Société : Hommes-Femmes, une égalité à vérifier en Polynésie

Société : Hommes-Femmes, une égalité à vérifier en Polynésie

Armelle Merceron, ancienne Ministre de la Santé en Polynésie et représentante à l’Assemblée territoriale, membre de la commission de la Santé et du Travail ©Cédric Valax / Radio 1 Tahiti

« Les filles polynésiennes, en général, vont plus longtemps à l’école que les garçons, sont de plus en plus diplômées, réussissent mieux à l’université mais elles ont plus de mal à s’insérer professionnellement ». Pour le magazine Dixit, Armelle Merceron, ancienne Ministre polynésienne de la Santé et représentante à l’Assemblée territoriale, dresse le bilan des grandes avancées législatives sur l’Egalité hommes-femmes et leur efficacité, et liste les défis qui restent à relever en la matière en Polynésie. Un sujet inédit, dépassant les frontière, à retrouver sur Outremers360 et dans la 26ème édition du magazine Dixit.   

Chaque jour, iI naît environ 10 bébés en Polynésie française soit, statistiquement, 5 filles et 5 garçons. Les lois de la République française au XXIe siècle leur assurent à chacun les mêmes droits, et des dispositifs existent pour garantir cette égalité. La situation actuelle résulte de progrès issus de combats successifs pour donner aux femmes les mêmes droits qu’aux hommes. Et aujourd’hui nous, Polynésiennes, bénéficions de ces avancées, comme si c’était naturel : les filles vont à l’école comme les garçons, elles y réussissent paraît-il même mieux. Elles bénéficient d’un droit égal d’accès aux soins, ont droit à la contraception (presque) gratuite, à l’IVG. Les femmes peuvent ouvrir un compte en banque, disposer de leur argent, hériter, créer une entreprise sans l’autorisation de leur père ou de leur mari. Elles ont le droit de vote, et de se faire élire pour exercer un mandat politique.

Nous n’avons pas eu à nous battre pour obtenir ces changements, alors que dans le monde, nombre de femmes le font encore. Lorsque des Polynésiennes participent à des rencontres internationales de femmes du Pacifique insulaire, elles se rendent compte de nos avancées en comparaison de nombre d’Océaniennes qui aujourd’hui n’ont pas (encore) toutes accès à l’éducation, à la terre, à l’héritage, à la liberté de décider en toutes choses et restent soumises à l’ordre social qui donne aux hommes de la communauté une prédominance sur leurs femmes, sur leurs filles qui les limite dans leur émancipation personnelle.

Le Conseil des Femmes de Polynésie regroupe 12 associations de la condition féminine ©Tahiti-Infos

Le Conseil des Femmes de Polynésie regroupe 12 associations de la condition féminine ©Tahiti-Infos

Pour combler les écarts entre les genres, les dirigeants des pays membres du Forum des îles du Pacifique ont adopté en 2012 une déclaration solennelle dont la mise en œuvre doit se poursuivre dans le nouveau programme d’action océanien (PAP) en faveur de l’égalité des sexes et des droits fondamentaux des femmes (2018-2030). Pourtant les gouvernements, composés pour l’essentiel d’hommes, ne sont pas toujours moteurs. Ce sont les organisations locales et internationales militantes qui agissent avec l’aide des financeurs ou de la Communauté du Pacifique (CPS/SPC) pour impulser des changements.

Si les Polynésiennes ont des situations appréciables, tout n’est pas parfait. Loin de là. Ces 5 garçons et ces 5 filles pourront-ils, pourront-elles, faire valoir tous leurs droits et valoriser leurs talents tout au long de leur vie, pour s’épanouir et donner à notre société la pleine mesure de leurs capacités ? Les violences dont sont victimes des femmes de tous âges et de tous milieux sont un signe visible d’une inégalité. Mais derrière ce qui émerge, il y a ce qui ne se voit pas, ne se mesure pas.

Lorsque les schémas mentaux sont des freins

En effet, l’expérience montre qu’il ne suffit pas d’édicter des règles pour qu’elles s’appliquent effectivement dans la réalité familiale, conjugale, professionnelle, dans la vie politique, culturelle, sportive, …. Du fait de leur place et de leurs rôles dans la société, les hommes et les femmes ne rencontrent pas les mêmes problèmes, ne réagissent pas de la même façon. Pour accélérer l’évolution, les pouvoirs publics peuvent prendre des mesures radicales comme les lois sur la parité en politique.

