© Capture d’écran Assemblée Nationale
Dans une violente diatribe contre le gouvernement au cours des questions d’actualité à l’Assemblée nationale, le député de Guyane, Gabriel Serville, a fustigé la politique gouvernementale et dénoncé le désengagement de l’Etat dans les outre-mer., allant jusqu’à évoquer une « déclaration de guerre » à l’encontre de ces territoires. Ses craintes sont-elles fondées ? Le député guyanais a t-il forci le trait et exagéré la situation ? Eléments de réponse.
Déclaration de guerre
« Cette rentrée aura été d’une rare violence pour les outre-mer : remise en cause de l’abattement fiscal, suppression des mécanismes incitatifs des logements sociaux, suppression de l’APL accession, suppression de la TVA non récupérable, baisse drastique des aides à la mobilité, disparition annoncée de France ô et bientôt réforme de la prime de vie chère ». Le député de Guyane, Gabriel Serville n’est pas allé de main morte pour dénoncer la politique du gouvernement en direction des outre-mer, n’hésitant pas à parler « d’ingrédients d’un menu qui s’apparente à une déclaration de guerre envers les outre-mer ». Piquée au vif, la ministre de tutelle, Annick Girardin, a tenté une pirouette, en rappelant qu’il y a « une réforme des aides économiques » et que de« nouveaux outils seront créés qui seront plus efficaces ». La ministre s’est surtout focalisée sur la Guyane insistant sur le fait que ce territoire « est au coeur des préoccupations du gouvernement depuis depuis notre arrivée », avant d’énumérer les millions d’euros alloués à ce territoire qui pour les écoles, qui pour le numérique ou encore pour la compensation de l’octroi de mer. « Un territoire qui a pris beaucoup de retard », a consenti la ministre.
.@GabrielServille(GDR) s’inquiète des dispositions du nouveau #PLF2019, qui fragilisent les entreprises guyanaises et risquent de causer des pertes d’emploi. #DirectAN #QAG pic.twitter.com/PGVIE7Lb1o
— Assemblée nationale (@AssembleeNat) 16 octobre 2018
Une colère de moins en moins sourde
Ce faisant, cette dernière s’est quelque peu défaussée, parce que gênée aux entournures. Annick Girardin qui est également ultramarine, sait pertinemment que le représentant du peuple n’a fait que traduire le malaise, mais surtout la colère de moins en moins sourde qui monte dans les dits territoires. Cette passe-d’armes plutôt virile entre la ministre des outre-mer et le député guyanais reflète à la fois l’atmosphère qui règne dans ces territoires et l’agacement de la représentante du gouvernement prise entre deux feux : son devoir de solidarité gouvernementale et son désir de reconnaître un certain nombre de vérités en tout cas ressenties comme telles par une large frange des populations des outre-mer.
Disparition des régimes dérogatoires ?
Force, en effet, est de constater que les craintes d’une raréfaction des aides publiques de l’Etat partagées par les classes politiques locales et les populations ne sont pas de l’ordre du phantasme. La dernière mesure en date du gouvernement concernant la remise en cause de l’abattement fiscal en vigueur dans les outre-mer, même si elle ne touchera, aux dires des pouvoirs publics, que 5% des ménages les plus aisés de ces régions et qu’elle contribuera, toujours selon le gouvernement, à « l’investissement productif » à hauteur de 70%, n’a fait que renforcer cet état d’esprit. Cette réforme ajoutée à celle de la suppression de la TVA non récupérable par l’Etat est-elle annonciatrice d’une disparition progressive de la prime de vie chère ayant cours dans les départements et territoires d’outre-mer ? Rien n’est moins sûr, mais il n’y a qu’un pas que certains s’autorisent déjà à franchir. Ceux-là mêmes qui redoutent la disparition à terme de l’octroi de mer. Une manne actuellement indispensable au bon fonctionnement des collectivités locales, qui représente 42% de leurs recettes et dont le régime dérogatoire vient à échéance en 2020. Dans tous les cas, il apparaît peu probable que ces territoires échappent à une réforme de leurs régimes dérogatoires et en particulier de l’octroi de mer tant la pression de l’Europe se fait forte quant à l’abolition de ce qu’elle considère comme des « privilèges ».
