©Jacques Demarthon / AFP
Président de la Fédération des entreprises des Outre-mer (FEDOM), Jean-Pierre Philibert fait, dans cette interview exclusive, le bilan de l’année 2018, marquée économiquement par la réforme des aides aux entreprises ultramarines, la création des Zones Franches d’Activité Nouvelle Génération ou encore, la suppression de la TVA NPR.
Pour l’année à venir, « déterminante pour un certain nombre de sujets qui auront un impact sur nos économies et la vie de nos entreprises », Jean-Pierre Philibert souligne « un problème qui surpasse tous les autres » : la méconnaissance des « concitoyens hexagonaux (…) de nos Outre-mer ». « Dans ce devoir d’explication, nous entendons bien prendre toute notre place, aux côtés des politiques, des journalistes et du monde associatif ultramarin », assure-t-il.
L’année 2018 a été marquée par la profonde réforme des dispositifs d’aide aux entreprises tant sur le plan fiscal que social, pouvez-vous nous en faire le bilan?
Le bilan, comme souvent, est contrasté. Sur les dispositifs d’exonérations de charges tout d’abord, après un travail intense appuyé par l’expertise du Cabinet Mazars, nous avons espéré être entendus par le Gouvernement, mais hélas l’ultime arbitrage donné par le Premier ministre à la fin des débats législatifs a été défavorable.
Certes nous étions partis de loin puisqu’il avait fallu, dans un premier temps, se battre pour que le Gouvernement retienne le bon chiffrage du CICE ce qui a été in finele cas dans le PLFSS (Projet de loi de financement de la sécurité sociale). Mais dans un deuxième temps, il fallait être attentif à ce que les services de Bercy ne décident pas de profiter de cette révision des aides pour appliquer un nouveau coup de rabot sur les exonérations de charges. Après des péripéties, notamment parlementaires qui vit le Sénat se dresser à l’unanimité des groupes contre le projet et le Gouvernement refuser de communiquer son chiffrage, nous n’avons pas gagné – encore-cette bataille.
Par contre, en matière fiscale il y a eu un peu plus d’avancées.Saluons tout d’abord la prorogation des dispositifs d’incitation fiscale à l’investissement outre-mer jusqu’en 2025 dans les DOM, à l’instar de ce qui avait été fait dans les COM.
La création des Zones Franches d’Activité Nouvelle Génération (ZFANG) sur la base des ZFA existantes est aussi une bonne chose dans la mesure où certains secteurs, auparavant exclus, sont désormais intégrés au bénéfice des abattements renforcés tels que les activités de nautisme, de plaisance et certaines activités industrielles (fabrication de matériaux de construction ; cosmétologie et pharmacopée) et que par ailleurs les taux d’abattement redeviennent ceux de la LODEOM de 2009 qui avaient été réduits au fil du temps.
Bonne chose également que l’ouverture du bénéfice de l’aide fiscale à l’investissement pour les dépenses de rénovation, de réhabilitation et de reconstruction des logements sociaux de plus de 20 ans pour les collectivités à autonomie fiscale du Pacifique et, toujours dans le Pacifique, l’ouverture sous conditions pour les navires de croisière neufs d’une capacité maximum de 400 passagers du bénéfice de l’aide fiscale à l’investissement outre-mer. A noter également le gel à 5% de la TSA (taxe spéciale additionnelle sur le cinéma) applicable outre-mer, ce qui devrait permettre le maintien d’une activité un temps menacée. D’autres dispositions, très techniques, marquent également une avancée.
A l’inverse, le Gouvernement a supprimé la TVA NPR – qui était pourtant un excellent régime d’aide à l’investissement – pour le remplacer par une ligne budgétaire dont aujourd’hui les objectifs et les modalités de mise en œuvre restent bien flous. Nous avons pu cependant obtenir que cette TVA NPR continuera à bénéficier aux biens commandés avant le 31 décembre 2018 ayant fait l’objet d’un acompte, livrés ou importés avant le 31 décembre 2019.
Il y a-t-il des possibilités d’améliorer certains dispositifs ?
Le Gouvernement s’est engagé à réexaminer ce qu’il appelle prosaïquement les « effets de bord » sur le nouveau régime d’exonérations de charges. En effet, nous ne serons plus, dès ce début d’année, sur des simulations ou des extrapolations mais bien sur la réalité des chiffres des fiches de paie. Nous serons dès lors à même de vérifier quels sont les secteurs gagnants et perdants et surtout l’ampleur des écarts avec les dispositifs antérieurs. Je rappelle en particulier notre inquiétude pour les entreprises de moins de dix salariés et le secteur du bâtiment.
Il faudra également se pencher sur d’autres points qui peuvent paraître mineurs mais qui sont très importants en Outre-mer. Je pense en particulierà la modification du régime fiscal applicable aux pick-up, votée à la va vite et sans réelle étude d’impact. Or je rappelle que compte tenu notamment des particularités climatiques et topographiques de nos territoires, les pick-up sont des outils indispensables à l’activité de nombre de nos concitoyens.
Enfin il faudra revenir sur les modalités de financement de la réhabilitation de logements sociaux individuels dont beaucoup sont insalubres. Sous prétexte de moraliser les modes de financement – ce qui était sans doute nécessaire- on a « jeté le bébé avec l’eau du bain ». Cela va toucher de nombreux concitoyens ultramarins, notamment parmi les plus âgés et les plus démunis. La FEDOM portera fortement ce dossier, d’autant que ces chantiers donnaient aussi du travail aux petites entreprises artisanales.
Quels sont les grands chantiers de 2019 sur le plan économique et quelles sont les premières mesures positives pour les Outre-mer ?
Outre les points évoqués plus haut, l’année 2019 s’annonce déterminante pour un certain nombre de sujets qui auront un impact sur nos économies et la vie de nos entreprises.
S’il fallait n’en citer que quelques-uns, j’évoquerais les réflexions sur l’octroi de mer après 2020 mais aussi la résolution du problème des délais de paiement aux entreprises, maintes fois promise et qui pourrait enfin aboutir.
Les grands enjeux de la transition énergétique et numérique seront bien entendu également au cœur de nos préoccupations et de nos actions, de même que la valorisation de l’innovation dans nos territoires, tous secteurs confondus, et la démonstration de leur rôle majeur au service de la croissance bleue de notre pays.
Plus précisément quels sont les dossiers importants de la FEDOM pour 2019 ?
Il y a bien sur les dossiers économiques qui sont la raison même de notre existence et font notre légitimité. Mais il y a un dossier ou un problème qui surpasse tous les autres. Je suis profondément convaincu qu’une des principales explications aux difficultés à nous faire comprendre et donc entendre, tient en la méconnaissance profonde que nos concitoyens hexagonaux, et par extension la classe politique métropolitaine, on tde nos Outre-mer. Si on interrogeait nos concitoyens sur la vision qu’ils ont de nos territoires, je crains en effet qu’ils ne répondent à travers le prisme déformant des crises sociales et sociétales, en 2009 aux Antilles, plus récemment en Guyane, à Mayotte et à La Réunion.
Or on n’explique pas assez le formidable potentiel de nos Outre-mer. Si demain, comme j’en suis convaincu, l’économe bleue par exemple devient le formidable levier de développement de nos économies, nous serons des territoires hautement stratégiques. Dans ce devoir d’explication, nous entendons bien prendre toute notre place, aux côtés des politiques, des journalistes et du monde associatif ultramarin. Si le « tous ensemble » a du sens, c’est bien dans ce combat là qu’il faut le mettre en œuvre.
Propos recueillis par Marie-Christine Ponamalé.