Tribune: Le report du second tour des élections municipales n’est pas contraire à la Constitution »

Tribune: Le report du second tour des élections municipales n’est pas contraire à la Constitution »

Il n’y a pas dans la Constitution de la Ve République de règle formelle sur l’organisation du vote. Elle se borne à poser que le scrutin est « toujours universel, égal et secret », rappellent, dans une tribune au « Monde », le juriste Ferdinand Mélin-Soucramanien et le préfet Frédéric Potier. Outremers 360 vous publie cette tribune ci-dessous.

Le projet de loi d’urgence pour faire face à l’épidémie de Covid-19 comporte un article premier qui prévoit que le second tour des élections municipales, initialement fixé au dimanche 22 mars 2020, est reporté au plus tard au mois de juin. La date précise, possiblement le dimanche 21 juin, devra être fixée par décret. Dans le même temps, ce projet de loi prévoit que les élus désignés dès le premier tour le dimanche 15 mars entrent en fonctions immédiatement.

L’examen du projet de loi a commencé, vendredi 20 mars, à l’Assemblée nationale qui, pour des raisons aisément compréhensibles compte tenu des circonstances, siège en formation restreinte. En cette période troublée, même les pensées semblent s’obscurcir puisque certains constitutionnalistes affirment sans nuances que le report du second tour des élections municipales serait contraire à la Constitution. Il importe de souligner sans ambiguïté qu’il n’en est rien : le report du second tour des élections municipales n’est pas contraire à la Constitution !

Une question de circonstances

En effet, dans un Etat de droit, comme l’est la République française, la Constitution doit demeurer la boussole guidant invariablement l’action des pouvoirs publics, le « mètre suprême de la régularité juridique » comme l’écrivait Charles Eisenmann (1903-1980) au début du siècle dernier. Or précisément, la Constitution de la Ve République, contrairement à d’autres constitutions européennes, ne dit rien des modes de scrutin.
Elle se borne à poser dans son article 3, alinéa 3, que : « Le suffrage peut être direct ou indirect dans les conditions prévues par la Constitution. Il est toujours universel, égal et secret. » L’option du constituant en 1958 a d’ailleurs souvent fait l’objet de critiques au motif qu’elle ne placerait pas à l’abri des changements de volonté du législateur le choix du mode de scrutin et encore moins ses modalités pratiques telles que, par exemple, le délai entre les deux tours.

Aussi, en l’absence de règle constitutionnelle formelle, il est possible d’ergoter à l’infini sur le fait que les deux tours de l’élection doivent avoir lieu dans un délai rapproché, mais l’exercice est vain. Ce que la loi a fait à l’article L. 56 du code électoral en prévoyant qu’« en cas de deuxième tour de scrutin, il y est procédé le dimanche suivant le premier tour », la loi peut le refaire comme s’apprête à le faire l’article premier de la loi d’urgence pour faire face à l’épidémie de Covid-19. Ce que, en application de la loi, le décret du 4 septembre 2019 a fait en fixant la date du renouvellement des conseillers municipaux aux 15 et 22 mars 2020, un nouveau décret peut le refaire en convoquant les électeurs à un second tour à une date plus éloignée. Dans les deux cas, aucune atteinte à notre pacte fondamental, la Constitution, ne peut être alléguée.

Quant à la question de savoir si un écart de plusieurs semaines entre les deux tours du scrutin serait de nature à en altérer la sincérité, il s’agit d’une question de circonstances que seuls les tribunaux administratifs, compétents en vertu de l’article L. 248 du code électoral pour connaître du contentieux des élections municipales, puis éventuellement le Conseil d’Etat en appel, seront à même d’apprécier au cas par cas s’ils sont saisis.

Spéculations inutiles et dangereuses

Il n’existe pas de précédent d’un écart de plusieurs semaines entre les deux tours d’un scrutin municipal. Le seul cas connu en jurisprudence est celui du report du second tour de l’élection législative d’une semaine à La Réunion en 1973. A l’époque, le Conseil constitutionnel, saisi par Paul Vergès, avait jugé dans une décision du 27 juin 1973 que le report occasionné par une alerte cyclonique interdisant la circulation était justifié en raison de circonstances exceptionnelles et que la sincérité du scrutin n’avait pas été altérée.

C’est précisément sur cette notion de circonstances exceptionnelles que s’est basé le Conseil d’Etat pour rendre un avis positif sur le texte qui est examiné à compter d’aujourd’hui. S’il était saisi au contentieux d’une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) à l’occasion du contentieux des élections municipales, le Conseil d’Etat aurait toute latitude pour saisir le Conseil constitutionnel s’il jugeait ce questionnement sérieux (ce que nous contestons).

En d’autres termes, ni la représentation nationale, ni les contre-pouvoirs juridictionnels prévus par la Constitution ne se trouveraient dessaisis. Accorder du crédit à l’idée que la démocratie, locale comme nationale, pourrait être remise en cause par ce projet de loi d’urgence pour faire face à l’épidémie de Covid-19 nous semble nocif alors même que l’objet du texte est au contraire d’assurer une forme de continuité et d’éviter un « Etat à éclipses ».

En l’état, il est donc inutile et dangereux de se livrer à des spéculations fondées sur des considérations politiques, psychologiques, ou autres. Inutile, car cela revient à substituer sa propre appréciation à celle du juge administratif, qui, en toute hypothèse, statuera en droit et de manière souveraine. Dangereux, car instiller le poison du soupçon d’une manipulation politique au moment où la France traverse une crise sanitaire majeure relève au minimum d’un manque de sang-froid.

Ferdinand Mélin-Soucramanien (Professeur de droit) et Frédéric Potier (Préfet en mission de service public)