Polynésiens bloqués en France : Une cartographie en ligne, le début des rapatriements en mai

Polynésiens bloqués en France : Une cartographie en ligne, le début des rapatriements en mai

Alors que le ministre de la Santé en Polynésie, Jacques Raynal, a annoncé un début de rapatriement des Polynésiens bloqués en France hexagonale courant mai (encadré), une cartographie de ceux-ci a été réalisé par un habitant de l’atoll de Fakarava. Elle permet notamment de mettre en contact des Polynésiens en difficulté dans l’Hexagone et des personnes pouvant leur venir en aide. 

Propriétaire et dirigeant d’un centre de plongée à Fakarava dans l’archipel des Tuamotu, Thibault Gachon vit depuis cinq ans en Polynésie avec son épouse, et leur fille de trois ans. Ému par la situation souvent difficile des Polynésiens bloqués dans l’Hexagone depuis le début de la crise sanitaire liée au coronavirus et surtout, l’arrêt de la desserte aérienne commerciale, Thibault Gachon a réalisé une cartographie permettant de recenser ces Polynésiens qui demandent un retour dans leur Fenua. En outre, cette cartographie met en relation ces personnes avec des résidents de l’Hexagone pouvant leur venir en aide. INTERVIEW.

Outremers360 : Vous avez réalisé une cartographie des Polynésiens bloqués dans l’Hexagone mais aussi des personnes qui pourraient leur venir en aide. Comment l’idée vous est-elle venue ? 

Thibault Gachon : L’idée est partie d’un coup de colère, en entendant les propos de la Ministre des Outre-mer déclarer « il y a environ 300 polynésiens bloqués à Paris, mais nous avons mené une enquête, et leur situation est bonne ». Cette déclaration était à l’inverse de la réalité, sur au moins deux points. D’abord, les polynésiens coincés en France ne sont pas tous à Paris, loin s’en faut. Ensuite, les situations critiques sont nombreuses, tant sur le plan matériel que moral.

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Donc, pour essayer de montrer la réalité du terrain, j’ai eu l’idée de cette carte pour, d’une part montrer où sont nos polynésiens, et d’autre part, pouvoir exprimer leurs difficultés. L’idée de rajouter sur cette même carte les volontaires pour leur venir en aide, est venue juste après, en recevant de propositions spontanées.

Faut-il avoir de bonnes connaissances informatiques pour la réaliser ? 

Pas vraiment. J’ai créé deux formulaires en ligne, grâce aux outils de Google : l’un pour que les polynésiens bloqués puissent se recenser, et l’autre pour les personnes qui peuvent proposer leur aide. Ensuite, j’ai créé, toujours sur Google, une carte sur laquelle il est très simple de placer chaque personne qui a rempli un formulaire. Donc finalement, ça ne demande pas de véritables connaissances en informatique. Juste une bonne pratique des outils disponibles, et gratuits.

Votre cartographie a-t-elle déjà donné des résultats ? Des liens ont-ils pu être créés grâce à cela ? 

C’est difficile à dire, parce que l’idée est justement que les gens puissent se contacter en direct, sans intermédiaire. Mais j’ai eu quelques retours, quelques témoignages très positifs, qui prouvent que la générosité est bel et bien présente.

Combien de personnes avez-vous pu répertorier jusqu’ici ? Tant du côté des Polynésiens bloqués que ceux qui leurs viennent en aide ? 

A l’heure où j’écris ces lignes, nous avons 80 fiches de Polynésiens bloqués, ce qui représente une centaine de personnes, et une grosse cinquantaine de propositions d’entraide. Mais il y a aussi des offres d’entraide qui ne se signalent pas, et qui contactent directement les personnes recensées sur la carte.

Votre épouse et votre fille sont en France, pour quelles raisons sont-elles bloquées dans l’Hexagone ? Comment cela se passe pour elles ? 

Ma femme et ma fille sont parties le 8 mars, pour aller rendre visite à la famille. Je précise qu’à cette date, nous nous sommes interrogés sur la possibilité de reporter ce voyage, mais la compagnie aérienne refusait de modifier les billets, en précisant que rien ne le justifiait. Nous leur avons donc fait confiance, et dix jours plus tard, les vols s’annulaient sans que nous ayons le temps de trouver de solution alternative.

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Concernant la situation de ma famille, elles sont en sécurité chez les parents de ma femme, en confinement strict depuis plus d’un mois maintenant. Dans leur cas, la problématique n’est pas strictement matérielle, car elles ont un toit et de quoi manger, mais la détresse morale, que nos dirigeants semblent négliger, est énorme. Tous les matins, ma fille prépare ses valises en disant : « je suis prête, on peut aller prendre l’avion ». A son âge, en pleine construction mentale et émotionnelle, elle a besoin de retrouver ses repères : son papa, sa maison, son lagon.

