INTERVIEW : « L’atout maritime français passe irrémédiablement par les Outre-mer », assure le Cluster maritime français

INTERVIEW : « L’atout maritime français passe irrémédiablement par les Outre-mer », assure le Cluster maritime français

Au lendemain de l’Assemblée générale du Cluster maritime français (CMF) et à la veille des Assises économiques des Outre-mer, Frédéric Moncany de Saint-Aignan et Alexandre Luczkiewicz, Responsable des relations et des actions Outre-mer du Cluster Maritime Français, en charge de la coordination des Clusters maritimes ultramarins, se confient dans une interview exclusive accordée à Outremers360. Ils évoquent la première édition des Assises économiques des Outre-mer, le retour d’un Ministère de la Mer et ses liens avec le Ministère des Outre-mer, ou encore le plan de relance du gouvernement. 

Le CMF vient de tenir son Assemblée Générale Ordinaire, quel bilan faites-vous en cette période particulière de vos actions Outre-mer en faveur du maritime ?

Frédéric Moncany de Saint-Aignan, Président du Cluster Maritime Français : Tout d’abord merci de nous donner l’opportunité de mettre en lumière les actions du Cluster Maritime Français en faveur de l’économie maritime des territoires ultramarins. Effectivement notre Assemblée Générale qui s’est tenue le 15 septembre dernier a permis de faire le bilan de nos travaux sur le développement maritime sur le plan économique, social et environnemental.

Traditionnellement, la fin de l’année est l’occasion de nous retrouver avec les responsables des sept Clusters Maritimes d’Outre-mer (Saint-Pierre-et-Miquelon, Guadeloupe, Martinique, Guyane, La Réunion, Nouvelle-Calédonie et Polynésie française), au travers de plusieurs événements.

En effet, chaque année les Assises de l’économie de la mer sont le grand rendez-vous des décideurs du monde économique, politique et militaire du monde maritime, et souvent une place importante est donnée à l’Outre-mer avec par exemple une prise de parole en table-ronde d’Annick Girardin alors ministre de l’Outre-mer, Teva Rohfritsch alors vice-président du gouvernement de la Polynésie française en charge de l’économie bleue ou encore Marie-Luce Penchard, présidente du Conseil de surveillance du Grand Port Maritime de Guadeloupe. L’année dernière lors de l’édition 2019 à Montpellier, où était présent le Président de la République Emmanuel Macron, qui a cette occasion a délivré un message fort sur la stratégie maritime du pays, les représentants des sept Cluster Maritime d’Outre-mer étaient présents, et pour la première fois le Porte-parole du gouvernement de Nouvelle-Calédonie en charge de la croissance bleue Christopher Gygès.`

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Nous profitons alors de leur présence dans l’hexagone pour nous retrouver lors d’une journée de coordination des clusters maritimes ultramarins afin de faire le point sur nos dossiers communs. Enfin, c’est aussi l’occasion de nous réunir au ministère de l’Outre-mer au sein de la réunion plénière du Comité France Maritime volet Outre-mer que je co-préside aux côtés du Secrétaire Général de la mer auquel le ministre des Outre-mer participe, qui permet de d’étudier les mesures Outre-mer du Comité Interministériel de la mer.

Alexandre Luczkiewicz, Responsable des relations et des actions Outre-mer du Cluster Maritime Français, en charge de la coordination des Clusters maritimes ultramarins : Durant l’année, nous mettons en place une visioconférence trimestrielle avec les clusters maritimes d’Outre-mer et la Direction Générale de l’Outre-mer sur des thématiques précises, et à vocation opérationnelle. Au vu de la période critique que nous sommes en train de vivre, nous avons mis l’accent sur l’impact du Covid19 sur les activités des professionnels de la mer en Outre-mer et sur le Plan de Relance, en étant pleinement mobilisés en faveur de la reprise dans les territoires, notamment en préparant des mesures pour le CIMER 2020.

Dans le cadre des ateliers Outre-mer du Comité France Maritime, nous nous sommes déplacés pour des rencontres de terrain en Nouvelle-Calédonie en septembre 2019 et à La Réunion en février 2020, juste avant le confinement.

