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À quelques jours du Comité des signataires post-référendum, Ferdinand Mélin-Soucramanien, Professeur de droit public à l’Université de Bordeaux et aussi l’un des rédacteurs du rapport Courtial/Mélin-Soucramanien sur l’Avenir institutionnel de la Nouvelle-Calédonie, explore les chemins possibles pour retrouver le consensus calédonien en partie perdu le 4 novembre dernier. Il émet notamment l’hypothèse d’« un nouvel espace de discussion afin d’imaginer un projet commun qui permettrait de stabiliser une fois pour toutes le statut institutionnel de la Nouvelle-Calédonie ». Pour l’expert, « une issue démocratique, « par le haut », est toujours possible afin que la Nouvelle-Calédonie retrouve la voie pacifique du consensus ».
Ce vendredi 14 décembre va se dérouler le XVIIIème Comité des signataires de l’Accord de Nouméa. Ce comité, traditionnellement présidé par le Premier ministre, réunit, outre les signataires historiques, les principaux acteurs politiques de Nouvelle-Calédonie et les représentants du Gouvernement. Celui-ci s’annonce d’ores et déjà plus compliqué que prévu d’autant que se profilent à l’horizon en Nouvelle-Calédonie les élections provinciales de mai 2019 qui exacerbent les positionnements politiques. Pour l’heure, des prétentions apparemment irréconciliables s’opposent : entre celles portées par les indépendantistes qui souhaitent organiser au plus vite un deuxième référendum et, celles avancées par une partie des non-indépendantistes, qui voudraient l’éviter, le point de consensus paraît difficile à atteindre. De plus, des questions qui fâchent, comme celle d’un éventuel dégel du corps électoral, pourraient une fois encore venir troubler les débats.
Pourtant, l’organisation du référendum prévu par l’Accord de Nouméa du 5 mai 1998 qui s’est déroulé en Nouvelle-Calédonie le 4 novembre dernier a été indéniablement un succès pour l’État. Il faut dire qu’il avait été minutieusement préparé par le Gouvernement français. Il a permis à environ 175 000 électeurs inscrits sur la liste électorale spéciale pour la consultation sur l’accession de la Nouvelle-Calédonie à la pleine souveraineté, dite « LESC », de répondre par Oui ou par Non à la question suivante : « Voulez-vous que la Nouvelle-Calédonie accède à la pleine souveraineté et devienne indépendante ? ». Ce scrutin avait été placé sous la surveillance d’une commission de contrôle de l’organisation et du déroulement de la consultation sur l’accession à la pleine souveraineté de la Nouvelle-Calédonie qui a encadré l’action sur le terrain de 235 délégués arrivant de l’hexagone. À quoi, il faut ajouter que l’ONU a, elle aussi, envoyé des observateurs sur place. À l’issue de cette journée historique pour la Nouvelle-Calédonie, la commission de contrôle a certifié la régularité et la sincérité du scrutin et a proclamé son résultat : la participation s’est élevée à 80,63 % des inscrits. Le Non à la pleine souveraineté et à l’indépendance a recueilli 78 734 voix, soit 56,7 % des suffrages, alors que 60 199 voix, soit 43,3 % des suffrages, se sont exprimées en faveur du Oui.
Plusieurs enseignements peuvent être tirés de ce résultat. Le premier est que la participation, supérieure à 80%, a été massive. Non seulement, il n’y a pas eu de boycott de ce référendum, comme cela était déjà arrivé par le passé en Nouvelle-Calédonie, mais encore, les électeurs se sont fortement mobilisés.
Le deuxième est que le Non à l’indépendance l’a certes emporté, mais dans une proportion moindre que celle annoncée par les sondages qui prévoyaient tous une large victoire du Non comprise entre 60 et 70%. Il en résulte qu’à front renversé, les indépendantistes perçoivent ce résultat comme un succès et les non-indépendantistes comme un échec.
