Polynésie : Dans une lettre à Emmanuel Macron, le député Moetai Brotherson appelle à un « ambitieux et vaste projet » de dépollution de Moruroa

Polynésie : Dans une lettre à Emmanuel Macron, le député Moetai Brotherson appelle à un « ambitieux et vaste projet » de dépollution de Moruroa

Moetai Brotherson a déposé sa lettre à l’Élysée ce mercredi

Comme il l’avait annoncé courant janvier, le député de Polynésie française Moetai Brotherson (GDR) s’est rendu à l’Élysée afin de transmettre une lettre au président de la République Emmanuel Macron. Il appelle notamment à une dépollution « concrète » des atolls utilisés pour la réalisation des essais nucléaires français et à une prise de position du président sur deux projets controversés en Polynésie. 

Dans celle-ci (voir en fin d’article), le député, également membre du parti indépendantiste de Polynésie, appelle à « un ambitieux et vaste projet de retrait et de retraitement de l’ensemble des déchets et résidus radioactifs issus des essais nucléaires de Moruroa ». Mettant en avant un « défi technologique et industriel » qui « pourrait placer la France aux avant-postes d’un domaine où aucun leadership n’est à ce jour constaté », il demande à Emmanuel Macron d’être « porteur de cette démarche concrète concernant l’atoll de Moruroa, mais plus largement l’Océan Pacifique qui l’entoure ».

« Ces essais, notamment dans leur partie souterraine, ont généré une quantité de déchets et résidus radioactifs. Aujourd’hui, une proportion non négligeable de ces déchets est stockée dans des puits de plusieurs centaines de mètres de profondeur percés dans l’anneau corallien de Moruroa, ou pire, au fond de son lagon, notamment au lieu-dit « banc Colette » », rappelle le député. Il souligne également « l’existence de fissures dans le socle même de l’atoll ». « Ces fissures ont été induites par les essais souterrains notamment et menacent d’effondrement une partie de l’atoll », poursuit-il, « le banc Colette se situent précisément dans la zone menacée. Autour, c’est l’Océan Pacifique ».

« Monsieur le Président, le plus gros investissement réalisé par l’Etat en Polynésie française ces dernières années est le projet TELSITE de surveillance géo mécanique de Moruroa. Les milliards investis viennent encore souligner la réalité de cet effondrement, véritable épée de Damoclès, pour les Polynésiens d’abord, pour la région Pacifique ensuite, pour la réputation de la République Française enfin », écrit encore le député. Pour le député, ne pas entreprendre cette démarche « serait envoyer un message dramatique aux Polynésiens, aux Peuples de Pacifique, mais aussi au Peuple de France, notamment à sa jeunesse qui veut voir, au-delà des COP qui se succèdent, de vrais actes forts en faveur de l’environnement ».

Aquaculture à Hao et extraction de phosphate à Makatea

Emmanuel Macron devrait se rendre en Polynésie du 16 au 18 avril prochain. Deux grands rendez-vous sont notamment prévus avec les dirigeants des États insulaires du Pacifique sud. Moetai Bortherson profite donc pour évoquer les projets d’aquaculture sur l’atoll de Hao dans l’archipel des Tuamotu, « projet démesuré, et déraisonnable », et celui d’extraction de phosphate à Makatea dans le même archipel. « Ne pas vous prononcer de manière claire sur ces sujets reviendrait, alors que vos homologues dirigeants du Pacifique seront présents, à les cautionner », estime-t-il dans sa lettre.

Le député de Polynésie française a répondu aux questions de la rédaction :

Outremers360 : Vous avez transmis au président de la République « en main propre » une lettre. Avez-vous pu le rencontrer ?

Moetai Brotherson : Non je n’ai pas rencontré le Président. Au même moment il recevait je crois le Président de l’Argentine. J’ai rencontré son Directeur de cabinet et son conseiller aux outre-mer M. Stanislas Cazelles. C’est ce dernier qui a remis le courrier au Président.

Dans cette lettre au président, vous l’interpellez sur la faille de l’atoll de Moruroa due aux essais souterrains. C’est une question que vous avez plusieurs fois abordé, notamment en QAG, sans avoir de réponse satisfaisante. Est-ce que vous avez bon espoir, à quelques mois de sa visite, d’avoir une réponse et un engagement clair, notamment sur un « ambitieux et vaste projet de retrait et de retraitement de l’ensemble des déchets et résidus radioactifs issus des essais nucléaires de Moruroa » ?

Écoutez, on ne peut pas « en même temps » être « champion of the earth » et balayer la question de Moruroa et des essais nucléaires français en Polynésie sous le tapis ! D’ailleurs quel tapis ? Donc oui, j’espère que la langue de bois sera remisée au placard et qu’on aura devant nous ce fameux « champion of the earth »…

Pour l’heure, son programme n’est pas encore fixé. On parle d’un Sommet France-Océanie et d’un One Planet Summit. Pensez-vous que la question des essais nucléaires et de ses conséquences sera abordée ? 

Ne pas le faire reviendrait à disqualifier et décrédibiliser totalement ces démarches. Ce d’autant que seront assis autour de la table des océaniens. Tous concernés et au courant de l’Histoire des essais nucléaires à Moruroa et Fangataufa.

Le Président de la République va, en Polynésie, rencontrer les dirigeants d’États insulaires du Pacifique autour de ces deux rendez-vous. Est-ce que vous comptez sur un soutien de la part de ces dirigeants sur ce sujet ? 

Bien-sûr ! Ils sont d’ailleurs tous destinataires d’une copie traduite en anglais de ce courrier. Comme je l’indique à l’intérieur, quand Moruroa va s’effondrer nous serons tous concernés.

