C’est un pan douloureux d’une Histoire peu connue qui sera réouvert ce jeudi 18 février par Georges Pau-Langevin, ministre des Outre-mer. De 1963 à 1981, plus de 2 150 enfants réunionnais ont été arrachés à leur famille et leur île natale afin d’être transférés dans plusieurs départements ruraux de l’Hexagone. La mémoire encore écorchée par ce passé sombre, les « Réunionnais de la Creuse » réclament aujourd’hui la vérité sur leur identité et leurs origines.
On connaissait l’Histoire des enfants aborigènes arrachés à leur parents par le gouvernement australien, afin d’en faire « de véritables petits enfants blancs ». On connait moins l’Histoire des « Réunionnais de la Creuse » ; une Histoire qui concerne plus de 2 150 enfants réunionnais, arrachés à leur famille et déracinés de leur île natale surpeuplée, afin d’être transférés dans les départements ruraux français en proie à l’exode. 50 ans après ces évènements douloureux, qui hantent encore ces ex-pupilles à l’identité originelle perdue, Georges Pau-Langevin va annoncer, ce jeudi 18 février, la création d’une commission nationale. Cette commission, composée d’historiens et d’experts, aura la charge d’étudier ce pan d’Histoire. Par la suite, les Réunionnais déracinés espèrent des billets d’avions pour retrouver leur île natale, ainsi que des réparations financières et surtout, l’accès aux dossiers et archives leur concernant.
L’initiative de ces transferts, baptisée BUMIDOM, revient à Michel Débré, sénateur gaulliste de La Réunion. Au départ, l’initiative devait concerner que des « adultes volontaires ». Hélas, en marge de cette initiative, Michel Debré organise le transfert massif d’enfants réunionnais, issus de milieux sociaux défavorisés, dont les parents, illettrés et contraints par l’administration, pensaient que leurs enfants partaient « pour un avenir meilleur » et qu’ils reviendraient régulièrement sur l’île de La Réunion. La plupart ne reverrons jamais leur enfants, qui eux ne reverront jamais leur île natale. Placés dans des familles d’accueil, victimes de travail forcé, de violences, de maltraitance, de racisme, beaucoup d’entre eux n’ont pas connu cet avenir meilleur, en plus d’être déracinés de leur histoire et de leur origines.
Aujourd’hui, l’heure est au Pardon, à la reconstruction, à la recherche de la vérité, des racines que ces enfants ont perdu par la force d’une politique bien cruelle. La Ministre des Outre-mer signe peut-être ici sa plus belle action depuis sa prise de fonction, « Georges Pau-Langevin a tenu sa promesse, et pour ça, on la remercie », souligne Valérie Andanson, chargée de communication de la Fédération des Enfants Déracinés des DROM (FEDD). En fait, cette promesse réalisée intervient deux ans après la reconnaissance par l’Etat d’une « responsabilité morale » dans cette affaire, sous l’impulsion de la députée de La Réunion, Ericka Bareigts. Valérie Andanson fait elle-même partie de ces enfants déracinés. Contactée par Outremers360, elle raconte…
Comment cela s’est passé pour les enfants arrachés à leur terre natale ? Arrivés en France ?
Moi j’en fais partie, j’ai été envoyée dans la Creuse à l’âge de 3 ans. C’était vraiment un vol d’enfants. On nous a transféré comme des objets. A La Réunion, les assistants sociales allaient dans les familles pauvres pour récupérer les enfants, faire signer des documents, et à partir de là, on était considéré comme des pupilles de l’Etat, alors que certains de nos parents étaient encore vivants. C’est un événement très important car nous étions plus de 1600 enfants et très récent puisque cela fait 50 ans. C’est Michel Debré qui a mis en place ce transfert, en gros, pour le « trop plein vers le trop vide », pour régler un problème démographique. À La Réunion, il y avait trop de monde et pas assez dans les campagnes métropolitaines. Nous avons tous un parcours différent, plus ou moins difficile, mais avec un point commun, ce déracinement difficile à vivre. Le 18 février, il y aura 18 ex-pupilles, et je peux vous assurer qu’il y en a qui ont été très marqués, traumatisés par cette période.
Et pour vous, que s’est-il passé ?
Nous étions six dans la fratrie à être déplacés, d’un coup. Arrivés dans la Creuse, on a tous été séparés. Je me suis retrouvée dans une famille d’accueil où j’ai été maltraitée pendant quatre ans, et ensuite j’ai été placée en famille d’adoption. Avec mes frères et soeurs on se croisaient sans même savoir que nous étions frères et soeurs. Ce n’est qu’à l’âge de 16 ans que j’ai pu retrouver mes frères et soeurs. J’ai un de mes frères qui s’est donné la mort il y a 32 ans et j’ai une soeur qui se trouve en hôpital psychiatrique. C’est pour vous dire qu’il y a encore beaucoup de traumatisme. Je suis restée 40 ans dans la Creuse. Avec ma famille d’adoption, ça a été moins difficile, même si j’ai vécu dans le mensonge. Mais il y avait aussi beaucoup de racisme, dans la Creuse à l’époque. Beaucoup d’ex-pupilles ont connu la maltraitance.
Vous avez eu l’occasion de retrouver votre île natale ?
Oui, j’ai pu aller à La Réunion, grâce à mon métier. Étant dans la fonction publique, j’ai pu demander ma mutation la-bas. J’y suis restée 9 ans, mais je n’ai pas eu accès à la totalité de mon dossier. C’est incroyable qu’on ait pas accès à nos dossiers…
Vous n’avez donc pas pu retrouver votre famille…
Non, je n’ai jamais eu accès à mon acte de naissance original car il y a eu falsification de mon état civil. Aujourd’hui, j’ai une vraie-fausse identité. Mais grâce à une radio locale, j’ai retrouvé mon parrain, quelques cousins, dont je ne suis même pas sûr qu’il s’agisse vraiment de mes cousins. Nos origines on ne les connaîtra pas. Je ne pense pas pouvoir retrouver toute ma famille, mais ce qu’on demande c’est vraiment qu’on nous rende notre identité sans aucune contrainte et avoir accès à la globalité de nos dossiers.
Vous avez bon espoir pour la demande de billets d’avions pour La Réunion ?
Oui, nous avons bon espoir de ce côté là, je pense que cette demande aboutira.
Vos familles d’adoption étaient au courant ?
Oui, ils étaient au courant. Beaucoup d’administrations étaient liées à cette histoire. C’est pour ça que je pense que nous n’avons pas accès à nos dossiers.