Le troisième enseignement, qui cette fois ne représente pas une surprise, est que ce pays est marqué par une nette fracture territoriale qui, en outre, correspond à une division ethnique. En effet, territorialement, les deux votes se répartissent ainsi : dans la Province Sud (la plus densément peuplée, mais où les Kanaks sont minoritaires), le Non a représenté 73, 71 % et le Oui, 26, 29 % ; dans la Province Nord (où les Kanaks sont majoritaires), le Non a recueilli 24, 17 % et le Oui, 75, 83 % ; enfin, dans la Province des Îles Loyauté (où les Kanaks sont majoritaires), le Non ne correspond qu’à 17, 82 % des suffrages exprimés, alors que le Oui totalise 82, 18 %.
En somme, comme le montrent de nombreux exemples récents (la Catalogne avec la question de son indépendance, la Grande-Bretagne sur le Brexit, etc.),l’ organisation d’un référendum sur une question clivante ne résout rien lorsque la société est profondément divisée et qu’il n’existe pas de consensus en son sein.
Dès lors, quelles pourraient être les suites de ce référendum ? La réponse ayant été majoritairement négative, le résultat immédiat est que la Nouvelle-Calédonie appartient toujours à l’ensemble français et que l’Accord de Nouméa continue à s’appliquer. Comme le prévoit ce texte à son point 5 : « tant que les consultations n’auront pas abouti à la nouvelle organisation politique proposée, l’organisation politique mise en place par l’accord de 1998 restera en vigueur, à son dernier stade d’évolution, sans possibilité de retour en arrière, cette irréversibilité étant constitutionnellement garantie ».
Cependant, l’Accord de Nouméa prévoit aussi que deux autres consultations référendaires pourraient être organisées. En effet, encore à son point 5, il énonce que : « Si la réponse des électeurs à ces propositions est négative, le tiers des membres du congrès pourra provoquer l’organisation d’une nouvelle consultation qui interviendra dans la deuxième année suivant la première consultation. Si la réponse est à nouveau négative, une nouvelle consultation pourra être organisée selon la même procédure et dans les mêmes délais… ». Rien n’est dit dans ce premier texte de la formulation des questions successives mais la loi organique de 1999 est plus précise. Elle prévoit, dans son article 217, qu’« …une deuxième consultation sur la même question peut être organisée à la demande écrite du tiers des membres du congrès… ». Cette disposition impose une lourde contrainte d’identité de formulation de la question posée lors des consultations successives dans un laps de temps relativement court. On peut légitimement s’interroger sur la faisabilité pratique – et donc politique – d’une répétition à intervalles aussi rapprochés, de consultations posant exactement la même question. On trouve, certes, dans l’histoire des cas dans lesquels le même corps électoral, peu de temps après avoir répondu Non à une question, a changé d’avis et a répondu Oui. Mais dans les cas auxquels on peut penser – par exemple, l’approbation par référendum de la Constitution française de 1946 ou encore le référendum organisé en Irlande en 2009 pour l’approbation d’un nouveau traité européen – la question avait significativement changé d’un référendum au suivant. Si bien que ce n’était plus, aux yeux des électeurs, la même consultation. Le dispositif mis en place par l’Accord de Nouméa et la loi organique apparaît donc sans précédent.
De fait, la période actuelle est marquée par une forte incertitude sur l’avenir institutionnel du pays. Cette insécurité est avant tout politique et juridique, mais aussi économique et sociale. Aujourd’hui, le Gouvernement français, ou plus exactement le Conseil d’État dans son avis du 4 septembre 2018, a au moins garanti que les élections provinciales de mai 2019 pourraient avoir lieu dans les mêmes conditions et selon les mêmes modalités que les précédentes, c’est-à-dire avec un corps électoral « gelé ». Mais au-delà, rien n’est véritablement assuré. La question principale qui se pose est celle de savoir si l’Accord de Nouméa et le cadre juridique qui s’y attache pourront encore valablement régir le territoire. Il reste donc désormais aux habitants de ce territoire, à leurs acteurs politiques, à leurs forces vives, et spécialement à sa jeunesse, sous l’impulsion du Gouvernement français, à imaginer l’avenir institutionnel du pays et à définir sa relation avec la France. Plusieurs hypothèses, qu’on se contentera d’esquisser ici sont envisageables.
