Présidentielle à Madagascar : Duel au couteau entre deux « ex » présidents

Présidentielle à Madagascar : Duel au couteau entre deux « ex » présidents

Les candidats au second tour de la présidentielle malgache, Marc Ravalomanana (gauche) et Andry Rajoelina (droite), avant un débat télévisé, le 9 décembre 2018 à Antananarivo ©Mamyrael / AFP

Plus de dix millions de Malgaches sont appelés mercredi à élire leur président lors d’un scrutin aux allures de règlement de comptes entre les deux hommes qui écrasent depuis plus de dix ans la vie politique du pays, un des plus pauvres de la région Afrique – Océan Indien.

Accusations de corruption, procès en incompétence, petites phrases assassines, Marc Ravalomanana et Andry Rajoelina se sont rendus coup pour coup pendant deux semaines d’une campagne féroce, marquée du sceau de leurs rancunes personnelles. Leur passif est très lourd. Élu chef de l’État en 2002, Marc Ravalomanana a été contraint à la démission sept ans plus tard par une série de violentes manifestations soutenues par Andry Rajoelina.

Maire de la capitale Antananarivo, ce dernier avait alors été installé par l’armée à la tête d’une présidence de transition. Les deux rivaux ont été interdits de candidature pour l’élection de 2013, dans le cadre d’un accord destiné à mettre un terme aux crises à répétition qui ont agité la Grande île depuis son indépendance en 1960. Cinq ans plus tard, les revoici face à face pour une explication politique finale.

Ravalomanana, le « self-made man » riche et célèbre

Marc Ravalomanana 69 ans, n’a toujours pas digéré son éviction du pouvoir. Issu d’une famille paysanne des environs de la capitale Antananarivo, cet ancien livreur de lait a bâti sa notoriété et sa fortune dans les affaires en créant à partir du fameux yaourt Tiko un empire agroalimentaire. Riche et célèbre, le « self-made man » fait une entrée fracassante en politique en emportant en 1999 la mairie de la capitale. Deux ans plus tard, il arrache la présidence au sortant Didier Ratsiraka après une élection contestée dont il force l’issue au prix d’une série de violentes manifestations de rue.

Le candidat à la présidentielle malgache Marc Ravalomanana, avant un meeting de campagne devant des dizaines de milliers de partisans, à Antananarivo, le 15 décembre 2018 ©Gianluigi Guercia / AFP

Le candidat à la présidentielle malgache Marc Ravalomanana, avant un meeting de campagne devant des dizaines de milliers de partisans, à Antananarivo, le 15 décembre 2018 ©Gianluigi Guercia / AFP

Cinq ans plus tard, il est réélu dès le premier tour. Ses partisans vantent son ambition et son énergie, ses détracteurs dénoncent sa dérive autoritaire et son affairisme. Ces critiques virent à l’épreuve de force début 2009. Le 7 février, l’armée réprime dans le sang une marche vers le palais présidentiel des partisans du jeune maire d’Antananarivo, Andry Rajoelina. Lâché par l’armée, Marc Ravalomanana doit céder le pouvoir à un directoire militaire, qui finit par le remettre à son rival Rajoelina. Contraint à l’exil, il est condamné par contumace en 2010 pour meurtres et complicités. Il ne peut rentrer au pays qu’en 2014, après l’élection de Hery Rajaonarimampianina, mais reste assigné à résidence pendant plusieurs mois.

Il finit par relancer les activités de son groupe et reprendre les rênes de son parti, « Tiako i Madagasikara » (« J’aime Madagascar »), avec pour obsession d’effacer le « coup d’État » qui l’a chassé du pouvoir. Plus à l’aise en anglais qu’en français, Marc Ravalomanana se targue aujourd’hui de son expérience et de la confiance des bailleurs internationaux. Face à la jeunesse de son adversaire, il joue la carte du « père de la Nation » pour « bâtir un Madagascar prospère ». « Dada (Papa en malgache ») est de retour », a-t-il lancé samedi devant des milliers de partisans enthousiastes réunis dans la capitale.

Rajoelina, le jeune homme pressé

Surnommé « TGV » pour son côté fonceur, Andry Rajoelina est apparu en 2007 sans prévenir dans le ciel politique malgache, comme une météorite. Jusque-là connu pour ses seules activités de disc-jockey et d’organisateur de soirées en vue dans la capitale, le jeune patron de sociétés publicitaires crée la surprise en étant élu maire d’Antananarivo, loin devant le candidat du parti présidentiel. Grâce à son sens aigu de la communication et au soutien de sa propre radio-télévision Viva, il s’impose en quelques semaines comme le meneur de l’opposition au président en exercice Marc Ravalomana.

A partir de la fin 2008, ses partisans défient ouvertement le régime dans la rue et finissent, avec le soutien implicite des militaires, par chasser le chef de l’État. Président non élu, le trentenaire élégant au visage poupin peine toutefois à rassembler pour sortir le pays de la crise. Ses adversaires lui reprochent alors de « naviguer à vue », d’être « manipulable », « de fermer les yeux » sur le pillage des ressources naturelles et de ne penser qu’à « défendre ses prérogatives », au besoin en faisant arrêter ses rivaux.