Députés @RepubliqueEnM imposent une augmentation de +10% d’impôts sur le revenu des cadres #Outremer qd ils offrent 5 milliards aux + riches de France. Pourtant 100% des élus ultramarins sont cette mesure y compris les élus de la majorité ! Colonies dites vous ?
— Gabriel Serville (@GabrielServille) 18 octobre 2018
Spécificités et fractures territoriales
Certes, le gouvernement a beau jeu d’invoquer la nécessaire participation des ces territoires aux efforts de rigueur budgétaire et à l’indispensable assainissement des comptes publics, oubliant quelque peu que ces dits territoires souffrent de handicaps et de déséquilibres structurels du fait de leur éloignement, leur insularité, l’étroitesse de leurs marchés et surtout de leurs retards de développement. Bref, faire fi de la reconnaissance de leurs spécificités et de leurs fractures territoriales, tels sont les reproches formulés à l’encontre du gouvernement d’Edouard Philippe. A ces attentes et préoccupations, le gouvernement dégaine ses plans de convergence contenus dans la loi de programmation sur l’égalité réelle votée en 2017 et destinés à penser l’avenir de ces territoires sur 10 à 20 ans, auxquels s’adjoint la notion de « transformation », résultante des engagements pris à l’issue des assises des outre-mer. Un gouvernement qui espère sans trop y croire que ces différents plans produiront bientôt les effets escomptés. Espoir « mal papaye » – (vain..) ?
Nouvel ordre économique
Mais à quelque chose, malheur est bon. Le désengagement financier de l’Etat et la baisse programmée des subsides publiques peuvent être l’occasion d’une prise de conscience et d’un changement de paradigme quant aux capacités de résilience de ces populations à faire preuve d’inventivité et d’ingéniosité pour trouver de nouvelles recettes et d’autres sources d’autofinancement. Il s’agira alors pour elles de mettre en place de nouvelles stratégies pour relever les défis et faire face aux nouveaux enjeux afin de bâtir un modèle économique différent de celui qui prévaut actuellement : une économie ne dépendant pas quasi exclusivement de façon stratégique de l’Hexagone pour en finir une fois pour toutes avec cette image surannée de « danseuses » qui leur colle à la peau. Une référence traînée comme le sparadrap du capitaine Haddock. Bref, ces populations se doivent d’imposer un nouvel ordre économique en faveur de leurs territoires. Car ils possèdent des atouts et des richesses en matière de développement endogène : tourisme durable, pharmacopée, économie bleue, élargissement et vulgarisation du numérique ainsi qu’une transition énergétique axée sur les énergies renouvelables déjà entamée avec succès dans certaines régions.
Postures idéologiques
Il en est de l’économie comme de la politique. Là aussi, c’est une chose trop importante pour la confier aux seuls élus trop occupés à se faire réélire et qui de ce fait adoptent des postures souvent idéologiques et/ou dogmatiques pour masquer leur incompétence voire leur impéritie. Il faut donc là également imposer non pas la démocratie participative considérée aujourd’hui comme une usine à gaz, mais plutôt une «échelle démocratique» permettant de créer une nouvelle dynamique citoyenne.
Et que dire de la réduction de la visibilité ultramarine dans l’Hexagone dénoncée par le député Gabriel Serville avec la disparition annoncée de France ô ? Sinon que s’il est légitime de s’interroger sur la pertinence de l’existence de France ô dans le paysage audiovisuel français dans sa forme actuelle, il n’en demeure pas moins nécessaire de doter la communauté ultramarine d’un espace socio-culturel et audiovisuel dédié lui permettant de résister à l’uniformisation produite par la culture dominante, sans toutefois verser dans un communautarisme par trop étriqué.
En tout état de cause, si la situation de ces territoires et par voie de conséquence de ces populations semble présenter un « déficit d’avenir », c’est loin d’être « la fin de l’histoire ».
Erick Boulard