger. Elle intégrera même, le temps d’un échange, un cursus d’entreprenariat au sein de la prestigieuse Berkeley. C’est à ce moment qu’il vient à la tête d’Elsa une idée qui devrait séduire plus d’un ultramarin, eShipp. Le principe est simple, eShipp est une plateforme qui met en contact un acheteur et un voyageur. Le premier, qui souhaite se faire ramener un produit de Tahiti ou de France, se met en contact avec le second, qui transportera son produit moyennant rémunération. Pour l’heure, la plateforme se concentre sur le marché polynésien, mais Elsa ne veut pas s’arrêter là, « l’idée est d’étendre graduellement le service à d’autres destinations ». Dans les autres Outre-mer, on attend que ça !
Peux tu en quelques mots te présenter ; ton parcours, d’où viens tu, qu’est-ce qui t’as amené à Nantes ?
J’ai grandi à Mayotte, à La Réunion mais majoritairement Tahiti. J’ai passé mon Bac S au Lycée Paul Gauguin à Papeete, puis je suis allée en France faire une classe préparatoire aux grandes écoles HEC. Après avoir passé les concours, j’ai intégré Audencia Business School, qui est à Nantes. A Audencia, j’ai suivi un parcours un peu atypique car j’ai arrêté mes études pendant un an pour faire un tour du monde à vocation journalistique. Après mon retour j’ai fait un an de stage, dans une banque à Paris et à la direction financière de Médecins Sans Frontières, à Genève. Ensuite je suis allée étudier, à Berkeley, l’entrepreneuriat dans le cadre d’un échange universitaire. C’est depuis Berkeley que j’ai commencé à travailler sur eShipp. Je suis revenue à Tahiti entre Berkeley et mon retour à Nantes en dernière année pour développer eShipp.
D’où t’ai venu l’idée d’une telle plateforme ?
De deux constats : le premier, les Polynésiens de France manquent de certains produits locaux, sur le plan affectif essentiellement. Un peu comme une « madeleine de Proust ». J’y était confrontée moi-même ainsi que mes amis. Deuxièmement, nombreuses sont les demandes de Polynésiens qui veulent qu’on leur ramène tel ou tel produit de France ou d’ailleurs. eShipp a la vocation de rendre plus accessible et plus sécurisée cette pratique informelle qui consiste à se faire ramener par un ami ou une connaissance un produit auquel on n’a pas accès quand on est en France ou quand on est à Tahiti.
Comment faisais-tu pour te procurer des produits de Tahiti ?
Quand mes parents revenaient pendant les vacances (jamais plus de deux fois par an donc), avec des amis, ou alors je faisais des stocks en rentrant moi-même de vacances !
Tu révèles dans un entretien à Tahiti Infos avoir eu quelques difficultés, quelles ont été ces difficultés ? Logistiques ? Douanes ? Entourage ?
Je crois que les difficultés, c’est un peu le lot de quiconque se lance dans l’aventure entrepreneuriale ! J’en ai donc rencontré plusieurs moi aussi. Sans être exhaustive, je pense que la principale difficulté de l’entrepreneur, c’est la solitude morale dans le projet. En effet j’étais à l’origine de l’idée, c’était donc à moi de piloter sa mise en place et de supporter le poids des responsabilités sur mes petites épaules ! Même si Karl, mon associé et développeur, a été d’un soutien et d’une aide indispensable dans ce processus, mais sa mission était essentiellement technique. Je devais donc gérer toute la partie commerciale et administrative (pour faire simple). Or, j’étais à Tahiti, donc mes professeurs et “coach” en entrepreneuriat n’étaient pas à mes côtés pour me guider. Donc j’ai dû me débrouiller entièrement seule sur plusieurs missions : organisation du temps de travail, hiérarchisation des tâches à effectuer, démarches administratives et légales… Il a fallu que je fasse de nombreux choix et donc en assumer la responsabilité. J’ai traversé (et je continue) des phases de doute, de nombreuses remises en question. Monter une société n’est pas une démarche forcément facile et dont on peut partager l’expérience avec de nombreuses personnes. Donc on se sent seul(e) face à ces problématiques en se disant que personne ne peut réellement comprendre ce qu’on est en train de traverser. Bon bien sur ce n’est pas tout à fait vrai, ensuite se confronter à ces difficultés et les surmonter est très instructif et fait énormément grandir. J’ai beaucoup appris, et même si mes amis me proposaient de les rejoindre à la plage alors que je stressais sur ces problématiques, je ne regrette pas du tout !