Le candidat à la présidentielle malgache, Andry Rajoelina, lors d'un défilé de ses partisans à Antananarivo, le 16 décembre 2018 ©Gianluigi Guercia / AFP

Le candidat à la présidentielle malgache, Andry Rajoelina, lors d’un défilé de ses partisans à Antananarivo, le 16 décembre 2018 ©Gianluigi Guercia / AFP

Interdit de candidature par la communauté internationale, comme son éternel rival, Andry Rajoelina ne se présente pas à la présidentielle de 2013 et finit par soutenir le parti de son ex-ministre des Finances Hery Rajaonarimampianina, qui l’emporte. Mais très vite, les deux hommes se brouillent. Dès 2016, Andry Rajoelina annonce son intention de défaire son ancien protégé dans les urnes. Ses réunions publiques, aux allures de grand spectacle, attirent les foules. Ses propositions suscitent parfois les railleries, comme celle de lutter contre les vols de zébus en les équipant de puces GPS.

« Il est inconstant, manipulable, et ne cherche plus qu’à profiter de ses prérogatives », critique Monja Roindefo, son ancien Premier ministre et compagnon de lutte. Lui balaie ces critiques d’un revers de main. « La situation à Madagascar est catastrophique, je voudrais rendre l’espoir et la fierté aux Malgaches », a-t-il dit, « je serai un président du petit peuple qui protège les pauvres ».

Léger avantage à Rajoelina

Lors du premier tour de la Présidentielle 2018 le 7 novembre dernier, Andry Rajoelina, 44 ans, a pris un léger avantage en recueillant 39,23% des suffrages, contre 35,35% à Marc Ravalomanana, 69 ans. L’aura des deux hommes et surtout leurs moyens financiers, apparemment sans limite, ont balayé leurs 34 adversaires. Même le sortant Hery Rajaonarimampianina a été réduit au rang de faire-valoir, crédité d’un score humiliant de 8,82%.

Clientélisme

La place désormais nette, Ravalomanana et Rajoelina ont laissé éclater leur hostilité personnelle. A longueur de discours, le premier a traité son rival de « destructeur » et dénoncé ses « provocations et sabotages ». « Il est temps pour l’autre de prendre sa retraite et d’aller traire ses vaches », a rétorqué le second. Pour rallier les maigres troupes de leurs concurrents du premier tour et, surtout, les abstentionnistes – 45,7% – les deux ex-présidents ont quadrillé de plus belle le pays dans leurs hélicoptères rutilants, distribuant sans compter assurances et dons en tous genres dans un clientélisme totalement décomplexé…

Des enfants achètent de l'huile à prix cassé à des militants soutenant la candidature d'Andry Rajoelina à la présidentielle malgache, le 15 décembre 2018, à Antananarivo ©Rijasolo / AFP

Des enfants achètent de l’huile à prix cassé à des militants soutenant la candidature d’Andry Rajoelina à la présidentielle malgache, le 15 décembre 2018, à Antananarivo ©Rijasolo / AFP

Dans le sud du pays en pleine crise alimentaire, des partisans d’Andry Rajoelina n’ont pas hésité à offrir à la population du riz et de l’huile à prix cassés. « Ce n’est pas pour la propagande, c’est juste pour aider la population », a affirmé Serge, le propriétaire du restaurant de Fort-Dauphin qui hébergeait l’opération. « C’est la concrétisation avant l’heure des promesses du président Rajoelina pour les pauvres ». « C’est très bien de faire ça, les prix sont trop chers au marché », a approuvé Pauline Lalao, 42 ans, une des mères de famille qui se bousculaient devant l’enseigne aux couleurs orange du candidat. « C’est pour ça que je vais voter pour le candidat 13 (Rajoelina) », a-t-elle ajouté, « lui, il comprend nos problèmes ».

Marc Ravalomanana n’est pas non plus resté inactif en matière de promesses. Dans un stade d’Antananarivo samedi, il a dévoilé le kit qu’il a décidé d’offrir à tous les écoliers du pays en cas de victoire. « Voici les sacs à dos pour les enfants. Et à l’intérieur il y a un tablier », a-t-il lancé devant des milliers de partisans. « S’ils ont tous les mêmes uniformes, ils pourront bien étudier (…). J’aimerai vos enfants comme les miens ». Succès garanti. « Dada (Papa, son surnom) est le seul capable de développer Madagascar », a applaudi Laza Rabaromanana, 34 ans. « Quand il était président, il est le seul qui a réussi à scolariser tous les enfants (…), il sait vraiment tout faire ».

« Enjeux énormes »

Ce duel personnalisé à l’extrême a fait passer au second plan la réalité d’un pays perclus de problèmes. Pauvreté, corruption, insécurité… Avec ses 25 millions d’habitants, Madagascar reste le seul pays africain qui, sans avoir connu la guerre, s’est appauvri depuis son indépendance. Les trois quarts de la population y vivent avec moins de deux euros par jour, selon la Banque mondiale. « J’espérais un débat d’idées, j’assiste à un violent duel d’égos », note Sahondra Rabenarivo, de l’Observatoire de la vie politique à Madagascar (Sefafi). « C’est inquiétant car tout est à reconstruire dans ce pays, et ça ne se fera que si les gens travaillent ensemble ».

©Paul Defosseux / AFP

©Paul Defosseux / AFP

Surtout, cette rivalité exacerbée fait peser le risque d’une nouvelle crise politique. « Les enjeux sont énormes. Les deux ont beaucoup investi, y compris financièrement, dans ce scrutin », note l’analyste Marcus Schneider, de la fondation Friedrich Ebert. « Si les résultats sont serrés, le perdant pourrait contester les résultats et replonger le pays dans la crise ».

Avec AFP.