©Bertrand Langlois / AFP
Alors que le Premier ministre Edouard Philippe vient d’annoncer les « grands axes du plan de rattrapage et de développement de Mayotte », le think tank Les Alyzées présente, dans une tribune, les « trois urgences » qui « s’imposent pour sortir du piège mahorais et construire une sortie de crise ».
Durant plus de sept semaines, les Mahorais ont bloqué leur île pour attirer l’attention : manifestations, barrages de routes, blocage du port… Le dernier né des départements français reste en ébullition.
La vérité, c’est que Mayotte doit faire face, depuis des années, à des vagues régulières et nombreuses de migrants en provenance des Comores, plus particulièrement de l’île d’Anjouan, qui viennent chercher à Mayotte l’espoir d’une vie meilleure. Sur les 265 000 habitants de Mayotte, 85 000 environ sont des étrangers, pour la grande majorité des Comoriens, dont la moitié en situation irrégulière. Pour les Comoriens, Mayotte, le plus pauvre des départements français, fait figure d’eldorado. La vérité, c’est aussi que, depuis 1841, la France a peu investi dans les services publics de base : ainsi, ce n’est qu’en 1963 que le premier lycée a été ouvert à Moroni et seulement en 1983 que 16 élèves ont pu passer le baccalauréat à Mayotte.
Les conséquences sont très lourdes pour la population mahoraise : le territoire est saturé ; l’eau potable manque ; le nombre d’écoles est à ce point insuffisant que certains enfants n’ont classe qu’à tour de rôle ; le service public hospitalier, avec près de 30 accouchements par jour à la maternité de Mamoudzou, est engorgé et devient dangereux. Les bidonvilles sont légion, ce qui pourrait conduire à une catastrophe humaine sans précédent en cas de cyclone ou de glissement de terrain. L’insécurité atteint des niveaux si élevés que les Mahorais ne sortent plus de chez eux à la nuit tombée. Soyons francs : aucun autre territoire de la République ne pourrait supporter une telle situation. Trois urgences s’imposent pour sortir du piège mahorais et construire une sortie de crise.
La première urgence, c’est un rattrapage accéléré en matière d’infrastructures et de services publics. Selon la Cour des comptes, l’effort de l’État par habitant à Mayotte est encore très inférieur à celui des autres départements d’outre-mer. La marche est haute mais des financements publics sont disponibles : 700 millions € contractualisés avec l’Etat et l’Union européenne sur la période 2014-2020. Il faut s’en saisir, et pour cela, il est urgent de mettre en place des capacités d’expertise et d’assistance à maîtrise d’ouvrage, pouvant aller jusqu’à de véritables délégations temporaires de maîtrise d’ouvrage (renforcement des services déconcentrés de l’Etat et AFD). Il serait cependant naïf de penser que le développement induit par ce rattrapage doit être conduit de manière analogue à celui d’un département hexagonal tel la Vendée ou les Ardennes : il doit être adapté à la géographie mahoraise.
La deuxième urgence, c’est la maîtrise des flux migratoires en provenance des Comores, qui ne peut se réaliser qu’avec une action diplomatique intense et constructive avec le gouvernement des Comores. C’est une nécessité pour contribuer plus largement au développement des Comores et diminuer l’arrivée de Comoriens.
– Il faut considérablement renforcer le niveau de notre aide au développement aux Comores : 7 à 8 millions € par an, c’est très insuffisant. Historiquement, les relations sont très intenses entre les familles comoriennes et mahoraises : aucune mer, aucun mur ne saurait arrêter des populations à la recherche de conditions de vie meilleures, et Mayotte fait partie de l’un des états les plus riches du monde. L’intérêt de chacun, c’est bien que l’écart de développement entre Mayotte et les Comores se réduise et que les deux territoires progressent ensemble. Et il y a urgence : l’appel d’air sur la population des Comores risque encore de croître avec l’augmentation des transferts publics à Mayotte. La France doit donc s’engager résolument dans le développement des Comores.
