La croissance économique ne sauvera le monde ni du réchauffement, ni du recul de la biodiversité

La croissance économique ne sauvera le monde ni du réchauffement, ni du recul de la biodiversité

©Wikicommons

Durant une semaine, l’IPBES a travaillé à l’écriture d’un manuel à usage des décideurs et politiques pour influer les programmes de protection de la biodiversité, espérant ainsi jouer le même rôle que les chercheurs du GIEC qui ont aidé à conduire les COP climat. Dévoilé ce lundi, le rapport va bousculer quelques idées reçues. On ne parlera donc plus d’évolution mais bien d’impacts humains.

Sa première destinée politique sera le G7 environnement (les pays les plus riches et les plus pollueurs de la planète) qui se déroule à Metz avant d’être intégré au G7 global à Biarritz en Août. Ensuite, il sera soumis à la réflexion des États du monde entier, viendra sans doute alimenter les travaux de l’UICN et surtout la COP 15 en Chine en 2020, dix ans après la signature du Protocole de Nagoya et l’adoption des 20 objectifs d’Aïchi.

Naissance du nouveau concept de « changement transformateur » : Qu’attendre de ce rapport ?

Rien de bien nouveau sans doute pour ceux qui connaissent les textes fondateurs de l’écologie. Mais 40 ans plus tard, on passe d’une approche utopiste à un constat réaliste, d’un discours pour initiés à un nouvel ordre mondial. N’oublions pas que ces grandes rencontres onusiennes ne sont pas destinées aux seuls pays riches où déjà l’environnement est protégé et dont les habitants se conduisent souvent en prédateurs. Les règles qui sont adoptées concernent TOUS les pays signataires.

Dès à présent retenons que contrairement à de nombreux avis, nous pouvons encore agir :  il en est encore temps à condition de le faire à tous les niveaux, du local au mondial par des « changements transformateurs » (le nouveau concept à beaucoup circulé dans les coulisses des négociations). On entendrait par changement transformateur, un changement fondamental à l’échelle d’un système qui prend en considération les facteurs technologiques, économiques et sociaux. Les petits gestes et les protections locales ne suffisent plus.

Les changements proposés seront-ils suffisants ? 

Séance de travail IPBES

Séance de travail IPBES

Il faut d’abord que l’IPBES prônent des actions politiques qui permettront à la COP 15 de prendre des mesures plus drastiques. Jusqu’à présent, peu de mesures sont coercitives. Or si l’urgence de protéger les pollinisateurs est reconnue, il faudra bien accepter d’en finir avec les pesticides actuels. Si l’on doit conserver des puits de carbone, il faudra bien trouver le moyen de stopper la déforestation… Climat et vivant devant être protégés, cela obligera forcément à faire des concessions entre emprise énergétique et  agriculture. Les objectifs pour 2030 ne pourront être atteints que par ce fameux changement transformateur dans les domaines de l’économie, la société, la politique et la technologie

Les scientifiques se rejoignent de plus en plus sur le constat que « le paradigme actuel de la croissance économique est trop limité ». De plus en plus, ils se penchent vers une gestion intégrée. Avant cette réunion, en vue de créer une économie mondiale durable, l’évolution des systèmes financiers et économiques mondiaux a été identifiée comme un élément clé des politiques futures plus durables. Cette volonté sera-t-elle reconnue par le rapport ?

Des exemples existent outre-mer :

Un chercheur comme Harry Ozier Lafontaine à l’INRA (Guadeloupe/Martinique) a créé en 2011 le réseau d’agro écologie CAWAI (CAribbean netWork for Agroecology and Innovation). Un réseau qui regroupe 12 pays de la Caraïbe insulaire et continentale. Il tente de décliner en local les grandes orientations de l’agriculture « à partir des enjeux qui nous parlent ici ».

En dehors des cultures de rente comme la banane et la canne qui subissent la concurrence mondiale, la situation locale est celle d’une petite agriculture avec des surfaces cultivées inférieures à 5ha. La protection de la nature y a été longtemps considérée comme un domaine scientifique à part, différent des approches de gestion des terres que sont l’agriculture ou la sylviculture.

Andre Drenth, UQ, CC BY

Depuis quelques années, la communauté scientifique cherche à intégrer l’ensemble de ces approches, la bio-économie. En effet, la manière dont l’homme a modifié les écosystèmes pour satisfaire des besoins croissants en nourriture, eau, bois, fibres et combustibles dans les 50 dernières années a provoqué une perte considérable et souvent irréversible de la biodiversité. Il faut commencer à réduire les importations comme la dépendance alimentaire, à renforcer la résilience environnementale. Il faut aussi apprendre des peuples autochtones : par exemple les fruits, les légumineuses et les oléagineux de l’Amazonie, leur biodiversité, a été peu valorisée hors du contexte amazonien.

De la biologie à la sociologie

Pour la première fois depuis la signature de la convention biodiversité en 1992 et les premiers liens entre environnement et développement, les scientifiques proposent que pour comprendre les dommages causés à la biodiversité. Il faut comprendre l’histoire et les interconnexions mondiales entre les changements démographiques et économiques, et les valeurs sociales qui les sous-tendent, à savoir les accords commerciaux, l’augmentation de la population, l’augmentation de la consommation par habitant, les modes de gouvernance et la responsabilité politique au temps T d’aujourd’hui.

Les responsabilités sont reconnues : -1) les terres et les mers sont détournées de leur usage, bétonnées, défrichées, épuisées. La dégradation des sols a réduit de 23% la productivité de l’ensemble de la surface terrestre mondiale ; 2) certains organismes sont surexploités ; 3) le changement climatique ; 4) la pollution ; 5) les envahissantes et l’impact du réchauffement climatique pourrait bien prendre la tête des causes de destruction au fil de l’augmentation de la température.

C’est aujourd’hui qu’il faut agir

La multiplication des zones urbaines par deux en 20 ans relance la question de la santé et de la gestion de l’eau… Un tiers de la surface terrestre et 75% des ressources en eau sont destinées à l’agriculture ou à l’élevage. 33% des stocks de poissons sont surexploités. Et de nouveaux risques apparaissent : inondations, cyclones, perte d’habitats côtiers…. Clairement, si l’on n’y prend garde, les atteintes à la biodiversité seront des freins au défi des Objectifs de Développement Durable, car pauvreté et faim découlent directement des mauvaises gestions des ressources.

Dominique Martin-Ferrari, Métamorphoses Outremers