Jacques Lafleur et Jean-Marie Tjibaou le 27 juin 1988 à Paris [Georges Bendrihem / AFP/Archives]
Comme nous l’annoncions ce matin, Paris est cette semaine le lieu où se tiendra le Comité des signataires de la Nouvelle-Calédonie.
Une instance qui, comme son intitulé l’indique, est composée des garants de cette poignée de main symbole d’un accord entre deux farouches représentants aux conceptions diamétralement opposées de l’avenir de la Nouvelle-Calédonie : Jean-Marie Tjibaou, et Jacques Lafleur. Un accord signé à Matignon en 1988 et renouvelé de façon solennelle à Nouméa en 1998.
Effectivement, ce Comité des signataires est important puisqu’il reflète l’esprit des calédoniens. Une philosophie qui consiste à être scrupuleusement respectueux de ce que l’on appelle la parole sur le Caillou. Le respect de cette parole impliquait de définir de façon très précise les contours du corps électoral. Un enjeu important, j’allais dire dogmatique, qui a empoisonné de nombreuses années l’atmosphère entre les deux camps.
Pour faire baisser la tension, pour sortir de cette impasse et des positions doctrinales, voire émotionnelles, le pouvoir parisien a fait appel à des experts. Le contraire du traditionnel « renvoi en Commission ». Pivot de ce groupe d’experts, une personnalité incontestée, avec une compétence reconnue en droit institutionnel et en droit électoral général. Une personnalité qui a également une connaissance du territoire calédonien, de ses spécificités politiques et historiques. Son nom : Ferdinand Mélin-Soucramanien. C’est le Premier Ministre lui-même qui l’a chargé de s’attaquer sous l’angle technique aux opérations de quantification du litige électoral.
Ferdinand Soucramanien présentera jeudi à Matignon, lors de cette réunion des signataires, les conclusions de son rapport. Il s’adressera à une assemblée très attentive mais déjà acquise à son sérieux et à sa technicité. Ferdinand Soucramanien va du reste remettre ses attendus lors de la réunion de demain.
Cette méthode semble être très efficace puisqu’elle a permis des accords sur le fond entre des parties qui semblaient inconciliables. Évacuée donc, du moins je l’espère, la question de la définition du corps électoral ? Qui va vivre ce projet ? Qui est un citoyen calédonien ? Qui peut voter ?
Avec un petit effet négatif. Vont rester sur le bord de la route une partie des jeunes qui ont eu le tort de n’être pas nés avant les tensions qui régnaient en 1988.
L’intérêt de cette méthode, est de respecter la parole de cet accord de Nouméa et de Matignon, de respecter tout l’accord, rien que l’accord. L’obligation permanente du respect de la parole en Nouvelle-Calédonie est un acte sacré qui permet de sortir par le haut de situations conflictuelles sans perdre la face.
Du coup, en dépassionnant le débat, les signataires des accords de Nouméa pourront s’attaquer aux vrais enjeux de la Nouvelle-Calédonie, dont le premier peut se résumer ainsi : comment intégrer le champ économique mondial à travers la question du nickel dont le court est fluctuant ? Comment se positionner dans ce domaine avec un outil efficace en tenant compte d’un paramètre qui n’est pas réglé : les problèmes que posent les questions environnementales qui ne sont pas marginales, mais dont on peut se servir comme enjeux de négociation.
Le corolaire de cette affaire, si je puis dire, est : comment partager les richesses de la Nouvelle-Calédonie entre le Nord et le Sud. Comment partager les ressources du nickel (malgré une baisse de régime due à une baisse du court du nickel) ?
Aujourd’hui, la Nouvelle-Calédonie n’est plus un champ de bataille entre la gauche et la droite. Ces discussions, et c’est un point extrêmement positif à souligner, ont permis de générer une capacité de dialogue entre les deux camps indépendantistes, non indépendantistes. Le fossé qui séparait les deux camps est réduit à une membrane, un trait ténu.
Le vrai enjeu pour la Nouvelle-Calédonie, pour les outre-mer et pour la France en général, sera la capacité à inventer un projet commun avec toutes nos différences. Des différences assumées par tout le monde.
Pourquoi opposer identité territoriale à identité nationale ?
Pourquoi ne pas sortir de ce chantage à la « francité » ?
Pourquoi vivre dans une schizophrénie permanente ?
Avec cette expérience calédonienne, la question de l’identité, des identités, permet de sortir de ce corset. C’est pourquoi l’ensemble des outre-mer regarde avec intérêt ce Comité des signataires qui n’est pas seulement une réunion technique qui ne concerne que la Nouvelle-Calédonie, mais qui concerne chaque territoire. L’exemple calédonien peut servir de modèle à une construction beaucoup plus large des statuts. Il permet de sortir d’une forme d’assimilation qui consistait à dire « si tu es avec nous, tu dois être exactement comme nous » : fermez le banc, pas de débats.
Ça permettra de sortir de l’image de territoire avec des économies de rentes qui profitent aux seuls monopoles. Ça permettra de donner de la vitalité à des territoires en quête d’espoir de bâtir un projet commun avec les autres régions de France pour assumer un destin commun. On est dans cette évolution qui permettra à chacun de choisir son chemin, sa voie dans la République.
C’est un débat qui honorera la République qui peut ainsi faire la démonstration qu’elle peut construire, à partir de points de vues divers, d’histoires, de parcours différents, une République une et indivisible, qui garde son unité malgré la complexité de ses composantes.