En décembre 2017, l’union nationaliste menée par Gilles Simeoni et Jean-Guy Talamoni remporte les élections territoriales ©Pascal Pochard-Casabianca / AFP
Après leur victoire aux élections territoriales de la Corse en décembre dernier, l’autonomiste Gilles Simeoni et l’indépendantiste Jean-Guy Talamoni rencontrent ce lundi 22 janvier le Premier Ministre Edouard Philippe à Matignon. L’objet de cet entretien : la présentation d’un rapport de Wanda Mastor, Professeure de Droit constitutionnel, plaidant en faveur « d’un nouveau statut constitutionnel de la Corse », « lui accordant l’autonomie législative dans certaines matières ». Contacté par la rédaction d’Outremers360, Jean-Guy Talamoni explique l’enjeu de ce nouveau statut.
La Corse va-t-elle vers un statut constitutionnel propre à elle-même ? C’est en tout cas le souhait de Gilles Simeoni et Jean-Guy Talamoni, dont l’union a abouti à une nette victoire nationaliste lors des élections territoriales corses de décembre 2017. Forts de cette victoire électorale mais aussi d’une délibération allant dans ce sens et votée à la quasi-unanimité par la précédente Assemblée corse, les deux leaders nationalistes présentent ce lundi après-midi un rapport plaidant pour « un nouveau statut constitutionnel de la Corse ». « Un statut lui accordant l’autonomie législative dans certaines matières, qui n’entraverait pas le principe de l’indivisibilité de la République, et serait conforme à la tendance décentralisatrice française et européenne. A cette fin, l’ajout d’un nouvel article 74-2 de la Constitution est proposé », indique en introduction ce rapport élaboré par Wanda Mastor, professeure de Droit constitutionnel. Le rapport s’appuie notamment sur « la voie tracée par l’Outre-mer » et cite, à plusieurs reprises, les exemples de la Polynésie ou de la Nouvelle-Calédonie.
« Cette révision constitutionnelle doit être l’occasion de reconnaître la spécificité de la Corse et de l’inscrire dans la Constitution », demande @Gilles_Simeoni #VeRepublique #PolMat pic.twitter.com/j224gUdde8
— LCP (@LCP) 22 janvier 2018
Pour la Corse, le rapport souligne la nécessité « d’une nouvelle catégorie aux côtés de celles des articles 72, 73 et 74 » et donc, l’introduction « d’un dispositif constitutionnel (…) qui citera la Corse », nous explique Jean-Guy Talamoni. « Ce que nous voulons, c’est que ce dispositif introduit dans la Constitution française cite la Corse et dise les domaines dans lesquels la Corse aura des droits propres à elle-même », poursuit-il, « s’il y a un enjeu essentiel dans les semaines qui viennent, c’est de faire reconnaître et d’obtenir l’insertion de ce dispositif ». Concernant les domaines de compétence, le rapport cite surtout la question linguistique, la question foncière et la question fiscale. Et pour obtenir ce nouveau statut spécifique, Gilles Simeoni et Jean-Guy Talamoni veulent saisir l’opportunité d’une modification de la Constitution, nécessaire à son établissement et mainte fois avancée par le Président de la République. Ce dernier doit notamment se rendre en Corse le 6 février.
« Rompre avec une forme d’uniformité de traitement »
« Il semble qu’il y ait une décision qui ait été prise par le Président de la République de réviser la Constitution et notamment les articles qui concernent les Collectivités à statut particulier (articles 72, 73 et 74, ndlr) », confirme Jean-Guy Talamoni. Le rapport cite également les nombreux discours dans lesquels le Président de la République se dit favorable à une modification de la Constitution pour « rompre avec une forme d’uniformité de traitement » (discours du 100ème Congrès des maires de France). « Nous avons donc besoin d’adapter aujourd’hui les normes, les capacités normatives pour répondre aux défis de nos territoires », insistait alors Emmanuel Macron. Le Président de la République souhaite notamment, pour les territoires de droit commun, passer du droit à l’expérimentation au droit à la différenciation. Mais pour Jean-Guy Talamoni, « cela ne suffit pas », l’avenir de la Corse passe par un statut spécifique. Le Président de la République, alors candidat, assurait être « ouvert au dialogue » (discours à Furiani du 7 avril 2017), « mais cette collectivité sera d’abord ce que les Corses choisiront d’en faire ». Ce choix, les Corses semblent l’avoir fait lors des territoriales de décembre.
Quoi qu’il en soit, Gilles Simeoni et Jean-Guy Talamoni viennent devant le Premier Ministre avec un argumentaire bien ficelé : un rapport implacable, des tendances à la décentralisation qui se vérifient au plan local, national et européen, des victoires électorales et un élan qui anime une bonne partie de la classe politique corse, même en dehors des nationalistes. « Nous avons la bénédiction d’une très large majorité qui dépasse notre majorité territoriale. Au-delà de la famille nationaliste, il y a une grande partie de l’opposition qui est pour l’introduction de la Corse dans la Constitution », assure Jean-Guy Talamoni. « Il faut profiter de l’occasion pour que la Corse soit citée expressément avec les domaines dont elle pourra déroger », conclut-il. Si ce nouveau statut abouti, la Corse rejoindrait alors la famille des « Collectivités à statut particuliers » et des Collectivités d’Outre-mer, mais sous un dispositif qui lui sera bien spécifique.
Rapport Mastor sur le statut constitutionnel de la Corse
L’article 74-2 tel que proposé par le rapport Mastor:
« La collectivité de Corse régie par le présent article a un statut qui tient compte de ses spécificités au sein de la République.
Ce statut est défini par une loi organique, adoptée après avis de l’Assemblée de Corse, qui fixe les compétences de cette collectivité et les conditions dans lesquelles les lois et règlements y sont applicables. Le transfert des compétences de l’Etat porte sur les matières fiscale, foncière et linguistique, précisées et complétées, le cas échant, par la loi organique. Les textes de forme législative votés par l’Assemblée de Corse ne peuvent en tout état de cause porter sur les matières énumérées au quatrième alinéa de l’article 73.
La loi organique détermine les conditions dans lesquelles les textes de forme législative adoptés par l’assemblée délibérante de la collectivité de Corse pourront être soumis avant publication au contrôle du Conseil constitutionnel.
Toute modification par la loi de l’organisation de la collectivité de Corse ne peut se faire qu’après la consultation de son assemblée délibérante ».
Toujours selon ce rapport :
« Au niveau constitutionnel, la Corse possède, aujourd’hui, un statut équivalent à celui de la métropole de Lyon. Le décalage existant entre l’évolution législative de cette collectivité devenue unique au premier janvier 2018 et l’absence de consécration constitutionnelle de sa spécificité n’est pas que décriée par les insulaires et leurs représentants. Elle constitue une incohérence institutionnelle qui met en danger l’équilibre du texte constitutionnel ».