– La contribution de la France à ce développement devra comporter des contreparties strictes en termes de contrôle des flux migratoires, en particulier au départ d’Anjouan. Les autorités des Comores, qui n’ont jamais accepté que Mayotte fasse le choix de rester française, peuvent arrêter cette catastrophe humanitaire. Elles doivent cesser d’instrumentaliser leur population, en particulier les naufragés des kwassa-kwassa entre Anjouan et Mayotte (7 000 à 10 000 morts depuis 1995). La France pourrait défendre auprès des autorités comoriennes, la création d’un « hotspot » à Anjouan, sur le modèle de celui annoncé par le Président Macron pour la Libye. Elle pourrait simultanément renforcer la surveillance des côtes mahoraises par un centre avancé (Mtzamboro) pour prévenir l’immigration illégale et traquer les « bateaux de la mort » entre Anjouan et Mayotte. Les reconduites à la frontière pourraient être enfin effectives à l’aide, par exemple, de « patrouilles mixtes » franco-comoriennes.
– Parallèlement, dans le cadre d’un accord global franco-comorien, des mesures complémentaires pourraient améliorer et mieux réguler les relations avec les Comores : extension de l’aide publique à la réinsertion attribuée aux étrangers clandestins ; mise en place d’une aide à la création d’entreprise, sur le modèle prévu pour Haïti après 2010 ; création d’une antenne pré -natale aux Comores pour assurer le suivi des femmes enceintes…
La troisième urgence, c’est la restauration d’un état de droit et des sécurités dont sont privés les Mahorais. Outre le renforcement en cours des forces de sécurité, cela passe par la consolidation des missions régaliennes et de contrôle de l’Etat : contrôle de légalité, lutte contre le travail clandestin et l’habitat illégal, contrôle des documents de complaisance (certificats d’hébergement, reconnaissance de paternité). La sécurité repose aussi sur la vigilance de chacun des mahorais, au travers en particulier des conseils locaux de sécurité et de prévention de la délinquance. Cette implication au quotidien dans une politique pro- active de sécurité exclut les dérives que sont les « décasages », intolérables dans la République. L’action pénale doit être conduite sans faiblesse et dans un souci d’exemplarité à l’encontre de ceux qui profitent du système (passeurs, marchands de sommeil, trafiquants…).
L’affectation de personnels qualifiés dans les services de l’Etat est une des conditions de restauration effective de l’état de droit à Mayotte. Or, beaucoup de postes restent vacants. Pour compenser le manque d’attractivité, un coup de pouce dans les déroulements de carrière pourrait y remédier. Enfin, s’agissant des mineurs isolés (entre 5 000 et 15 000), l’Etat et le Département doivent faire encore davantage pour « resocialiser » nombre de ces jeunes. Cela suppose à la fois des moyens et une volonté sans faille des pouvoirs publics pour faire admettre ces jeunes dans les écoles et collèges dont ils ont pu être chassés précédemment. En outre, sur le modèle des « cadets de la République », une structure de « cadets du SMA » pourrait contribuer à cette resocialisation.
La voie est étroite entre une tentation strictement sécuritaire, dictée par l’urgence et l’impatience sociale, et un développement inadapté aux réalités mahoraises. Rattrapage des infrastructures et services publics à Mayotte, co-développement des Comores et régulation des départs, restauration de l’Etat de droit et des sécurités, tels sont les trois axes autour desquels devrait s’organiser la sortie de crise à Mayotte. Au-delà, il faudra s’attacher à la consolidation de la collectivité mahoraise, au cœur de l’océan indien, afin que nos compatriotes puissent s’approprier un avenir plus serein.
Think Tank les Alyzées.
« Les Alyzées sont un groupe de réflexion créé en 2018 avec l’ambition d’alimenter, par ses contributions, le débat sur la transformation de l’action publique Outre-mer, sur la promotion de l’égalité des chances et sur le développement économique et social de ces territoires. Il est composé de femmes et d’hommes ayant exercé ou exerçant toujours des responsabilités de premier plan Outre-mer ».