Depuis quelques jours, les échanges autour de l’exploitation des terres rares sont montés d’un cran dans le paysage politique polynésien, suite notamment au courrier de Georges Pau-Langevin relatif à l’exploitation de ces ressources par la Polynésie.
À quelques jours du Sommet France-Océanie, voilà un sujet qui risque de faire irruption dans les discussions diplomatiques. Lancé en septembre dernier, le débat autour de la compétence des ressources maritimes économiquement stratégiques (terres rares, cobalt, platine, tellure) s’est endurci ces derniers jours en Polynésie française. À l’origine, une interview de Sabine Lavorel accordé à nos confrères de Tahiti-infos en septembre. Maitre de conférence en Droit public, elle explique, « les collectivités peuvent exploiter et explorer leur zone pour leur propre compte mais uniquement pour ce qui concerne les ressources non stratégiques. Et du coup, les terres rares en font partie puisque les minéraux stratégiques en font partie« . En octobre, le président de l’Assemblée de la Polynésie française dépose une résolution demandant à l’Etat la compétence du Pays sur les ressources minières (stratégiques et non stratégiques). Un caillou dans la botte du président du gouvernement, Edouard Fritch. Pour Oscar Temaru, le sujet doit être porté à New York, devant l’ONU, la Polynésie ayant été réinscrite par ses soins en 2013 sur la liste des territoires non-autonomes à décoloniser de l’ONU.
Pour calmer le jeu, Georges Pau-Langevin adresse, le 18 novembre, un courrier au président du gouvernement polynésien. Elle rappelle les articles 13 et 14 de la loi organique de 2004 qui régit le statut de la Collectivité, « la Polynésie française est compétente, que ce soit sur terre ou dans la ZEE, sur l’ensemble des ressources minérales », hormis sur « les matières premières stratégiques telle qu’elles sont définies sur l’ensemble du territoire de la République ». La liste de ces matières a été définie en 1959 : il s’agit des « minerais ou produits utiles (…) à l’énergie atomique » et aux hydrocarbures liquides ou gazeux. Elle poursuit, « ni les terres rares, ni les nodules polymétalliques ne rentrent donc dans le champs des matières premières stratégiques ». Fin de polémique râtée, la réponse de la ministre des Outre-mer ne satisfait pas le parti indépendantiste qui a le sens de la punchline. Dans un communiqué, le parti rappelle alors que la liste de ces matières stratégiques peut être changée par simple décret. « La ministre nous prend pour des nodules, (…) ce qu’elle oublie de nous rappeler, c’est que le décret de 1959 peut être changé à loisir par le premier ministre sur instruction du président de la République, sans qu’aucun recours constitutionnel, ni recours légal ne puisse être opposé ». Ré-interrogée hier à la suite de ce communiqué, la ministre est restée sur ses positions.
De son côté, le Haut-commissaire de la République en Polynésie française s’était alors demandé, « Y-a-t-il des terres rares sous la décharge de Faaa ? » (ndlr, la ville de Faaa est administrée par Oscar Temaru). Terrain glissant pour le représentant de l’Etat. Les indépendantistes pointent du doigt le « psittacisme » du Haut-commissaire, rappelant également l’usage par les services de l’Etat de la-dite décharge avant de lancer, « qu’il commence par nous dire quelle « terres rares » polluantes (…) ont été enfouies dans le ventre de Moruroa à l’époque (…) de la « bombe propre française »! ». Ambiance… Hier, l’ancien sénateur et représentant indépendantiste à l’Assemblée de la Polynésie française a interpellé le président du gouvernement, Edouard Fritch. Par une question écrite adressée au gouvernement, il demande « quelle serait la politique » du président si l’Etat venait à faire passer ces ressources sous sa compétence en les déclarant stratégique. Affaire à suivre…
Les terres rares sont un groupe de métaux stratégiques pour l’économie mondiale, des matières premières indispensables au progrès et à l’innovation technologique. Autant dire que l’enjeux stratégique et économique est grand, d’autant plus que la course à la IIIème révolution industrielle a déjà commencé. On trouve ces métaux majoritairement dans le Pacifique mais aussi au Groënland et des recherches menées en 2011 par l’Ifremer et des scientifiques japonais ont confirmé que la Polynésie française disposait un stock conséquent de ces métaux. Mais elle n’est pas la seule, l’île de la Réunion, la Nouvelle Calédonie, Wallis et Futuna ou la Guyane sont aussi concernés par ces gisements de métaux rares. Avec ses 11 millions de km2, la ZEE française est la deuxième plus importante au monde, après celle des Etats-Unis. C’est en majeur partie grâce à la ZEE polynésienne qui représente 5 millions de km2. Une place privilégiée pour la France qui en matière de ressources stratégiques, dispose de quoi concurrencer le leader mondial qu’est la Chine. Pour l’heure, la balle est entre les deux camps et ni l’un ni l’autre ne semble disposer des moyens pour l’exploitation. L’issue de la bataille sera très certainement le verrouillage constitutionnel de cette fameuse liste des matières stratégique, et par quel moyen ?