Es-tu seule dans ce projet ou as-tu des gens sur qui compter ?
Je ne suis pas seule, comme je disais précédemment, j’ai un associé : Karl Stein. C’est lui qui a codé tout le site ! Sans lui, rien n’aurait été possible ! Karl a fait et continue de faire de l’excellent travail. Et en dehors de ses compétences techniques, c’est quelqu’un de fiable sur qui je peux réellement compter. C’est très important dans une association. Ensuite étant de retour à Audencia, je suis, pour le dernier semestre de mon Master 2, une spécialité en entrepreneuriat. Ainsi, j’ai accès aux expertises de nombreux enseignants et professionnels pour m’aider. De plus, Marion Poullain, qui est étudiante dans ma spécialisation, travaille ce semestre avec moi comme soutien sur eShipp. Elle n’est jamais allée à Tahiti et n’a rejoint le projet que 5 mois après sa création donc elle apporte un regard extérieur très précieux ! Elle m’aide sur la mise en place d’un plan marketing et de communication, son travail est de qualité et elle est très motivée par le projet. C’est une vraie valeur ajoutée. Enfin, je peux toujours compter sur mes proches, amis et famille, qui me soutiennent toujours ! Ils sont géniaux !
Peux-tu d’ores et déjà tirer un bilan de ce projet ? Comment comptes-tu faire évoluer cette plateforme ?
Etablir un véritable bilan est, je pense, prématuré. Je peux tirer un bilan sur le processus de création et de lancement, mais, à part sur le plan des compétences personnelles, ce n’est pas le plus intéressant à présenter. Nous avons un peu plus de 150 inscrits et déjà eu quelques transactions, c’est positif, mais il reste tant à faire ! Le but d’eShipp est de grandir. Tahiti-France, c’est un marché de niche, la cible est limitée. Mais c’est un bon test ! Et puis c’est l’appartenance du site et de ses créateurs ! Mais l’idée est d’étendre graduellement le service à d’autres destinations.
Tu sembles très attirée par l’économie collaborative, quelle est selon toi sa place dans des marchés petits et restreints comme les îles, les territoires d’Outre-mer ?
Je considère l’économie collaborative comme la réponse, ou du moins l’adaptation du marché à des contraintes ou une situation économique donnée. C’est aussi une manière pour les consommateurs d’utiliser des ressources disponibles et de les optimiser dans un système gagnant-gagnant. L’idée est donc de partager ces ressources. Les prix des taxis sont prohibitifs et ils sont désagréables ? Uber ! J’ai une voiture, je fais un long trajet et m’acquitte des frais de péage et d’essence seul(e) alors qu’il me reste 4 places de libre ? Blablacar ! C’est aussi une forme de retour vers l’économie de village dans un espace pourtant mondialisé. C’est utiliser les outils modernes (du web notamment) pour rapprocher des individus que l’internationalisation des sociétés a éloigné et créer un “village monde”. Dans le cas des petits marchés comme ceux des îles par exemple, l’économie collaborative a moins de sens aux premiers abords, puisque “tout le monde se connaît” et par conséquent les rapports sociaux sont plus bienveillants et on a davantage de facilité à faire confiance que dans un pays de 65 millions d’habitants ! Cependant, avec l’augmentation de la population et des échanges, l’économie collaborative permet toujours une facilitation de la mise en contact d’individus qui peuvent se rendre service mutuellement. Donc bien que les contraintes des marchés restreints ne soient pas les mêmes que celles des marchés à fort potentiel, les outils collaboratifs ont à mon sens tout à fait leur place dans les territoires d’outremers.
