Tribune de Jean-Pierre Philibert : Compétitivité des Outre-mer : Le gouvernement est au pied du mur

Tribune de Jean-Pierre Philibert : Compétitivité des Outre-mer : Le gouvernement est au pied du mur

Crédits photo : Jacques Demarthon / AFP

« Depuis des semaines, le monde économique fait part de ses profondes inquiétudes sur la mise en place de la réforme des aides économiques à la compétitivité de nos entreprises ultramarines, notamment avec le nouveau régime d’exonérations de charges sociales patronales à l’article 8 du PLFSS ». Une tribune de Jean-Pierre Philibert, président de la Fédération des entreprises d’Outre-mer. 

Le Président de la République et le gouvernement à plusieurs reprises et notamment par la bouche du Premier ministre, se sont en effet engagés à ce que cette réforme s’effectue à « périmètre constant ». Or, dès le début, nous avons eu des doutes sur la réalité des chiffres qui étaient mis en avant, en particulier par la direction de la sécurité sociale. Rappelons-nous en effet que l’administration évaluait le CICE mobilisé outre-mer à 380 millions d’euros par an…

Nous avons dès lors décidé de recourir à une expertise extérieure pour nous aider dans cette démarche. Après appel d’offre, c’est le Cabinet Mazars qui a été retenu. Leur réputation et leur expertise incontestable nous ont permis de démontrer, dans un premier temps, que le montant du CICE outre-mer n’était pas de 380M€ mais de 537M€ (hors Mayotte). C’est « in fine » ce chiffre que le Gouvernement a finalement retenu et qui figure dans l’exposé des motifs de l’article 8 du PLFSS 2019.

Nous avions cependant le sentiment que ce qui nous était « concédé » d’un côté, pouvait être repris de l’autre dans le projet de loi de financement de la sécurité sociale. Nous avons donc prolongé la mission du Cabinet Mazars pour vérifier tout d’abord si en approche macro, « le compte y était ». Sur la base des calculs effectués par Mazars, nous avons également mis au point un simulateur (www.plfss.fr) afin que nous puissions tester, par secteur d’activité et par taille d’entreprise, ce que donnerait concrètement le PLFSS.

Les résultats de cette étude que nous allons rendre publique sont sans appel ! En « macro », la différence est de l’ordre de 180M€, ce qui est énorme. Rappelons également que le rapporteur du PLFSS à l’Assemblée nationale, Olivier Veran (LREM) pointe aussi dans son rapport que le « compte n’y est pas », même si, ne bénéficiant peut-être pas des chiffres exacts, il limite la perte en ligne à 66M€ : « Au final, les administrations publiques dans leur ensemble économiseront 66 millions d’euros, qui par construction n’iront plus alléger le coût du travail pour les employeurs »

Pis, en approche « micro », c’est à dire entreprise par entreprise, on constate que pratiquement tous les secteurs d’activité sont perdants, avec des écarts pouvant atteindre 30% par rapport à la situation actuelle. On est donc très loin du « périmètre constant » sur lequel le Gouvernement s’était engagé. On constate surtout, par le travail de simulation effectué très largement au niveau local, que le gouvernement s’est « trompé » dans la répartition moyenne des salaires par tranche d’activité pour les moins de 11 salariés, le BTP et les secteurs prioritaires.

Se doutant (et reconnaissant) que les chiffres en sa possession n’étaient probablement pas exacts, la ministre Annick Girardin qui, dans ce dossier difficile se bat avec énergie, a, lors de son déplacement à La Réunion, proposé que les acteurs économiques et les directions de Bercy, de la Sécurité sociale et de l’ACOSS se retrouvent à Paris pour une séance de travail le mardi 6 novembre.

Cette réunion a donc eu lieu en présence du conseiller outre-mer du Président de la République. Elle a surtout permis de constater l’extrême mauvaise volonté de l’administration de nous donner ses chiffres, que nous demandions depuis plusieurs semaines déjà, afin que nous puissions les confronter avec les nôtres. Après des discussions pour le moins « animées », le Directeur de Cabinet de la ministre des Outre-mer avait formellement demandé qu’ils nous soient communiqués au plus tard le jeudi 8 novembre.