La première est celle, prévue par la lettre de l’Accord de Nouméa, de la répétition de référendums portant sur la même question. Elle peut conduire in fineà une victoire du Oui, donc à la pleine souveraineté. Le Gouvernement français a déjà indiqué que, dans ce cas, la rupture ne serait pas brutale, mais accompagnée par l’État. Compte tenu du rapport des forces politiques en présence, elle peut aussi conduire à la répétition, trois fois, du Non. L’Accord de Nouméa se borne alors à prévoir la réunion des partenaires politiques « pour examiner la situation ainsi créée ».
Mais, une autre hypothèse est aussi concevable, même si aujourd’hui elle est plus ardue à soutenir politiquement car elle conduirait à s’écarter de la lettre de l’Accord de Nouméa, sans doute pour mieux en respecter l’esprit qui est celui de parvenir à construire un « destin commun ». Il pourrait être envisagé d’ouvrir dès à présent, ou plutôt dès après les élections provinciales de mai 2019, un nouvel espace de discussion afin d’imaginer un projet commun qui permettrait de stabiliser une fois pour toutes le statut institutionnel de la Nouvelle-Calédonie. Vraisemblablement, ce projet pourrait conduire à conférer au territoire un statut qui s’apparenterait, avec plus ou moins de nuances, à celui d’un Etat fédéré au sein de la République française ou à celui d’un Etat associé dans le cadre d’un partenariat avec la République française. Ce projet pourrait être préparé, mûri, par exemple au sein d’une conférence de conférence de citoyens. Ces procédés, également appelés « conférences de consensus », sont utilisés précisément afin de permettre l’émergence de consensus face à des situations où ceux-ci paraissent difficiles à atteindre. On peut se référer en ce sens aux modèles conceptualisés par Dominique Bourg et Daniel Boy dans leur remarquable ouvrage : Conférences de citoyens : mode d’emploi(éd. Charles Léopold Mayer, 2005), dans lesquels sont associés des panels de citoyens et des panels d’experts sous la direction d’un comité de pilotage, rôle qui pourrait dans cette hypothèse être dévolu au comité des signataires. L’avantage de ce type de formule est qu’elle permet une adhésion, une appropriation, par les citoyens du projet en construction. En toute hypothèse, un tel projet devrait nécessairement à son tour être approuvé par référendum.
Qu’on s’entende bien sur ce dernier point, il ne s’agirait pas, comme certains le proposent déjà, d’ « éviter » un deuxième référendum, mais seulement de créer les conditions pour que celui-ci soit assurément le second et le dernier permettant l’aboutissement de l’Accord de Nouméa. Cette option d’un référendum comportant un projet construit d’avenir institutionnel, plutôt qu’un référendum laissant en blanc le « jour d’après » est évidemment la plus difficile, la plus créatrice, mais aussi celle qui offre le plus de garanties en termes de sécurité juridique. Techniquement, cette inflexion nécessiterait une modification du seul article 217 de la loi organique qui prévoit que ce soit la « même question » qui soit posée. Politiquement, ce changement de méthode supposerait évidemment une complète information de la population et une intense négociation préalable. Une issue démocratique, « par le haut », est donc toujours possible afin que la Nouvelle-Calédonie retrouve la voie pacifique du consensus.
Ferdinand Mélin-Soucramanien
Professeur de droit public à l’Université de Bordeaux
Président de L’AJDOM (L’Association des juristes
en droit des outre-mer)