Nous espérons pouvoir nous rendre en Polynésie française dans ce même cadre début 2021, puis aux Antilles avant l’été.
Enfin, à la demande du Conseil Départemental de Mayotte, de la CCI Mayotte et des acteurs privés du secteur maritime mahorais, nous travaillons à aider à structurer un 8e cluster maritime pour le développement du territoire, qui se traduira entre autres par un déplacement en novembre prochain.

Quelques actions connexes pour finir, au travers de notre participation aux travaux de la commission « mer » de la FEDOM dont nous sommes partenaires, et au Jury du concours Tech4islands lancé par la French Tech Polynésie (septembre 2020), qui comporte un volet « innovations bleues », dont vous venez d’annoncer les lauréats.

En juillet dernier, un ministère de la Mer a été recréé, quels sont selon vous ses actions possibles sur les questions maritimes en Outre-mer, n’est-ce pas redondant avec un ministre des Outre-mer ? 

 Frédéric Moncany de Saint-Aignan : Vous avez dû -comme nous- prendre connaissance des compétences du nouveau ministère de la Mer, qui sont décrites dans le décret publié le 17 juillet 2020 au Journal officiel. Dans le périmètre des actions du Ministère de la mer, il y a de missions qui sont confiées directement au ministère de la mer et d’autres en coordination avec différents Ministères – comme a indiqué la ministre de la mer lors de son interview à vos confrères de France inter.

La ministre de la Mer élabore et met en œuvre la politique du Gouvernement dans le domaine de la mer sous ses divers aspects, nationaux et internationaux, notamment en matière d’économie maritime, de rayonnement et d’influence maritimes. Les compétences du ministère de la Mer sont précises : il exerce les attributions relatives à la navigation, à la sécurité, à la formation, aux gens de mer, à la plaisance et aux activités nautiques. Il dispose pour cela de la direction des affaires maritimes

Annick Girardin, que nous connaissons bien (je l’ai rencontrée dès le lendemain de sa nomination) et qui est particulièrement au fait des questions maritimes depuis longtemps est aussi chargée de la planification de l’espace en mer et de la politique des ressources minérales marines.  Plusieurs secteurs maritimes vont donc être pilotés conjointement avec d’autres ministères.

Par ailleurs, elle disposera d’une autorité partagée de la direction des pêches maritimes et de l’aquaculture avec le ministère de l’agriculture et de l’alimentation. Le ministère sera également associé avec le ministère de la transition écologique à la politique relative à la protection du littoral et aux énergies marines. De même avec le ministère de l’économie pour l’industrie navale. Enfin, le ministre de la mer dispose, avec le ministère des transports, de la direction générale des infrastructures, des transports et de la mer en ce qui concerne les questions portuaires.

Alexandre Luczkiewicz : On peut noter que le ministre de l’Outre-mer, Sébastien Lecornu, fin connaisseur des questions territoriales (y compris en Outre-mer où il s’est rendu à plusieurs reprises dans ses précédentes fonctions), est associé dans ses attributions à l’élaboration de la politique maritime dans les bassins maritimes ultra-marins.
Concrètement, cela devra se traduire par des échanges réguliers entre le ministère de la mer et le ministère de l’Outre-mer, en bonne intelligence et coordination. D’ailleurs, la présence annoncée de la ministre de la mer et du ministre de l’Outre-mer aux Assises économiques des Outre-Mer les 13 et 14 octobre prochains démontre leur volonté de développer ensemble des mesures dédiées aux Outre-Mer.

Dans le décret d’application portant création du Ministère de la Mer, on ne voit aucun lien avec celui des Outre-mer, alors que ce Ministère partagera beaucoup de compétences avec le Ministère des Affaires étrangères, de la Transition écologique et de l’Économie et des Finances. N’est-ce pas paradoxal de ne créer aucun lien entre la Mer et les Outremer quand 97% des ZEE françaises sont Ultramarines ?

Frédéric Moncany de Saint-Aignan : Permettez-moi de redire que le ministère de la Mer s’inscrit dans la stratégie d’une économie maritime française compétitive, comme cela a été rappelé par le Président de la République lors de sa 4e allocution aux français en juin dernier. Vous aurez également noté que la ministre de la mer peut disposer de la direction générale des outre-mer. Par ailleurs, le décret du 15 juillet 2020 relatif aux attributions du ministre des Outre-mer précise qu’il est associé à l’élaboration de la politique maritime dans les bassins maritimes ultra-marins.

