INTERVIEW. En Nouvelle-Calédonie, Jacques Lalié maintient sa ligne directrice « envers et contre tout »

INTERVIEW. En Nouvelle-Calédonie, Jacques Lalié maintient sa ligne directrice « envers et contre tout »

Jacques Lalié a pris les rênes de la province des îles il y a un an. Malgré la crise du Covid-19 et le confinement qui ont perturbé les îles Loyauté, il reste fidèle aux promesses de développement qu’il avait fixées au début de sa mandature. Une interview réalisée par Béryl Ziegler pour notre partenaire Actu.nc. 

Quel regard portez-vous sur la gestion de la crise Covid-19 ?

Compte tenu de la situation financière de la Nouvelle-Calédonie, on aurait dû réagir plus tôt. Avec la fermeture de l’aéroport de Tontouta, on aurait pu préserver la Calédonie de tous ces blocages concernant notamment la vie économique et simplement contrôler les flux qui reviennent en plaçant les rapatriés dans les hôtels. On aurait pu éviter le confinement, mais surtout les dépenses trop importantes pour la Calédonie. La fermeture des structures économiques a vraiment contraint à engager des dépenses sans tenir compte des possibilités de financement, notamment de la Nouvelle-Calédonie, mais aussi de l’État. Tout le monde croyait que l’État allait donner une subvention, alors que finalement c’est un emprunt qui a été consenti. Je tiens quand même à dire que l’emprunt dépasse les limites d’un pays non indépendant. Donc l’État ne s’est pas retenu d’engager cela pour dire que, quel que soit l’avenir, il s’engage dans une possibilité de travail ensemble, même si c’est lui qui domine.

Plus particulièrement dans les îles Loyauté, quelles conséquences ce mois de confinement a-t-il eu ?

D’abord des conséquences économiques, notamment au niveau des hôtels, puisque les îles sont particulièrement tournées vers le tourisme. A partir du moment où on a été confinés, il n’y a plus eu de recettes, donc pas d’entrées, pas de vie et donc pas de consommation. Finalement, on a rapidement mis en place les dispositions sur des dépenses qu’on n’avait pas prévues, et qui sont au niveau de la province. Cela va avoir des effets induits sur le BS (budget supplémentaire, ndlr) à venir et puis le BP (budget primitif, ndlr). Cela impacte surtout le budget de fonctionnement. Au niveau des investissements, je pense qu’on peut s’en sortir, car on a des possibilités de financement qu’on est allé chercher. Mais tout n’est pas morose. Ce confinement a permis une remise à plat du système. Il y a eu une remise en cause du « robot » de la consommation et une chasse aux dépenses inutiles. Le confinement nous a aussi poussés à nous organiser avec les moyens et les richesses que nous avons : les ignames, la coutume, etc.

A un moment, vous avez dû intervenir auprès des coutumiers qui refusaient d’ouvrir les frontières des îles. Considérez-vous qu’ils aient outrepassé leurs droits ? 

J’ai effectivement eu des interventions auprès de chaque coutumier. Vous savez, chez nous, chacun est chef chez soi. Donc quand l’aéroport de Wanaham ferme, j’ai à faire au grand chef du Wetr. Quand le port ferme à Lifou, j’ai à faire au grand chef de Lössi et quand le port de Maré est fermé, j’ai à faire au grand chef de Tadine. Mais ce sont des partenaires. Ce sont des jeunes qui ont été installés et ils n’ont pas l’expérience du pouvoir. Donc il peut y avoir des décisions qui sont bonnes, mais si on les sort de leur cadre, elles peuvent avoir des conséquences au niveau de la vie économique et de la vie des gens. C’est d’ailleurs pour cela que lorsque par la suite, il y a eu le blocage d’Air Calédonie, j’ai proposé un temps mort pour permettre des négociations et des discussions afin de sortir des clivages car on risquait d’avoir une remise en cause des autorités coutumières et ce n’est pas dans notre intérêt.

La province des îles a récemment pris des initiatives comme la tenue d’un discours de politique générale et la fixation d’un jour férié le 5 mai. Cela signifie-t-il que la province des îles s’inscrit aussi dans le sens de l’hyper provincialisation souhaitée par Sonia Backes ou de la différenciation provinciale défendue par Pierre Frogier ? Pensez-vous qu’il faille des spécificités provinciales ? 

Je suis contre le régionalisme. Ici, on est dans un même pays. Si j’étais régionaliste, après le vote du 12 mai, j’aurais proclamé unilatéralement l’indépendance de la province des îles, ce qui aurait signifié qu’on est un pays à part entière. Nous sommes un seul pays, nous avons une seule culture, avec bien sûr des petites différences selon les régions. Mais les gouvernements centraux sont les mêmes. Et donc, dans le cadre de ces partages de compétences, il faut qu’on rediscute et qu’on remette à plat les choses pour permettre le développement de l’ensemble du pays. Et pas toujours celui de Nouméa au mépris des autres régions. Il faut que les Calédoniens, les Nouméens en particulier et les gens du grand Sud prennent bien conscience que la province des îles a été un peu laissée pour compte par le passé. Il faut qu’ils soient solidaires avec nous, comme nous avons l’habitude d’être solidaires avec ceux qui n’en ont pas les moyens.

