Rétro 2018 : Du chlordécone à Pouvanaa en passant par le Référendum : Les faits qui ont marqué l’année

Rétro 2018 : Du chlordécone à Pouvanaa en passant par le Référendum : Les faits qui ont marqué l’année

A quelques heures de 2019 et en ce dernier lundi de l’année, il est coutume de faire le bilan de l’année écoulée. Outremers360 ne déroge pas à la règle et vous propose de retracer les faits et évènements qui ont marqué nos territoires ultramarins de l’Atlantique au Pacifique en passant par l’Océan Indien.

Martinique et Guadeloupe : Sargasses, Chlordécone, et Irma

C’est un rapport sur l’exposition au chlordécone réalisé par l’Anses et publié fin 2017 qui va relancer le débat sur les effets du chlordécone, un insecticide utilisé dans les bananeraies antillaises jusque dans les années 90 et soupçonné d’être cancérigène. Le rapport soulignait jusqu’à 19% des enfants guadeloupéens situés dans les zones contaminées (communes avec plus de 30% des sols contaminés) et près de 7% des enfants martiniquais dans ces zones seraient surexposés à ce produit. Mais elle considérait que les limites maximales de résidus (LMR, limites autorisées dans les aliments) actuellement en vigueur « apparaissent protectrices ».  La levée de boucliers de certains parlementaires antillais tels que le député de la Martinique fait entrer ce sujet dans l’hémicycle dès janvier.

Le gouvernement tente de rassurer en annonçant diverses mesures comme un plan de contamination sur les conséquences sanitaires, la tenue d’un colloque international aux Antilles, et des appels à projets scientifiques pour faire avancer la recherche.  Des mesures qui satisferont à demi les élus ainsi que les populations. Fin juin, deux députés européens Michèle Rivasi et Younous Omarjee réclament l’ouverture d’une enquête parlementaire tout en dénonçant un scandale d’État.  Dans le même temps, une association guadeloupéenne a décidé de déposer un recours devant le tribunal administratif de Paris pour demander l’abrogation d’un arrêté fixant les limites autorisées de chlordécone.

©Préfet de la Martinique

©Préfet de la Martinique

Les espoirs reposent alors sur la venue du Président de la République Emmanuel Macron. Pour sa première visite aux Antilles depuis son élection, Emmanuel Macron a déclaré en Martinique que « l’État doit prendre sa part de responsabilité dans cette pollution et avancer sur le chemin des réparations ».

Sur l’île voisine, en Guadeloupe, un autre fléau accapare l’attention. Il s’agit des algues. L’invasion des sargasses aux Antilles est « une calamité » dont le gouvernement n’a « probablement pas pris toute la mesure » a reconnu Nicolas Hulot déjà en mai 2018.  Pour résoudre cette crise, un plan de 10 millions d’euros sera déployé. Comme pour le chlordécone, une plainte pour mise en danger d’autrui sera déposé en septembre afin de dénoncer les « insuffisances criantes face à l’envahissement des côtes antillaises par les sargasses », par un collectif guadeloupéen.

Guyane : Montagne d’Or et de discorde

Un an après avoir été secouée par une crise économique et sociale, la Guyane fait de nouveau parler d’elle avec le projet de la Montagne d’Or. Porté par le groupe russe Nordgold associé au canadien Columbus Gold, il s’agit d’une exploitation d’une mine aurifère d’une superficie de 8 km2, à partir de 2022, au sud de Saint-Laurent-du-Maroni, en forêt tropicale : une exploitation via un procédé de récupération de l’or par cyanuration en circuit fermé.

Si les promesses de création de 750 emplois directs et plus de 3 000 emplois indirects semblent alléchantes pour un territoire qui connait un taux de chômage avoisinant les 22%, le projet Montagne d’Or suscite beaucoup de manifestations, d’oppositions mais aussi de crispations. Oppositions de la part des associations écologistes, et des populations autochtones qui y dénoncent un « scandale » économique, et une catastrophe écologique et environnementale annoncée. Un sondage publié en janvier par WWF France indique que 75% des Guyanais y sont opposés à la Montagne d’Or.

©WWF

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Le projet provoque des crispations au sommet du gouvernement. Soutenu par Emmanuel Macron, il est critiqué par l’ancien ministre de la Transition écologique Nicolas Hulot. Ce dernier soulignait en juin la nécessité de « remettre à plat » ce projet. Son successeur, François de Rugy reconnaitra la même chose trois mois plus tard. « Le projet de la Montagne d’Or est un dossier majeur pour moi. Il faudra remettre à plat ce projet, le débat public conclu au début de l’été l’a démontré. Il ne pourra pas être mis en œuvre tel quel », confiait-il à France Inter quelques jours après sa nomination.

Malgré l’engagement de la Compagnie minière Montagne d’or à revoir la copie de son projet, la mobilisation pour l’arrêt du projet ne faiblit pas. « Si la Montagne d’or ne recule pas, nous allons droit vers l’affrontement », ont prévenu six organisations amérindiennes, opposées à ce projet minier en Guyane, dans une lettre ouverte adressée lundi à Emmanuel Macron à la mi -novembre.