Il est évident que seule une excellente collaboration entre les deux ministères permettra une coordination efficace afin de mettre en œuvre une stratégie positive et des politiques publiques adaptés aux spécificités pour les territoires ultramarins sur les questions maritimes.

Le plan de Relance vient d’être annoncé par le Premier Ministre, êtes-vous satisfait des mesures pour la filière maritime ?

Frédéric Moncany de Saint-Aignan : Le Premier Ministre a récemment présenté sa stratégie d’investissements et de réformes qu’on appelle « Plan national pour la relance et la résilience ». Dans ce plan de relance 650 millions d’euros € ont été fléchés directement pour le maritime. Dans ce contexte Le Ministère de la Mer a indiqué que 200 M€ seront consacrés au verdissement des ports et 50 M € pour le soutien à la filière pêche et aquaculture. 400 M€ supplémentaires pourront être mobilisés pour les industries de la mer…

Xavier Ducept, Directeur de cabinet d’Annick Girardin, a expliqué lors notre assemblée le 15 septembre dernier, que des financements complémentaires pour notre filière devront / pourront être recherchés dans les secteurs transverses comme les infrastructures et les mobilités, la décarbonation de l’industrie (1,2 M€), les énergies et technologies vertes, le développement d’une offre de tourisme durable (50 M€), la biodiversité (300 M€) et les sujets de fiscalité, financements, de souveraineté, aides à l’innovation (1, 95 Md€) ou encore de formation et de sauvegarde de l’emploi. Il s’agit de financements soit nationaux ou régionaux pour l’Hexagone et en Outre-mer.

Néanmoins, l’aide de l’Etat sera conditionnée à l’engagement des acteurs, ce qui veut dire qu’il faut des projets rapidement, qui devront répondre aux axes principaux de la méthodologie : emploi, industrialisation, transition écologique et numérique (Les financements européens seront attribués pour soutenir des investissements et des réformes qui ont un effet durable sur la productivité, qui accompagnent et accélèrent la transition écologique et numérique et qui facilitent la convergence des économies européennes).

Dans quelques semaines se tiendront les Assises économiques des Outre-mer, auxquelles le CMF est associé. Pouvez-vous nous en dire plus ?

Frédéric Moncany de Saint-Aignan : Absolument, et nous vous donnons rendez-vous les 13 et 14 octobre au NewcapEvent Center à Paris pour la première édition. Le programme est finalisé, nous aurons le plaisir d’y accueillir comme je l’ai dit précédemment le ministre de l’Outre-mer Sébastien Lecornu en ouverture et la ministre de la mer Annick Girardin en clôture. J’y interviendrais également, aux côtés du Président de la FEDOM, Jean-Pierre Philibert.

Si ces Assises économiques des Outre-mer ressemblent un peu aux Assises de l’économie de la mer, c’est tout naturel car elles sont aussi organisées par le Groupe Ouest-France, l’hebdomadaire le marin, l’agence Ilago, et sur cette édition en partenariat avec le ministère de l’Outre-mer, la FEDOM et bien sûr le Cluster Maritime Français.

C’est à nos yeux important de pouvoir de présenter aux participants l’économie maritime ultramarine, notamment au travers d’une table-ronde « Entre air et mer, l’enjeu des transports » où interviendront entre autres des compagnies maritimes qui ont des lignes Outre-mer telles CMA CGM et Marfret, ainsi que les représentants des Grands Ports Maritimes de Guyane et de La Réunion. Cet événement a pour vocation de se décliner dans les territoires dès l’année prochaine.

Alexandre Luczkiewicz : Parmi les autres thématiques abordées durant ces rencontres : la formation, les jeunes, le tourisme, le transport, le numérique, l’agriculture, la biodiversité, le développement durable, la relation des Outre-mer avec l’Union européenne, ayant comme objet une vision globale de la situation. La première édition s’annonce comme un succès puisque les inscriptions en présentiel sont déjà closes, en revanche il est encore possible de suivre les débats en s’inscrivant à la visioconférence.

