« 20 ans après, que reste-t-il de la Déclaration de Basse-Terre ? », s’interroge le sénateur de Guyane, Antoine Karam. Alors que la ministre des Outre-mer a défendu l’idée d’un article unique « qui renverrait à un texte spécifique » à chaque territoire, dans le cadre d’une réforme constitutionnelle, Antoine Karam appelle dans cette tribune à « dépassionner le débat » et « se rassembler pour formaliser un statut propre qui consacre son droit à la différenciation ».
Le 1er décembre 1999, alors Président de la région Guyane, je signais avec Lucette Michaux-Chevry et Alfred Marie-Jeanne, eux-mêmes Présidents respectifs des conseils régionaux de Guadeloupe et de Martinique, la Déclaration de Basse-Terre.
20 ans plus tard, nombreux sont ceux qui considèrent que la situation n’a pas changé, que l’immobilisme prévaut. S’agissant de la question statutaire plus particulièrement, certains peuvent même avoir l’impression désagréable que le débat entre les articles 73 et 74 de la Constitution se rejoue à intervalles réguliers dans chaque territoire, toujours selon les mêmes termes.
Ce sentiment légitime provient essentiellement du fait que ces deux alternatives restent constitutionnellement, à ce jour, les principales qui s’offrent à nous. Cela étant dit, le pessimisme ne doit pas submerger nos aspirations profondes. Mieux, ayons l’audace de regarder le chemin parcouru, sa longueur et ses épreuves, pour continuer avec force le travail engagé.
En son temps, la Déclaration de Basse-Terre poursuivait déjà cet objectif. Nous souhaitions, par un acte symbolique fort, marquer notre volonté d’ouvrir le débat statutaire afin d’en définir les thèmes et proposer des orientations pour l’avenir, dans le respect des sensibilités de chacun.
La géographie est immuable, elle dicte ses réalités. Considérant que la France ne pouvait gérer nos territoires comme ceux de l’hexagone, nous avons dépassé les clivages idéologiques et nos divergences pour aboutir à un consensus qui place officiellement nos territoires sur le chemin d’un changement politico-administratif.
S’agissant de la Guyane, la déclaration de Basse-Terre est venue poursuivre, avec force et solennité, un processus initié par nos illustres prédécesseurs. Je pense d’abord à Justin Catayée et l’opuscule, publié en 1955 et intitulé « S.O.S. ici Guyane, département français », dans lequel il exposait de manière limpide les limites de la loi de départementalisation. Je pense aussi à Léopold Héder, Elie Castor, Raymond Tarcy et bien d’autres qui ont ensuite repris ce travail pour défendre à leur tour une participation accrue des guyanais dans la gestion des affaires publiques.
Le statut, une question jamais épuisée
Aujourd’hui, si nous avons le sentiment que la question statutaire n’a jamais été autant d’actualité, c’est bien parce que celle-ci ne nous a jamais quittés.
J’entends les voix qui s’élèvent, jugeant l’évolution statutaire secondaire face à l’urgence de développement économique et sociale des outre-mer. Je reste néanmoins convaincu que la question économique est fondamentalement politique.
En Guyane, la signature de l’accord du 21 avril 2017 a certes permis de déployer un vaste plan d’urgence. Mais par-delà les millions engagés et les infrastructures construites, une question d’ordre politique doit nécessairement être réglée.
Le 30 avril 1960, le Général de Gaulle, de passage en Guyane, ouvrit lui-même la voie à la formalisation d’un statut adapté aux singularités de la Guyane considérant qu’il était « conforme à la nature des choses qu’un pays […] qui est en somme éloigné ait une sorte d’autonomie proportionnée aux conditions dans lesquelles il doit vivre ».
Aujourd’hui, le droit à la différenciation, prôné par le président de la République Emmanuel Macron, ouvre une nouvelle fois la voie à une évolution institutionnelle et statutaire.
Il est vrai qu’en 2010, les électeurs guyanais ont refusé à 69,80% une autonomie accrue. Cependant, ce résultat est advenu à l’issue d’un débat dévoyé au cours duquel les partisans du statut quo ont distillé de manière insidieuse au sein de la société guyanaise la crainte qu’une autonomie élargie menacerait les aides sociales, présentant alors la fusion des conseils général et régional en une collectivité unique comme une alternative.
Pour autant, le contenu des Congrès que se sont tenus ces derniers mois dans chaque territoire démontre, s’il en était besoin, qu’en dépit des obstacles, la réflexion poursuit son chemin.
De la nécessité de dépassionner le débat pour formaliser un véritable droit à la différenciation
La Guyane, comme la Martinique, Mayotte et les autres territoires ne quémandent rien, ils exigent un droit à la différenciation que leurs réalités commandent. En méconnaissant ses outre-mer, la République les a fragilisé, et s’est fragilisé elle-même. Trop longtemps, elle s’est privée non seulement du laboratoire qu’ils pouvaient constituer mais n’a tiré aucun avantage de leurs formidables atouts.
La vitalité de nos territoires produit des mutations étonnantes qui, malgré des inégalités patentes, insufflent une énergie singulière à nos sociétés quand il s’agit de penser un savoir-vivre ensemble.
Aussi, entre les craintes des uns, les fantasmes des autres, notre responsabilité d’élu est de dépassionner ce débat et d’en reposer les enjeux. Un statut à la carte n’est ni un préalable, ni une fin en soi mais un moyen politique et constitutionnel pour privilégier des relations fondées sur un partenariat – « gagnant-gagnant » sincère, accepté et reconnu entre la France, l’Europe et la Guyane.
Dans la perspective d’une réforme constitutionnelle, la ministre des Outre- mer, Annick Girardin, porte l’idée d’un article unique au sein duquel chaque territoire définirait, par une loi organique, son statut.
Pour ma part, j’accompagnerai favorablement cette proposition à la condition qu’elle permette à la Guyane de sortir du droit commun, conformément au principe de spécialité législative, et d’exercer des compétences supplémentaires, notamment sur le plan fiscal.
Résolument optimiste, je veux croire notre Guyane capable de se rassembler pour formaliser un statut propre qui consacre son droit à la différenciation.