Malheureusement, à l’heure actuelle, nous n’avons toujours pas reçu ces chiffres et nous ne sommes pas en mesure de vérifier s’ils correspondent bien à la réalité ou s’ils sont partiellement ou totalement « tronqués ». Ce « retard » et la mauvaise volonté affichée pour une confrontation transparente de nos données, nous conforte cependant dans l’idée que l’administration est dans l’incapacité de nous démontrer que nous avons tort.

A ce stade donc, et pour rentrer dans le concret, si le Gouvernement ne revoit pas sa copie pour respecter les paroles du Président de la République, du Premier ministre et de la ministre des Outre-mer, les conséquences des nouvelles mesures prévues pour les entreprises entraineront les conséquences suivantes :

– La baisse des cotisations maladie de 6 points ne suffira pas à compenser le CICE applicable en Outremer. Pour l’immense majorité des entreprises ultramarines et ce quel que soit leur secteur d’activité, l’impact défavorable sera de l’ordre de 3%.

– Cet effet défavorable de la non compensation du CICE sera augmenté par l’impact relatif à l’abaissement des seuils de début et de fin de dégressivité pour les entreprises concernées par la LODEOM sociale « ancien dispositif ».

– Les entreprises les plus fortement impactées seront – contrairement aux objectifs annoncés

– Les entreprises de moins de 11 salariés et les entreprises qui sont le fer de lance du développement économique de nos territoires (industrie, numérique, économie bleue, économie verte, la recherche et développement et le tourisme).

– A ces effets défavorables viennent s’ajouter la charge d’impôt complémentaire sur les sociétés du fait de la transformation d’un Crédit d’Impôt (CICE) en réduction de charges. L’étude réalisée par le Cabinet Mazars à notre demande estime cet « effet fiscal » à près de 80 millions d’euros pour 2019.

– Enfin Le resserrement des seuils proposés dans le nouveau dispositif renforcera de surcroit considérablement l’effet « trappe à bas salaires » constituant un frein important au développement des entreprises les plus exposées.

On pourrait ajouter qu’il est profondément regrettable que la Guyane et Saint-Martin aient été intégrés dans cette réforme sans prise en compte du fait que ces territoires bénéficiaient de régimes spécifiques dont les évènements douloureux qu’il ont connus auraient plutôt justifié qu’on les renforce au lieu de les supprimer. Beaucoup d’entreprises, qui avaient entendu le candidat Emmanuel Macron déclarer qu’il voulait « libérer les énergies » outre-mer, s’interrogent sur la visibilité de cette politique. Nous avons eu l’occasion de rappeler lors d’une audition devant la délégation des outre-mer de l’Assemblée nationale qu’il y avait deux voies politiques possibles pour nos Outre-mer.

La première consiste à ce qu’il n’y ait pas de vagues… On donne un peu de sucre pour adoucir le palais et s’il y a des convulsions sociales ou politiques, on traite à chaud par la mise en œuvre de mesures d’urgence…pas toujours suivies d’ailleurs… L’autre consiste à investir, à faire confiance dans le génie collectif, dans le dynamisme de territoires qui aspirent à devenir des territoires d’excellence. Investir, c’est bien sûr dépenser de l’argent mais, tous les chefs d’entreprise le savent, c’est pour bénéficier d’un retour sur investissement qui permet de créer des richesses partagées et de l’emploi.

Les Outre-mer ne veulent plus être définies par des slogans tels que « L’outre-mer est une chance pour la France » ou encore « l’économie bleue sera le moteur du développement du XXIème siècle ». Nous le savons et il est inutile de nous le rappeler. Mais, parce que nous sommes avant tout pragmatiques, nous attendons des actes ! Le Gouvernement est donc au pied du mur. Mais comme nous sommes optimistes, ne dis-t-on pas que c’est au pied du mur qu’on voit le maçon. A lui de nous prouver qu’il est un bâtisseur !

Jean-Pierre Philibert, président de la Fédération des entreprises d’Outre-mer (Fedom).