Guyane Maritime vs protection du récif de l’Amazone

Mais le projet de la Montagne d’Or n’est pas le seul projet industriel qui a fait couler beaucoup d’encre cette année. Il s’agit du permis d’exploitation Guyane Maritime qui a été accordé à un consortium pétrolier, avec Total, en 2011. Ce permis visait à lancer des puits de forage exploratoires. L’objectif était de déterminer l’emplacement d’éventuels gisements de pétrole et estimer leur potentiel de production. Total, convaincu de l’intérêt de ce gisement, a ensuite mené plusieurs forages entre d’exploration, sans succès.

©AFP

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En dépit de l’opposition citoyenne, la préfecture de Guyane a accordé fin octobre l’autorisation au groupe pétrolier de mener une campagne de forages en mer, en dépit de l’opposition citoyenne sur place. Cette autorisation a suscité de nombreuses réactions de la part des associations de protection de l’environnement. Le Collectif Stop Pétrole Offshore Guyane a condamné dans un communiqué « une attitude irresponsable » en contradiction avec les Accords de Guyane et s’est dit prêt « pour le bras de fer qui s’engage contre le géant pétrolier ». L’ONG Greenpeace a fait valoir que les forages se trouveraient à proximité d’un récif corallien unique découvert au large de l’embouchure du fleuve Amazone.

Début décembre, le directeur général de Total E&P annoncé que le navire de forage était en route pour démarrer la campagne d’exploration offshore. Le 12 décembre, sept ONG environnementales ont annoncé avoir déposé un recours contre l’État au tribunal administratif de Cergy pour annuler les autorisations de forage accordées au groupe pétrolier Total au large de la Guyane.

Mayotte : Le « visa Comores-France » provoque une crise sociale majeure

Aux 2ème semestre 2017, le gouvernement annonce la mise en place de la gratuité du visa entre les Comores et Mayotte. Le but : « lutter contre le trafic d’êtres humains, favoriser les mouvements légaux, tarir les passages illégaux et sécuriser les liaisons, aériennes comme maritimes ». Mais les Mahorais y ont vu la porte ouverte à une immigration encore plus massive de Comoriens dans l’île.

Annick Girardin au milieu de manifestants à Mayotte

Annick Girardin au milieu de manifestants à Mayotte

En février 2018 débute alors une importante crise sociale qui durera six semaines. Mené par une intersyndicale et un collectif, des manifestations de plusieurs milliers de personnes ont lieu à Mamoudzou (chef-lieu), ainsi que des ruptures fréquentes de la liaison maritime entre les deux îles principales, des opérations « île morte » et escargot. Le mouvement se durcit au 1er mars avec plus d’une dizaine de barricades paralysant la majeure partie de la circulation routière, voire celle des piétons, et bloquant le port principal de l’île, tandis qu’un embargo sur le fret aérien était décidé. Fin mars, des citoyens mahorais iront jusqu’à expulser des Comoriens, « incitant une partie de la population à quitter le territoire ».

Entre temps, la ministre des Outre-mer arrive en urgence sur l’île mi-mars pour tenter de trouver une issue au mouvement de contestation populaire qui touche l’île. Pour déminer le terrain, Annick Girardin se sépare de son Chef de cabinet Dominique Sorain, et le nomme Préfet de Mayotte et délégué du gouvernement, Frédérique Veau étant affaiblit politiquement par la crise. Pour répondre à l’urgence, Edouard Philippe présente les « grands axes du plan de rattrapage et de développement de Mayotte » que doit présenter Dominique Sorain pour le mois de mai 2018. Parmi les axes : l’accélération de la construction de classes, la création d’un rectorat ou encore, l’insertion de Mayotte dans son environnement régional. Néanmoins, et même la question de l’immigration comorienne à Mayotte retient moins l’attention du grand public, le climat reste tendu entre Mayotte et les Comores.

La Réunion : Les gilets jaunes paralysent l’île 

Inédit et historique. Le mouvement des gilets jaunes, lancé dans l’Hexagone en raison de la hausse des prix des carburants, traverse les océans et arrive en force à La Réunion. Durant plus de deux semaines, l’île sera totalement paralysée : le Port bloqué empêche l’entrée des marchandises, les écoles, administrations et commerces sont fermées, des violences urbaines éclatent la nuit tombée, en marge du mouvement. Chaque jour, on compte 20 à près de 50 barrages répartis sur l’île. Le Préfet Amaury de Saint-Quentin décrète alors le couvre-feu dès la première semaine de mobilisation et demande des renforts des forces de l’ordre. Sur place, le dialogue est rompu : malgré des rencontres avec le Préfet, le mouvement ne faiblit pas et les appels au calme des élus locaux passent inaperçus. En ligne de mire : la vie chère, l’octroi de mer, les retraites, le chômage, l’emploi des jeunes, les taxes ou encore, les impôts.