Les filles polynésiennes, en général, vont plus longtemps à l’école que les garçons, sont de plus en plus diplômées, réussissent mieux à l’université mais elles ont plus de mal à s’insérer professionnellement. Elles sont de plus en plus nombreuses à demander des formations, souvent après que des grossesses précoces les ont conduites à une déscolarisation prématurée. Mais des témoignages incontestables nous apprennent que certaines les interrompent parce que le conjoint, la famille leur font la vie dure. Comment garder durablement un emploi salarié, réussir une micro-activité indépendante quand il faut faire face, sans aide suffisante, aux obligations de deux vies ; celle de mère et celle d’active économique lorsque les schémas mentaux du conjoint ou de la famille sont des freins ? Quel est le pourcentage de femmes chefs d’entreprise ? À la tête de syndicats ? A-t-on comparé la carrière des femmes et des hommes à qualification égale au départ ?

Disposer de données chiffrées

Il nous faut aller plus loin que donner des droits aux femmes. Les pays progressistes ont mis en place des dispositifs permanents de collecte et de traitement de données statistiques selon le genre (on dit aussi sexo-spécifiques) afin de rendre visibles les inégalités persistantes entre les sexes. Lorsque nous aurons introduit cette approche différenciée dans les grandes enquêtes publiques, dans les rapports d’activité des entreprises publiques et privées, leur exploitation permettra de pointer les améliorations à réaliser pour que les femmes, et les hommes, atteignent le plein développement de leurs droits.

Un accélérateur de l’évolution : les lois sur la parité en politique

La sous-représentation de femmes élues a conduit le législateur français à forcer l’évolution en imposant par des lois la parité sur les listes de candidats à la plupart des élections ; elles se sont appliquées aussi en Polynésie française.

Une première loi en 2000 a posé le principe de l’égal accès aux mandats électifs des hommes et des femmes. Mais les résultats ont été mitigés car la loi n’imposait pas d’ordre : les femmes élues étaient toujours moins nombreuses parmi les élus puisqu’elles n’étaient pas le plus souvent en position éligible.

Grâce à ces règles imposées, la féminisation a été rapide :

Nombre de femmes à l'Assemblée territoriale de Polynésie

Nombre de femmes à l’Assemblée territoriale de Polynésie

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Par la suite, d’autres lois sont allées plus loin en imposant l’alternance un homme, une femme (ou une femme, un homme). Cette obligation s’applique lors des élections pour la représentation à l’Assemblée de la Polynésie française et pour les conseils municipaux des communes de plus de 1 000 habitants. De plus, des obligations ou des pénalités financières sont infligées aux partis politiques qui ne respectent pas la parité lors des élections parlementaires nationales.

L’analyse détaillée des résultats des dernières élections communales (2014) apporte des informations intéressantes. Dans les 16 communes où la parité est obligatoire, le taux de féminisation varie entre 44 et 53 %, alors qu’il oscille de 11 à 60 % dans les communes sans parité imposée : des petites communes des Tuamotu ont non seulement élu une majorité de femmes (7 sur 17 ont plus de 50 % d’élues femmes) mais on trouve également 7 mairesses dans cet archipel alors qu’une seule commune est soumise à l’obligation de parité. Par contre il n’y a plus de femme maire dans les 13 communes des Îles du Vent (Tahiti et Moorea, soit 80 % de la population polynésienne), 2 sur 7 aux Îles Sous-le-Vent et aucune aux Marquises et aux Australes.

En revanche la féminisation des conseils municipaux s’est accentuée, parfois au-delà des obligations légales. Au fur et à mesure des mandats, les femmes conseillères municipales, les adjointes acquièrent des connaissances, de l’expérience et de l’assurance, et l’on peut espérer qu’elles se préparent à être plus nombreuses dans le futur.

« Là où les femmes sont en mesure de réaliser leur plein potentiel en matière d’insertion économique, les sociétés connaissent une croissance économique et sont prospères, les familles sont plus épanouies et plus résilientes face aux différentes situations économiques ». Dr Hilda Heine, Présidente de la république des Îles Marshall (seule femme chef de gouvernement dans le Pacifique insulaire).