Comment est-ce que vous vivez cette situation ? Quel regard portez-vous sur celle des Polynésiens en France et qui cherchent à rentrer ? 

Je pense que, comme la plupart des Polynésiens coincés en France, nous devons faire face à deux sources de difficultés. Tout d’abord, la gestion au quotidien de la situation, des questions d’hébergement, des ressources financières épuisées, ainsi que la douleur d’être loin de chez nous et séparés de nos proches.

Mais l’autre difficulté de cette situation, c’est de se sentir abandonnés par nos dirigeants. Nous n’avons aucune lisibilité de ce qui pourrait se passer, et donc, pas d’espoir auquel se raccrocher. Il n’y a pas d’information, pas de suivi, et au final, le sentiment d’être considérés comme des pestiférés par son propre Pays.

Alors que les solutions semblent évidentes : tester les gens avant de leur faire prendre l’avion, et les mettre en quarantaine à leur arrivée, en réquisitionnant l’un des nombreux hôtels vides. C’est ce qu’ont fait tous les États qui ont pris soin de rapatrier leurs ressortissants. La Polynésie semble être le seul Pays qui abandonne ses enfants, et ça fait vraiment mal.

Pour accéder à cette cartographie, c’est ici. Si vous faites partie des résidents polynésiens bloqués dans l’Hexagone, cliquez ici pour remplir le formulaire pour apparaître sur la carte. Si vous pouvez apporter de l’aide, vous pouvez remplir ce formulaire

Pour rappel, la Délégation interministérielle à l’Égalité des chances des Français d’Outre-mer a également mis en ligne une plateforme d’entraide entre Ultramarins dans l’Hexagone

Les premiers rapatriements de Polynésiens bloqués dans l’Hexagone courant mai

Un « certain nombre de résidents polynésiens en métropole et d’étudiants » pourront finalement prendre « le prochain vol de continuité territoriale » prévu début mai, a assuré le ministre de la Santé en Polynésie, Jacques Raynal.

De quoi soulager les quelques 200 polynésiens bloqués en France hexagonale depuis le début de la crise sanitaire liée au coronavirus. Ces vols de continuité territoriale, aux conditions particulières, ne pourront embarquer que « 100 à 110 passagers » afin notamment de respecter les gestes barrières. D’autres vols auront lieu courant mai afin de rapatrier les Polynésiens qui tirent la sonnette d’alarme depuis le début de la crise.

Une fois sur place, naturellement, les rapatriés devront respecter une période de quatorzaine, « sous réserve qu’on puisse disposer d’un test qui permette de s’assurer qu’ils ne sont pas atteints du coronavirus », a précisé le ministre. Sans test, la période d’isolement devrait être rallongée à 21 jours afin de limiter le risque. Le lieu de la quarantaine n’a pas encore été précisé.

En attendant, un premier vol de rapatriement aura lieu ce mercredi. Il concernera uniquement une trentaine d’évacués sanitaires ayant fini leur soin dans l’Hexagone. Un vol finalement maintenu in extremis. En effet, le gouvernement local ayant eu vent de trois cas positifs parmi ces évasanés, avait décidé d’annuler ce rapatriement, au grand désespoir des familles qui avaient pourtant reçu des appels confirmant leur retour. Pour au final maintenir ce premier vol de rapatriement, le gouvernement a décidé d’exiger un certificat médical et un test au Covid-19 négatif.

Pour rappel, la ministre des Outre-mer s’était dite favorable au retour des Polynésiens bloqués dans l’Hexagone, « le plus rapidement possible ». Mais localement, le président de la Collectivité se montrait inflexible, en raison du manque d’hébergement et du fait que la majorité des cas confirmés en Polynésie sont des cas importés par des résidents retournés sur place avant la suspension des vols. Pour les étudiants, le Ministère a lancé un recensement pour planifier un rapatriement pour ceux qui le souhaitent.

Depuis, les Polynésiens bloqués dans l’Hexagone se sont rassemblés et mobilisés sur les réseaux sociaux, faisant part d’une situation difficile entre galère matérielle et financière, et détresse morale. Ces derniers devront tenir encore quelques semaines avant leur retour. La Délégation de la Polynésie française à Paris aura la charge d’établir la liste des personnes concernées.

Annick Girardin favorable au retour « le plus rapidement possible » de Polynésiens bloqués dans l’Hexagone