©IPR

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Pour répondre à la crise, le gouvernement renvoie d’abord au Livre Bleu outre-mer. « La plupart des réponses se trouvent déjà dans le Livre Bleu des Outre-mer présenté en juin dernier, et comprend des aides aux entreprises en faveur de l’emploi (…) notamment via un dispositif de zone franches, via un fonds d’intervention économique qui mobilisera 400 millions d’euros pour soutenir les initiatives privées. Sur les questions de très long terme concernant l’emploi, la santé, la formation, inscrites dans le Livre bleu des Outre-bleu, nous nous y emploierons dans les semaines qui viennent avec la Ministre des Outre-mer », avait alors déclaré Benjamin Grivaux, porte-parole du gouvernement, sans convaincre.

À la deuxième semaine du mouvement, la ministre des Outre-mer Annick Girardin arrive sur l’île. Chahutée à son arrivée par plusieurs milliers de manifestants, elle n’hésite pas à se rendre au milieu des foules munie d’un simple mégaphone pour tenter d’instaurer le dialogue. En bottines débardeur au lendemain d’Irma, assise sur l’herbe au milieu des manifestants mahorais ou envahie d’une marée jaune colère à La Réunion : Annick Girardin sait se mettre en scène seule face aux éléments. Sur place, elle fait trois séries d’annonces : sociales, économiques et sur le pouvoir d’achat et la lutte contre la vie chère. « Il est important que le travail continue » assure-t-elle à son départ, satisfaite de sa visite malgré l’absence de dialogue avec les parlementaires réunionnais.

Nouvelle-Calédonie : La victoire timide du « non » à l’indépendance

Trente ans après la signature de l’Accord de Matignon et 20 ans après celui de Nouméa, les Calédoniens ont été appelés à choisir leur destin à travers la question : « Voulez-vous que la Nouvelle-Calédonie accède à la pleine souveraineté, et devienne indépendante ? ». Sans surprise, le corps électoral référendaire vote le « non » à l’indépendance. Mais surprise, la victoire est moins nette, moins massive que prévue : 57% contre 43% pour le « oui ». La défaite des indépendantistes est savoureuse, la victoire des loyalistes est amère.

©Outremers360

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Au lendemain de cette consultation issue de trente ans de décolonisation, Édouard Philippe veut recentrer le débat sur les « enjeux économiques » de la Nouvelle-Calédonie. Mais au final, le référendum du 4 novembre n’aura apporté aucune réponse à l’avenir institutionnel de la Nouvelle-Calédonie. L’accord de Nouméa devant prendre fin, plusieurs questions restent en suspens : faut-il aller vers un 2èmeet 3èmeréférendum ? trouver un consensus sur une nouvelle organisation politique ? Et quel lien institutionnel entretenir avec l’Hexagone ? Autant de points d’interrogation qui ne devrait pas trouver de réponse avant les élections provinciales de mai 2019.

Polynésie : La mémoire réhabilitée du « Metua » Pouvanaa a Oopa

En octobre, et après près de 60 ans de combat intergénérationnel : la mémoire de Pouvanaa a Oopa, père du nationalisme en Polynésie, est réhabilitée. Accusé en 1958 d’avoir voulu incendier la ville de Papeete, au lendemain du référendum constitutionnel, le « Metua » est condamné à la prison et l’exile. Grâcié en 1966, il regagne sa Polynésie natale en novembre 1968, acclamé par les Tahitiens. Sénateur à partir de 1971, Pouvanaa ne cessera de clamer son innocence et de demander la révision de son procès. Il meurt en 1977 et transmet malgré lui ce combat à ses enfants, petits-enfants et arrière-petits-enfants.

Buste de Pouvanaa a Oopa à Papeete ©Outremers360

Buste de Pouvanaa a Oopa à Papeete ©Outremers360

Il faudra attendre 2012 et le documentaire Pouvanaa Te Metua : L’élu du Peuple, pour que son combat imprègne l’ensemble de la Polynésie, classe politique comprise. Les candidats François Hollande et Nicolas Sarkozy s’emparent même du sujet lors de la Présidentielle et se sera finalement Christiane Taubira, ancienne Garde des Sceaux, qui aura la charge d’ouvrir la procédure de révision auprès de la Chambre criminelle de la Cour de Cassation. Fin 2017, la Chambre annonce l’examen de la demande de révision. Début juillet 2018, la demande passe à la Cour et les plaidoyers de l’avocat général, et de l’avocat assigné à la défense du Metua laissent présager une issue positive.

Le 24 octobre, le verdict tombe sur plusieurs décennies de combat. La Chambre criminelle de la Cour de Cassation annule le procès de 1958. Par conséquent, la mémoire de Pouvanaa a Oopa est réhabilitée. En Polynésie, l’annonce fait l’effet d’un tremblement de terre et sonne la fin d’une injustice faite à celui qui a toujours eu confiance en la Justice : « La France est une grande nation, c’est pour cela qu’elle me rendra Justice » disait-il le père du nationalisme tahitien.