Les parlementaires polynésiens (3 députés, 2 sénateurs)

Les incitations ou obligations légales des partis politiques à désigner des femmes candidates ont provoqué une féminisation rapide de notre représentation parlementaire nationale : dans l’histoire polynésienne et jusqu’en 2014, il n’y avait eu qu’une femme députée nationale (Béatrice Vernaudon) ; en 2014 une seconde députée (Maina Sage) a été élue ; aux élections législatives de 2017, 2 femmes sont devenues députées (Maina Sage et Nicole Sanquer) ; en 2014, la première femme sénatrice a été élue par les grands électeurs (Teura Iriti), remplacée par Lana Tetuanui en 2015.

Le gouvernement polynésien

Il reste le dernier bastion où les femmes sont sous-représentées (2 dans le gouvernement actuel). Il faut dire que la parité n’y est pas obligatoire. Dans les nombreux gouvernements de ces dix dernières années, le nombre de femmes ministres est resté très minoritaire, quel que soit le courant politique. Enfin, il n’y a jamais eu encore de femme présidente et vice-présidente du gouvernement.

Le gouvernement polynésien compte 2 femmes: Nicole Bouteau (1er rang à droite, Ministre du Tourisme, des Transports internationaux, en charge des Relations avec les institutions) et Tea Frogier (2ème rang à gauche, Ministre du travail, de la formation professionnelle et de l'éducation, en charge de la fonction publique, de la recherche et de l'enseignement supérieur) ©Présidence de la Polynésie française

Le gouvernement polynésien compte 2 femmes: Nicole Bouteau (1er rang à droite, Ministre du Tourisme, des Transports internationaux, en charge des Relations avec les institutions) et Tea Frogier (2ème rang à gauche, Ministre du travail, de la formation professionnelle et de l’éducation, en charge de la fonction publique, de la recherche et de l’enseignement supérieur) ©Présidence de la Polynésie française

À quelles conditions les femmes conforteront-elles leur place dans la vie politique ?

Premier enjeu : accepter de se porter candidate à une élection

Au moment de l’application des nouvelles règles électorales, il a fallu trouver des femmes candidates prêtes et le faire admettre aux hommes. L’obligation de parité s’est imposée brusquement. Il y avait jusque-là beaucoup plus d’hommes engagés en politique puisque considérée comme une affaire d’hommes. Les responsables des partis politiques (des hommes presque toujours) ont donc dû « sortir » de leurs listes des hommes qui étaient leurs amis ou leurs alliés et trouver des femmes susceptibles d’accepter et de remplir des fonctions politiques. Ce ne fut pas sans grincements de dents, manœuvres, chantages et fâcheries. C’est ainsi que des hommes ont alors proposé pour occuper leur place, leur épouse, leur fille ou une femme de la famille !

Des femmes ont refusé car elles ne se sentaient pas capables de sortir de leur rôle d’épouse, de mère, d’engagées sociales discrètes, pour celui de femme « exposée publiquement ». Celles qui ont accepté avaient généralement une expérience professionnelle ou associative ou un engagement dans un cadre communautaire, ou appartenaient à des familles déjà engagées dans des responsabilités politiques.

Les Polynésiennes restent encore souvent imprégnées par l’idée que leur priorité est de s’occuper de la maison, des enfants et d’être disponible pour la communauté (associations, églises). Les hommes de leur entourage ou leaders de communautés ont le plus souvent ce point de vue.

Second enjeu : après l’élection, se sentir capable d’assurer son mandat avec efficacité

Dans le travail courant de l’Assemblée de la Polynésie française, les femmes sont généralement plus assidues, majoritaires à la présidence des commissions intérieures notamment dans celles où l’on pense trouver des femmes (éducation, santé, famille). Les femmes sont instruites, ont le plus souvent des engagements professionnels ou sociaux, elles doivent donc se sentir capables de s’adapter et d’assumer leur mandat. L’enjeu pour la femme élue est plutôt de trouver sa place dans un monde toujours dominé par les hommes, de garder une certaine autonomie de pensée, d’acquérir une capacité à influencer pour impulser des changements dans la société, comme les femmes le souhaitent.

Si les règles légales ont imposé brutalement la parité, il faudra du temps pour que cela aille de soi. La loi aura eu un rôle d’entraînement, d’accélérateur de l’évolution des mentalités des deux genres. Il faudra donc que les femmes osent s’imposer après avoir été imposées. La différence d’efficacité ne viendra pas du sexe, mais des personnes elles-mêmes.

Armelle Merceron.