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Dans son discours de Nouméa, le 6 mai dernier, Emmanuel Macron a tracé les contours d’une stratégie de la France à l’échelle du bassin indo-pacifique, en identifiant les thèmes et les acteurs des partenariats que nous devrons construire pour répondre aux défis du XXIème dans cette région du monde. Le 28 juin dernier, il annonçait le même exercice pour le bassin atlantique et donnait ainsi l’impulsion nécessaire pour que notre action s’inscrive, là aussi, dans une stratégie lisible par nos collectivités et par les pays partenaires.
Quelle peut-être cette stratégie ?
En premier lieu, il appartiendra au chef de l’État de préciser les objectifs qu’il assigne à la France et en particulier aux collectivités d’Outre-mer dans l’accompagnement des effets du changement climatique. Territoires riches d’une extrême biodiversité, collectivités présentes de la zone subarctique à la ceinture équatoriale, nos Outre-mer ont vocation à être les laboratoires de la politique environnementale de la France. Ils concentrent également des enjeux de développement économique, de rattrapage pour les infrastructures, de désenclavement, de réponse aux besoins fondamentaux des populations, en particulier dans les domaines de la formation, de santé ou de la sécurité.
C’est dire que le président de la République devra, sinon arbitrer entre la préservation de l’environnement et le développement des territoires, donner sa vision de la conciliation de ces deux impératifs. Et en tirer les conséquences en termes de stratégie d’aide au développement à l’échelle internationale. Le débat à l’échelle régionale est de savoir où mettre le curseur. Des projets comme la Montagne d’or en Guyane ou les forages pétroliers au large de ses côtes font écho aux exploitations minières ou agricoles qui se développent dans tout le reste du massif amazonien, ou encore aux permis pour l’exploitation d’hydrocarbures que Total a pu obtenir au large des côtes brésiliennes.
L’orientation prise par certains Etats (République Dominicaine, Costa Rica) pour une stratégie soutenable de développement a besoin d’être accompagnée avec des outils financiers innovants et c’est tout l’enjeu des discussions qui prolongeront le One Planet Summit. Mais que dire de ces Etats, Haïti étant l’exemple le plus extrême, qui sont confrontés aux mêmes défis environnementaux que leurs voisins, mais avec moins de moyens pour y faire face ? La France se doit de dessiner les contours d’un partenariat efficace sur ces questions avec l’ensemble des Etats de la Région et ne devra pas le faire dans l’urgence des lendemains d’une nouvelle crise cyclonique.
La jeunesse est un second thème. Les orientations du Président de la République devront nous permettre d’aborder de façon plus concrète et constructive le dialogue avec nos partenaires sur le continent américain. Nos territoires, de Saint-Pierre et Miquelon à la Martinique sont relativement peu peuplés et vieillissants. Ils sont parfois confrontés à des réalités archipélagiques, comme en Guadeloupe, qui accentuent pour quelques fractions du territoire les effets de l’éloignement et de l’insularité. Il en résulte un déclin de l’attractivité de nos territoires qui, suivant les géographies, est plus ou moins marqué. Et ce n’est pas le contre-exemple de la Guyane (territoire très jeune et dont la population augmente rapidement) qui nous rassure de ce point de vue : attractive aux populations défavorisées qui viennent chercher refuge contre la misère qui sévit chez eux, la Guyane n’en souffre pas moins, paradoxalement d’un déficit plus marqué d’attractivité pour les cadres, pour certaines catégories de fonctionnaires, pour les investisseurs, pour les professionnels de santé…
Plus que jamais, la question est de savoir comment fixer sur nos territoires, les jeunes, spécialement les jeunes diplômés, qui permettront de bâtir une stratégie de développement réellement issue du terrain. Dans le grand jeu de la compétition internationale, nous nous trouvons clairement, sur ce thème, en compétition avec le Canada, les États-Unis ou même, dans une certaine mesure le Chili, dont la stratégie les conduit à absorber une partie de nos potentielles futures élites.
Un autre thème peut-être enfin celui la mondialisation. Il est en relation évidente avec les deux premiers, mais il les déborde sur certains aspects. Pour croitre et relever les défis de l’économie de plus en plus numérisée du XXIème siècle, nos territoires devront être de plus en plus connectés, de plus en plus ouverts sur le monde. Cette mondialisation, qui s’accompagne souvent d’une progression de l’usage de l’Anglais pose le défi de la francophonie. Le chef de l’Etat a soutenu l’idée d’une francophonie ouverte et « décomplexée ». En d’autres termes, parler le français et afficher les valeurs de la francophonie, n’empêche nullement de promouvoir la maitrise, dès le plus jeune âge et dans tous les secteurs, d’une langue étrangère, qui d’ailleurs n’est pas nécessairement l’Anglais. Dans ce bassin, l’espagnol et le portugais sont aussi des options très intéressantes. La question c’est en revanche, l’adaptation de notre système scolaire pour faire en sorte que la France du bassin Caraïbe s’immerge pleinement dans son environnement linguistique pluriel et mouvant.
La mondialisation, c’est aussi le défi de la culture.
Le danger d’acculturation guette en premier lieu certaines de nos sociétés traditionnelles et c’est d’abord une problématique guyanaise : nous devons être attentifs à inventer, non pas « pour » mais « avec » les peuples premiers, un équilibre respectueux à la fois des droits individuels et des droits collectifs et qui leur donne la possibilité de s’épanouir dans la République et dans le monde. Il s’agit à ce stade d’éviter que le suicide chez les jeunes, mais également l’alcoolisme, les atteintes environnementales causées par l’orpaillage et la confrontation non maitrisée avec une certaine forme de modernité ne viennent à bout des sociétés traditionnelles.
Mais ne nous y trompons pas : les populations de culture créole, plus nombreuses, plus métissées et depuis toujours plus largement ouvertes sur l’extérieur ne sont que de façon illusoire en sécurité de ce point de vue. Si certaines institutions, comme le carnaval, résistent vaillamment, ne peut-on pas d’ores et déjà trouver quelques exemples pour lesquels s’estompent, dans nos territoires, des comportements caractéristiques des sociétés traditionnelles (y compris en Europe) ? Ainsi en est-il des solidarités intergénérationnelles ou des comportements alimentaires…
A perdre certains de leurs ancrages traditionnels, nos sociétés sont, plus que d’autres, exposées à perdre ce qui fait leur force et leur résilience. Nos territoires sont à la croisée des mondes et devront peut-être, plus tôt que les autres, répondre aux questions fondamentales sur la relation entre culture et modernité.
Luc Laventure.