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Dans une tribune publiée sur le Huffington Post, le Professeur de Droit public et co-auteur du rapport « Réflexions sur l’avenir institutionnel de la Nouvelle-Calédonie », Ferdinand Melin-Soucramanien, et la Maître de conférences en droit public et auteure d’une thèse de doctorat sur « L’Etat associé: recherches sur une nouvelle forme de l’Etat dans le Pacifique sud », Léa Havard, apportent ensemble « des éléments d’éclairage sur l’après-référendum » d’autodétermination de 2018 en Nouvelle-Calédonie. « Oui » ou « non », quels seront les conséquences juridiques à l’issue de ce scrutin préparé depuis 30 ans ?
Aujourd’hui, en Nouvelle-Calédonie, le sablier est renversé. En application de l’Accord de Nouméa du 5 mai 1998, une consultation sur l’accession à la pleine souveraineté du territoire devra être organisée au plus tard en novembre 2018. Un choix crucial devra donc être effectué par les Calédoniens dans moins d’un an. Le succès d’un tel référendum –l’expérience chaotique vécue par la Catalogne le démontre à l’envi– est tout autant conditionné par la qualité de sa préparation en amont que par la prévision de ses conséquences en aval.
Il s’agit de trouver une « voie pacifique », dans tous les sens du terme, à la fois propre à ce territoire du Pacifique Sud, mais aussi non-violente, enjeu d’autant plus important que la Nouvelle-Calédonie a été marquée dans les années 1980 par de graves troubles insurrectionnels. De ce point de vue, l’Etat français n’a pas failli à sa mission depuis 1998 et a continûment déployé des efforts importants afin de conduire l’Accord de Nouméa à son aboutissement. De même, la société néo-calédonienne et les responsables politiques locaux ont, jusqu’à présent, fait preuve d’un sens des responsabilités et d’une conscience de l’enjeu qui forcent le respect
Puisque nous sommes maintenant entrés dans la dernière ligne droite de ce processus inédit d’autodétermination, il nous a semblé utile d’apporter des éléments d’éclairage sur l’après-référendum. Que se passera-t-il juridiquement au lendemain de la consultation? De manière objective, on peut placer sur chacun des plateaux de la balance, d’une part, l’hypothèse du « oui » à la pleine souveraineté et, d’autre part, celle du « non ».
L’hypothèse du « oui »
Qu’en est-il du « oui »? Rien n’est prévu, ou presque. L’Accord de Nouméa se contente d’indiquer que l’approbation des populations consultées « équivaudrait à la pleine souveraineté de la Nouvelle-Calédonie ». Derrière cette formule laconique se cache une réalité incertaine.
D’abord, l’Etat français devra-t-il intervenir pour autoriser l’accession de la Nouvelle-Calédonie à la pleine souveraineté? En vertu de la Constitution française, le destin politique de la Nouvelle-Calédonie est entre les mains des Calédoniens inscrits sur la liste électorale spécifique au scrutin d’autodétermination. Attachés à leur terre parce qu’ils y sont nés ou parce qu’ils y sont venus sans jamais repartir, eux seuls sont légitimes pour décider d’accéder à la pleine souveraineté, une décision qui s’imposerait à l’Etat français. Le droit international invite à conclure dans le même sens. La Nouvelle-Calédonie s’inscrit dans un processus de décolonisation qui confère à son peuple le droit de disposer de lui-même. Sauf à dénier tout sens aux mots, les Calédoniens peuvent donc choisir librement la voie de la pleine souveraineté. Aucune révision constitutionnelle, aucun référendum national, aucune intervention du Parlement français ne seraient juridiquement requis pour conférer un plein effet au résultat positif de la consultation. Non nécessaire, l’adoption d’une loi française au lendemain du « oui » ne serait toutefois pas dénuée d’intérêt. Sous la Vème République, le législateur est intervenu dans des circonstances comparables pour adopter des dispositions transitoires, par exemple en matière de nationalité ou d’élection, afin de faciliter l’accession à l’indépendance de Djibouti en 1977 et du Vanuatu en 1980. De même, une intervention du législateur pourrait s’avérer utile pour accompagner la transition de la Nouvelle-Calédonie, notamment dans la mise en place de ses nouvelles institutions.
Par ailleurs, si le « oui » est l’étape décisive sur le chemin de l’accès à la pleine souveraineté, il n’entraînerait à lui seul aucun effet juridique immédiat. Tout resterait à construire. Les Calédoniens devraient encore donner forme à ce qui, par hypothèse, deviendrait leur Etat, avec l’aide de la France s’ils le souhaitent. Ainsi, l’élaboration, puis l’adoption, d’une Constitution par le peuple calédonien, véritable acte fondateur, serait l’occasion de définir les valeurs et les institutions de la future organisation politique calédonienne. La Nouvelle-Calédonie devrait aussi affirmer sa qualité d’Etat souverain sur la scène internationale en adoptant une déclaration unilatérale d’indépendance et en partant en quête de sa reconnaissance par les autres Etats.