Pour rattraper ce retard, vous avez souhaité pour la province des îles engager des projets d’envergure comme la création d’un aéroport international et d’une compagnie aérienne, Air Océania… La crise pourrait-elle remettre en cause certains de ces projets ou bien vous maintenez votre ligne directrice ? 

Je maintiens cette ligne directrice envers et contre tout, car à partir du moment où j’ai tenu un discours, j’aime bien tenir ma parole. Donc j’essaie par tous les moyens de réaliser ce que j’ai engagé. C’est vrai qu’on a pris un peu de retard, notamment concernant les études de l’aéroport et d’Air Océania. Mais, en même temps, cela nous permet de remettre à plat tout le schéma, et demain de recentrer la nouvelle organisation sur les centres d’intérêt. Pour nous, c’est fondamental. Si on ne m’écoute pas, je m’inscrirai dans l’opposition et je continuerai ce projet que j’ai mis en avant. Quitte à aller voir le pouvoir de l’État en France, bien sûr si on n’est pas indépendant au mois d’octobre. Après, les choses seront revues. Mais en tout cas, c’est ma volonté politique. Je dois la réaliser sinon je passerai pour un menteur.

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La province des îles aurait-elle les moyens de financer ces projets si la Nouvelle-Calédonie devenait indépendante ? 

Concernant les programmes d’investissement, la province des iles a contractualisé des emprunts. Le monde bancaire est concentré sur des secteurs comme l’environnement, la formation des hommes. On a des moyens, il faut qu’on attache nos projets vis-à-vis de ces secteurs pour avoir ces financements. Aujourd’hui, on est en relation avec l’Europe notamment à travers la France. Demain si on devient indépendant, on pourra avoir une relation directe avec des pays qui bénéficient des potentialités que l’Europe peut offrir en termes d’aide dans le monde. Globalement, il faut mettre en place la taxe minière rapidement, il faut l’inscrire dans une perspective. Donc même si on doit exporter un peu pour dépanner la SLN, il faut pouvoir faire en sorte qu’on ne gaspille pas notre patrimoine et qu’on le préserve pour les générations futures. Ce sont des textes à travailler ensemble. Qu’on soit du Nord, des îles ou de Nouméa, on a beaucoup échangé avec un esprit constructif. Je suis content que les responsables de ladite droite changent un peu leurs tendances et on espère qu’on pourra se retrouver encore mieux dans l’avenir.

Où en est la mise en place du dispositif de zone franche attendu de pied ferme par les îliens ?

Le dispositif de zone franche a été voté en tant que loi et maintenant on attend la délibération d’application. Le membre du gouvernement en charge du secteur devrait venir nous rencontrer. En tout cas, c’est un outil de développement économique et aussi d’aménagement (sport nature, santé, églises…) pour nous qui sommes en voie de développement.

Qu’est-ce qui a changé depuis que vous êtes à la tête de la province ?

Des choses ont changé au niveau des bourses, de l’habitat, des structurations de la formation professionnelle… Et puis, le discours de politique générale que j’ai tenu a donné des perspectives à la province, sinon on serait en train de vivre au jour le jour, comme c’est le cas depuis 30 ans. Il était temps que cela change. Nous sommes contents car jusqu’à maintenant, nous étions laissés pour compte. Je suis engagé dans le développement économique, tiré vers le haut par la politique. Cela donne aussi une autre image de la province. Sinon on resterait une petite province administrative. Je suis en train de bouger un peu les choses. Je ne veux pas faire l’irrespectueux, je veux respecter les gens avant moi, mais je vais tout faire pour contribuer au développement des îles.

Quelles vont être les priorités provinciales des prochains mois, voire des prochaines années ?

On a structuré le budget autrement et on continue à faire. J’ai dit au membre du gouvernement et à Air Calédonie que si on ne veut pas mettre en place les choses, l’année prochaine je m’engage à louer des avions pour réaliser Air Océania. Je profite aussi de l’opportunité que présente le Covid-19 : des locations et des pilotes au chômage, il y en a beaucoup. Dans le monde, 80 % des avions sont en location. Pourquoi en achèterait-on ? J’ai déjà engagé des études. En cas d’échec des négociations au mois de juillet, on devra prendre des décisions importantes. Il faudra en avoir le courage. J’espère que si on change notre statut, cela nous permettra d’avoir notre propre manière d’agir, plutôt que de toujours compter sur la France. Certes, on ne pourra pas se passer de la France car on aura toujours des choses à partager, mais au moins, on aura des discussions d’égal à égal.