 

Selon plusieurs études, la mer pourrait représenter 1 million d’emplois en 2030. Comment accélérer ou attirer les jeunes ultramarins vers ce domaine d’activités ( ex : annonce de création de lycées maritimes en Outre-mer lors du dernier comité interministériel en mars 2019) ?

Alexandre Luczkiewicz : Aujourd’hui la formation aux métiers de la mer dans les territoires d’Outre-mer est assez hétéroclite, il faut le reconnaître. Déjà, il y a une différence entre les DOM dont la compétence de la formation professionnelle revient aux Régions et aux COM où la compétence relève du Pays. Autre différence, il n’y a pas (encore) de lycées professionnels maritimes en Outre-mer, comme il en existe aujourd‘hui dans l’hexagone.

Les établissements actuels, telles les écoles d’apprentissage maritime de Martinique, Mayotte et de La Réunion (celle de Guyane a malheureusement fermé en décembre 2019 faute de moyens…) délivrent des formations initiales et continues pour des brevets de navigation (certificat d’initiation nautique, matelot, capitaine 200, etc.), des brevets obligatoires (certificat radio, incendie, médical) et des spécialités (électronique, mécanicien). Il existe également sur ce même modèle une École des métiers de la mer en Nouvelle-Calédonie et un Centre des métiers de la mer en Polynésie française

Il y a enfin quelques formations supérieures comme le Master Droit des activités maritimes et Portuaires à l’université des Antilles, ou encore l’université de la Polynésie française qui dispense cette année un nouveau module consacré au tourisme nautique dans le cadre de la formation Stratégie et destination des licences professionnelles. L’inventaire, qui mériterait d’être effectué, n’est pas exhaustif.

Frédéric Moncany de Saint-Aignan : Pour revenir aux lycées de la mer, le seul exemple approchant est le lycée professionnel privé de Blanchet en Guadeloupe, qui propose des CAP/Bac Pro et BTS en lien avec les activités maritimes.
Certes, la Mesure 42 de CIMer de 2017 « Le Gouvernement s’engage renforcer les capacités de formation maritime dans les outre-mer, en s’appuyant au maximum sur les structures existantes par exemple par la création de « section maritime » dans les lycées d’enseignement général et les lycées professionnels ultramarins » est dimensionnante.

Aujourd’hui à notre connaissance seule la Région La Réunion et la Région Guadeloupe sont engagées dans ce processus à un « early stage », mais la ministre de la Mer a souligné, lors du Salon du Littoral qui vient de se tenir à la Grande Motte, sa collaboration future avec les élus locaux pour faire émerger des formations professionnelles aux territoires d’Outre-mer. On peut donc espérer une accélération des développements.

Mais avant de parler de formation, encore faut-il faire connaître les métiers de la mer aux jeunes ! C’est ce à quoi s’emploie par exemple chaque année le Cluster Maritime de La Réunion avec sa « journée de la mer », le village maritime qui a eu lieu en Guadeloupe lors de la dernière Route du Rhum avec le Cluster Maritime Guadeloupe, le forum économie bleue chaque année du Cluster Maritime Polynésie française, ou encore le dispositif de la Semaine de l’emploi maritime organisée pour la première fois en  mars 2019 partout dans les Outre-mer avec succès (faisant écho à la Mesure 69 du CIMER de 2018 : consolidation de la Semaine nationale de l’Emploi Maritime en métropole et Outre-mer). Signalons aussi, le programme « enseigner la mer » de l’Education nationale présent dans les programmes scolaires des collèges/lycées de l’hexagone et en Outre-mer.

Clairement il y a une nécessité de mieux faire connaître les métiers de la mer, des métiers passionnants, engageants et structurants, pour des entreprises qui recrutent beaucoup -particulièrement dans des métiers de la construction navale où il y a une forte demande, comme en témoignent les 23 métiers en tensions recensés par le Campus des Industries Navales. Enfin, on peut espérer que les formations délivrées (chaudronnier, mécanique) au sein des régiments du Service Militaire Adapté permettront de faire embaucher à terme des jeunes ultramarins dans des entreprises après une formation complémentaire, sorte de « navalisation » des formations initiales. Pour conclure, même si c’est une évidence pour vous, il faut toujours rappeler que l’atout maritime français passe irrémédiablement par les Outre-mer.