Tu partage ta vie entre Tahiti et la France, est-ce difficile pour toi ? Comment gérer un tel projet tout en étant mobile ?
J’ai passé mon bac en 2008 et je suis partie peu après. La première année, l’adaptation a été très difficile dans la mesure où je n’avais jamais vécu en France ! Mais depuis, je me suis faite à la vie en Europe. Donc c’est vrai que je suis assez partagée, je pense à Tahiti tous les jours quand je n’y suis pas ! Mais je ne dirais pas que c’est difficile, j’essaye davantage de considérer cette double appartenance comme une chance : tous les Polynésiens n’ont pas la chance de venir étudier en Europe quelques années et tous les européens n’ont pas la chance d’avoir grandi dans un endroit aussi merveilleux que Tahiti ! Pour la gestion du projet VS mobilité, ce n’est pas compliqué. J’ai toujours eu l’habitude d’être mobile dans ma vie, donc ça ne me pose personnellement pas de problème. Et comme il s’agit d’un site Internet, la plupart de notre travail avec Karl et Marion est dématérialisé donc c’est facile d’échanger de l’information. Le décalage horaire n’est pas toujours ce qu’il y a de plus pratique, mais on s’arrange ! C’est plus pour les échanges avec les partenaires que c’est mieux d’être présent, il faut s’adapter.
Quels conseils pourrais-tu donner à de jeunes entrepreneurs ?
Entreprenez ! C’est une expérience fantastique ! Et avoir une bonne idée, ça ne vaut rien du tout, ce qu’il faut c’est tout faire pour la faire voir le jour ! Bon maintenant, je ne pense pas avoir suffisamment de recul et de maturité pour me permettre de donner des conseils, je suis moi-même une jeune entrepreneur ! Mais je trouve que ce qui est très important, quand on se lance dans l’aventure entrepreneuriale, c’est de rester pragmatique et humble.
Qu’est-ce qui te plaît à Nantes ?
C’est une ville jeune, étudiante, qui bouge beaucoup et chargée d’histoire. J’habite dans la vieille ville et je suis sûre que mon immeuble date du Moyen Age ! Je trouve ça complètement génial. C’est fou d’imaginer tout ce que ces murs ont pu voir en tant de siècles, ça me transporte ! La ville est très piétonne (je n’aime pas les voitures), pavée, avec une belle architecture. Les nantais sont agréables à vivre. C’est une porte d’ouverture sur la Bretagne, qui est une région fabuleuse… et un peu magique aussi.
Qu’est-ce qui te plaît à Tahiti ?
Tout ! J’aime tellement Tahiti ! Au cours de mes voyages, je n’ai pas trouvé d’endroit que j’aime autant. Ce qui me fascine le plus à Tahiti, c’est la culture « Maohi », restée forte et fière, comme nulle part ailleurs. Et cet aspect humain, au delà des paysages fabuleux, teinte Tahiti d’une ambiance mythique et mystérieuse, unique. L’endroit que je préfère c’est toute la route depuis la vallée de la Papenoo jusqu’à la Presqu’ile : sable noir, falaises, montagnes quasi-vierges, végétation luxuriante, pas de récif, mer agitée, ciel souvent gris, chargé de pluie. Paysage lugubre et romantique, déchiré, presque inquiétant, et à la fois si grandiose ! J’adore ! Mais aussi le lagon chaud et les poissons des îles… J’y passerai ma vie !
Quels sont les produits que tu fais le plus souvent ramener ?
Consommer des produits de Tahiti en France, c’est avant tout sentimental. Tout me fait plaisir ! Mais c’est vrai que j’ai un petit faible pour les « Rings » orange-fluo (Chips) qu’on trouve dans les paquets mauves et pour le Rotui ananas (marque locale de jus de fruits frais) !
Quels sont les produits les plus transportés par eShipp ?
C’est vraiment très varié. Les produits qui sont demandés vers la France sont tous les produits typiques polynésiens. Mais vers Tahiti, ça peut être vraiment tout et n’importe quoi ! De la robe Abercrombie, à la cire de soja en passant par les pièces automobiles, les demandes sont vastes !