Dans cette hypothèse, les liens avec la France seraient-ils rompus ipso facto? La réponse est ici dans la question. Dire que la Nouvelle-Calédonie pourrait devenir souveraine signifie qu’elle serait seule compétente pour déterminer la façon dont elle pourrait exercer ses compétences. Le « oui » à la pleine souveraineté ne préjuge donc en rien de la façon dont l’Etat calédonien s’organiserait. La Nouvelle-Calédonie devrait (re)définir ses rapports avec la France, soit en y mettant un terme, soit en les établissant sur des bases renouvelées, par exemple en créant une association resserrée avec la France suivant ainsi la voie choisie par d’autres Etats du Pacifique Sud, à l’image des Iles Cook avec la Nouvelle-Zélande ou des Etats Fédérés de Micronésie avec les Etats-Unis. En somme, le « oui » à la pleine souveraineté peut signifier l’indépendance, mais aussi l’interdépendance fondée sur un partenariat.
L’hypothèse du « non »
Envisageons maintenant l’hypothèse du « non ». En apparence, elle apparaît plus simple que celle du « oui »: il en résulterait ex abrupto que la Nouvelle-Calédonie demeurerait sous souveraineté française.
Cependant, la réalité est là aussi nettement plus complexe. Si la réponse au référendum de 2018 était négative, l’Accord de Nouméa prévoit que deux autres consultations pourraient être organisées à la demande du tiers des membres du Congrès calédonien, la loi organique de 1999 précisant qu’elles devraient porter « sur la même question » que celle posée la première fois. Au vu de cette contrainte, on peut s’interroger sur la faisabilité pratique –et donc politique– de consultations posant la même question à intervalles rapprochés. On trouve, certes, dans l’histoire des cas dans lesquels le même corps électoral, après avoir répondu « non » à une première consultation, a répondu « oui » à la seconde, comme lors du référendum d’approbation de la Constitution française de 1946. La question avait cependant changé d’un référendum à l’autre, si bien que ce dernier était nouveau aux yeux des électeurs. Le dispositif calédonien apparaît donc sans précédent et peut laisser perplexe: après s’être prononcés lors de la première consultation, les électeurs ne vont-ils pas s’indigner si on les invite à confirmer ou infirmer leur premier vote ?
Ensuite, une incertitude demeure quant au droit applicable en cas de référendum négatif en 2018, car l’Accord de Nouméa conclu en 1998 ne couvre théoriquement qu’une période de vingt années. Pourtant, dans l’hypothèse d’une répétition des « non », les délais pourraient s’étirer et l’application de l’Accord se prolonger. En effet, si un premier référendum négatif avait lieu, mettons en octobre 2018, une deuxième consultation pourrait intervenir, à la demande d’un tiers des membres du Congrès calédonien, dans la deuxième année suivant la première consultation, soit en 2020, puis une troisième dans le même délai, soit en 2022. En vertu de la loi organique de 1999, les délais pourraient même être encore étirés au-delà. La situation ainsi créée ne serait évidemment guère satisfaisante, qu’on se place sur le plan de la sécurité juridique, ou sur celui de la stabilité politique, économique et sociale de la Nouvelle-Calédonie.
Enfin, les incertitudes du « non » sont aussi ailleurs. Quel serait le statut de la Nouvelle-Calédonie au lendemain d’un référendum négatif? Au moins trois cas de figure seraient envisageables. D’abord, comme le prévoit l’Accord de Nouméa, le statu quo serait possible « tant que les consultations n’auront pas abouti à la nouvelle organisation politique proposée », autrement dit jusqu’à ce que les Calédoniens parviennent à trouver un accord sur leur avenir politique, et ce, sans limite dans le temps. Ensuite, si la population le souhaitait, et en concertation avec l’Etat, un statut équivalent à celui qui existe actuellement dans le cadre de l’Accord de Nouméa pourrait être pérennisé, sous réserve d’une révision de la Constitution française. Enfin, il serait envisageable, et certes innovant, de reconnaître à la Nouvelle-Calédonie un statut renforçant l’autonomie dont elle jouit déjà en gravant dans le marbre constitutionnel la reconnaissance d’un rapport de type fédéral entre la France et la Nouvelle-Calédonie qui impliquerait par ailleurs de profonds changements quant à l’organisation de l’Etat français lui-même.
En somme, que les Calédoniens répondent par « oui » ou par « non » en 2018, tout est juridiquement possible, mais beaucoup reste encore à faire. Non seulement, le chemin qui conduit à cette échéance doit être tracé, mais surtout la forme que prendra le destin commun calédonien doit être précisée. Selon nous, la question des conséquences du choix doit être clairement posée dès à présent afin que les Calédoniens puissent, en toute connaissance de cause, avec l’accompagnement de l’Etat, décider de leur avenir. Résonne ici l’écho des mots de Jean-Marie Tjibaou: « le jour le plus important, ce n’est pas celui du référendum, c’est le lendemain ».