Vous évoquez également, dans cette lettre, un « projet démesuré, et déraisonnable d’aquaculture porté par la Chine » sur l’atoll de Hao. Quelle est concrètement cette « menace environnementale » que vous soulignez ? Ce projet semble un peu patiner, où en est-il aujourd’hui ? 

Des milliers de cages remplies de poissons carnassiers dans le lagon de Hao sans aucune étude d’impact, alors qu’on a derrière nous l’expérience bien moins impactante de la perliculture qui a littéralement tué certains lagons en mettant trop de « pression écologique », voilà la menace directe.

En second rideau, est-il raisonnable de persister dans une aquaculture dépassée et dangereuse dans son bilan écologique par nature ? 7 kilos de sardine d’Argentine pour faire 1 kilo de mérou des Tuamotu… on nage en plein délire.

Ce qui me « rassure » de manière paradoxale, et après 3 poses de première pierre, c’est que je n’ai jamais cru que les chinois voulaient vraiment faire de l’aquaculture à Hao. Je suis convaincu qu’ils appliquent leur vieille technique du « pied dans la porte » avec pour objectif réel d’y établir une base de refueling pour tous les navires de pêche chinois qui pillent littéralement le pourtour de notre « belle ZEE si bien protégée par l’État ».

Les associations anti-nucléaires parlent également de pollution sur ce même atoll qui fut la base arrière et logistique des essais. Qu’en est-il aujourd’hui ? 

Elles ont raison ! D’ailleurs dans le même avion ou bateau qui emportera les déchets de Moruroa, « champion of the earth » aura sûrement le réflexe d’y ajouter les déchets de la « dépollution de Hao » actuellement enfouis en zone submersible.

Vous évoquez un autre projet : l’extraction de phosphate sur l’île de Makatea, comme ce fut le cas au début du XXème siècle. Sur ce projet, une partie de la population est contre notamment pour des raisons environnementales, l’autre est favorable pour l’emploi et le développement économique. Comment selon vous peut-on faire pour allier ces deux préoccupations ? 

Je n’aime pas parler sans « toucher », « voir » et « sentir » directement. J’ai fait 18h sur un petit catamaran par mauvais temps pour aller à Makatea. J’y ai passé 3 jours à rencontrer la population, visiter les zones, et surtout constater l’immense potentiel à la fois touristique et agricole de cet atoll magique. Pour peu qu’on ne se laisse pas bercer d’illusions par les sirènes du capitalisme débridé, il y a un vrai modèle vertueux à développer avec la population de Makatea et des atolls environnants. En matière de fruits et légumes, Makatea pourrait devenir le grenier des Tuamotu.

Votre parti, le Tavini Huiraatira, a obtenu la réinscription de la Polynésie sur la liste des territoires non-autonomes de l’ONU, et demande depuis, la mise en place d’une procédure de décolonisation. En face, l’État ne semble pas favorable. Est-ce un sujet que votre parti compte mettre en avant lors de la visite d’Emmanuel Macron ?

L’État est totalement schizophrène sur cette question. Deux collectivités sont réinscrites à l’ONU : Kanaky depuis 1986 et nous depuis 2013. Dans le premier cas, l’État joue le jeu, s’assoit autour de la table à l’ONU. Le premier et le deuxième référendum en Nouvelle-Calédonie ont tous deux étés arbitrés par l’ONU et plusieurs missions d’observation ont été menées. Leurs recommandations ont été intégrées et ont contribué à la réussite (en termes de déroulé) du premier référendum. Dans notre cas, l’État fait semblant de ne pas être au courant que nous sommes réinscrits… C’est tout simplement irrespectueux, pour nous, mais aussi pour les autres pays de l’ONU.

Lors de la visite de François Hollande en février 2016, le leader de votre parti Oscar Temaru a pu s’entretenir avec l’ancien président de la République. Fera-t-il la même demande pour celle d’Emmanuel Macron ? 

Oscar Temaru connaissait personnellement François Hollande. Ils avaient tous deux signé la première convention de partenariat entre le PS et le Tavini huiraatira en 2002. C’était normal qu’ils se voient, et puis, pour Macron, pourquoi pas ? Après tout, que je sache, il va atterrir à Faa’a, pas à Pira’e…

Sur l’indemnisation des victimes des essais nucléaires, le Conseil d’État a récemment jugé qu’un amendement entré en vigueur le 30 décembre 2018, et mettant en place un seuil d’exposition minimale ouvrant droit à l’indemnisation, n’était pas applicable pour les dossiers déposés avant son entrée en vigueur. Ce qui est le cas pour une grande partie des dossiers refusés qui pourront être réexaminés. Qu’en pensez-vous ?

Cela prouve qu’en plus d’être inique et d’avoir été adopté en catimini, cet amendement « Lana Tetuanui » a de plus été mal rédigé. N’importe quel étudiant en licence de Droit sait qu’il faut prévoir des dispositions transitoires quand on introduit un point d’inflexion juridique. Je suis en revanche estomaqué de la réaction d’Édouard Fritch qui, plutôt que de défendre les Polynésiens semble « inquiet » que la décision du Conseil d’État ne se traduise pas plus de dépenses pour… l’État ! Je pensais naïvement qu’il était le Président des Polynésiens et pas l’ambassadeur de France à Pira’e.

Faut-il revoir de fond en comble la loi dite Morin qui indemnise les victimes des essais nucléaires ? 

Oui. Et je l’ai dit quand j’étais candidat en 2017. Il faut revoir le dispositif pour ramener une donnée que le Président Macron vient d’être obligé de rappeler à ses députés sur un dossier récent : l’Humanité !
Il faut un dispositif qui respecte la douleur dans toutes ses formes, et qui n’insulte pas l’Histoire.

 

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