« L’inclusion ne se décrète pas : elle se planifie, et nous demandons aux acteurs publics de nous permettre de faciliter les passerelles entre cet écosystème de l’insertion vers celui de l’économie marchande », écrit Éric Leung, président de la CPME Réunion, dans une tribune publiée sur Outremers360.
On dénombrait 134.000 chômeurs à La Réunion, en 2019. C’est une diminution du taux de chômage de 3 points par rapport à 2018 mais nous restons toutefois largement au-dessus de la moyenne française (8,4 %).
La situation s’est dégradée depuis, puisqu’au deuxième trimestre 2020, le nombre de demandeurs d’emploi de catégorie A s’est établi en moyenne sur le trimestre à 140.020 personnes, soit une augmentation de 5,6 %. Ce mauvais chiffre nous ramène presqu’au même niveau qu’en 2018, effaçant une année d’efforts dans la lutte contre le chômage.
Les jeunes de 15 à 29 ans sont particulièrement frappés par cette situation : leur taux d’activité est passé de 51 % à 47 % et ils sont de plus en plus nombreux à ne plus souhaiter travailler ou à ne plus faire de démarche active de recherche d’emploi. Une réalité d’autant plus inquiétante lorsqu’on sait que 43 % des 18-25 ans sont, à La Réunion, sans emploi ni formation contre 8,9% en métropole.
Les entrepreneurs réunionnais ne peuvent se satisfaire de cette situation alors que nous affirmons mettre le chef d’entreprise comme moteur du développement sociétal. Le simple principe de réalité nous oblige à nous mobiliser, en particulier pour ces jeunes.
Des solutions existent déjà. Ainsi, le repérage de ces publics dits « invisibles » est un enjeu décisif du plan national d’investissement dans les compétences (PIC), qui vise à former et accompagner vers l’emploi un million de jeunes et un million de demandeurs d’emploi peu qualifiés.
A La Réunion, l’enveloppe allouée au Pacte régional d’investissement dans les compétences (PRIC) est de 390 millions d’euros sur la période 2019/2022 pour des milliers de bénéficiaires potentiels. L’enjeu est de prendre contact et de remobiliser des individus parmi les plus vulnérables, parfois éloignés des institutions sociales ou du service public de l’emploi.
En réponse à cet enjeu, nous propositions déjà l’année dernière des orientations pour un CAP – Contrat pour un avenir partagé devant permettre de mobiliser nos entreprises pour accompagner la mutation de nos sociétés. Nous nous sommes mobilisés en ce sens avec l’OPCO-EP (ex Agefos) sur le Contrat Boussole et avons renforcé notre partenariat avec le Régiment du Service Militaire Adapté (RSMA) de La Réunion dont les actions sont exemplaires.
Avec la crise COVID, nous persistons dans cette voie qui nous semble la plus pertinente. Nous pensons plus que jamais que l’insertion n’est pas une fin en soi mais un moyen qui passe par un dialogue renforcé entre deux mondes : celui des sans-emploi et celui des entreprises.
Nous avons décliné cette conviction en travaillant avec les acteurs de l’insertion par l’activité économique, notamment au sein de l’URSIAE Réunion (Union Régionale des Structures d’Insertion par l’Economique), pour un rapprochement avec les entreprises dites traditionnelles. Nous animons ainsi un groupe de travail avec les entreprises de l’Union des Entreprises du paysage de La Réunion (UNEP) et celles de l’UHPR (Union des Horticulteurs et Pépiniéristes de La Réunion). Il est important que ces deux mondes qui se croyaient en concurrence, puissent se connaître, se reconnaître, se comprendre et apprendre à travailler ensemble. Notamment sur des projets d’inclusion, permettant d’allier l’objectif d’un parcours d’insertion vers l’intégration dans des entreprises dites marchandes.
Il s’agit, à partir de l’expression des besoins de nos entreprises, d’accompagner les acteurs de l’insertion par l’activité économique vers une intégration efficace dans la vie active, notamment en renforçant le « savoir être » des demandeurs d’emploi. Pour le public des plus éloignés de l’emploi, le « savoir être » revêt une importance aussi grande que le « savoir faire ».
Autre point important, parmi les jeunes « invisibles », ceux en situation de handicap font face à des difficultés accrues. Souvent sortis du système scolaire du fait d’un décrochage scolaire plus massif et précoce en raison de leur handicap, d’un manque d’accès à la scolarisation dans les établissements médico-sociaux et des difficultés de transition entre le système éducatif et le monde du travail, les jeunes en situation de handicap sont plus souvent des « décrocheurs » peu ou pas qualifiés et souvent sans solution de formation. Pire, nombre d’entre eux ne disposent pas d’une reconnaissance administrative de leur handicap.
Parce que cette situation nous semble intolérable, nous allons engager une ambitieuse politique de mobilisation de nos entreprises en partenariat avec l’AGEFIPH (Association de Gestion du Fonds pour l’Insertion Professionnelle des Personnes Handicapées).
L’ensemble de nos actions exigent toutefois un changement de regard et de pratiques dans les politiques publiques pour l’insertion. On observe en effet que parmi les (trop) multiples dispositifs visant à favoriser l’inclusion des personnes éloignées de l’emploi, peu se préoccupent de la capacité de nos entreprises à accueillir ces personnes fragiles.
Le discours général laisse croire qu’il suffit de subventionner le coût de l’emploi pour susciter l’embauche. Ce raccourci réducteur, outre le fait qu’il sous-entend que la subvention serait la seule motivation de nos entrepreneurs, ignore le fait qu’une entreprise recrute d’abord un collaborateur dont elle a besoin. Nos entrepreneurs ne sont pas des « chasseurs de prime » mais sont des acteurs responsables qui s’engagent pour l’intérêt général, pour une augmentation des compétences du territoire et pour un climat social apaisé.
Comme de nombreux rapports d’évaluation l’ont montré, il est urgent de mieux mobiliser l’environnement socio-éco-institutionnel global, par exemple, en facilitant le recrutement de « chargés de relation/entreprises qui interviendraient pour prospecter les entreprises en fonction des profils des publics, s’assurer de la bonne intégration sur le poste de travail et assurer un suivi long dans l’emploi. Une plus grande capacité à assurer une réelle médiation auprès des employeurs pourrait conduire à infléchir les termes de ses offres d’emploi pour tenir mieux compte de ses besoins réels, de ses capacités de professionnalisation et de la réalité de la main d’œuvre présente sur le territoire.
Comme le Plan « 10 000 entreprises pour l’inclusion et l’insertion professionnelle » nous y engage nous demandons une large association des réseaux d’entreprises engagées. Il faut favoriser « les échanges pour inspirer, mutualiser et multiplier les actions concourant à une croissance inclusive ».
L’inclusion ne se décrète pas : elle se planifie, et nous demandons aux acteurs publics de nous permettre de faciliter les passerelles entre cet écosystème de l’insertion vers celui de l’économie marchande. Nous y contribuerons notamment en partageant nos besoins en main d’œuvre. Mais aussi en tâchant de redonner du sens au savoir-être en entreprise, autant qu’au savoir-faire et à la valeur « travail »
C’est notre façon de refaire Nation et de nous conforter dans un syndicalisme de projets, d’actions et de proximité et non d’appareil.
Éric Leung, président de la CPME Réunion.