Des anciens habitants des Chagos et leurs descendants manifestent devant le Parlement à Londres, le 22 octobre 2008 ©Shaun Curry / AFP (Archives)
Le Royaume-Uni a exprimé lundi ses « regrets » devant la Cour internationale de justice (CIJ) pour la « manière honteuse » dont les habitants des îles Chagos avaient été traités en 1965, tout en estimant que ce tribunal n’était pas l’endroit adéquat pour régler son différend avec l’île Maurice, qui revendique sa souveraineté sur ce territoire britannique de l’océan Indien (BIOT) qui accueille une importante base militaire américaine.
Les débats se sont ouverts lundi devant le tribunal de La Haye sur l’avenir de ce territoire séparé de l’île Maurice par le colonisateur britannique en 1965, et où Londres a ensuite installé une base commune avec les États-Unis sur l’île de Diego Garcia. La séparation de l’archipel de 55 îles, dont seules trois sont habitées, a été suivie de l’expulsion d’environ 2.000 Chagossiens vers l’île Maurice et les Seychelles pour faire place à la base militaire de Diego Garcia. »La manière dont les Chagossiens ont été ensuite traités est honteuse et nous la regrettons vivement », a affirmé le député britannique et conseiller juridique du gouvernement, Robert Buckland.
« Mais il s’agit d’un différend bilatéral » entre Londres et Port-Louis, et les juges de la CIJ devraient « renoncer à donner leur avis sur la question », a-t-il ajouté. Plus tôt, l’ancien président mauricien Anerood Jugnauth avait affirmé que « plus de cinquante ans après l’indépendance, le processus de décolonisation de Maurice reste incomplet ». Le découpage territorial a été effectué « sous la contrainte » dans le cadre des pourparlers sur l’indépendance de l’île Maurice accordée trois ans plus tard par Londres.
Avis consultatif
La session ouverte lundi est la conséquence d’une résolution adoptée en juin 2017 par l’Assemblée générale de l’ONU. Dans un revers diplomatique infligé à Londres, le texte présenté par Maurice et soutenu par les pays d’Afrique demandait à la CIJ son avis dans ce litige qui dure depuis plus d’un demi-siècle. Les 15 juges de l’organe judiciaire principal des Nations unies doivent entendre les arguments sur « les conséquences légales de la séparation de l’archipel des Chagos de Maurice ». L’Union africaine et 22 pays, dont le Royaume-Uni, les États-Unis, l’Allemagne et plusieurs pays d’Asie et d’Amérique latine, doivent prendre part à la procédure prévue sur quatre jours.
Ensuite, les juges de la CIJ, un tribunal chargé notamment d’examiner les conflits juridiques entre États, émettront leur « avis consultatif » dans un délai qui peut se compter en mois, voire en années. Cet avis non contraignant pourrait apporter de l’eau au moulin de Maurice qui réclame le retour des Chagos dans son giron et estime que Londres « a illégalement démembré » son territoire. L’avocat général de Maurice, Philippe Sands, a diffusé lundi une vidéo présentant le témoignage émouvant d’une Chagossienne expulsée, Marie Elyse, qui a fait part, en pleurs de sa volonté de retourner « sur son île de naissance ».
Le Royaume-Uni s’était servi des pourparlers sur l’indépendance de ce territoire semi-autonome pour parvenir à ses fins, tout en versant une somme de 3 millions de livres de l’époque en échange des Chagos. Lors de rencontres secrètes à Londres, le Premier ministre britannique de l’époque, Harold Wilson, avait voulu « faire peur » aux responsables mauriciens pour les forcer à céder l’archipel convoité, a affirmé lundi M. Jugnauth.
Bombardements américains
Harold Wilson leur a dit qu’ils pouvaient rentrer à Port Louis « avec ou sans l’indépendance » et que « la meilleure des solutions pourrait être l’indépendance et le détachement (des Chagos) par le biais d’un accord », a-t-il poursuivi. « C’est avec en toile de fond cette énorme pression et dans des circonstances équivalant à la contrainte que, moins de cinq heures plus tard, quatre des cinq représentants de Maurice ont cédé le détachement de l’archipel des Chagos », a-t-il dit. Un peu plus tard, alors que la guerre froide s’intensifiait, le Royaume-Uni a établi, au début des années 1970, une base militaire conjointe avec les États-Unis à Diego Garcia, la plus grande et la plus connue des Chagos. Depuis, la base – dont le bail court jusqu’en 2036 – a joué un rôle clé dans des opérations militaires américaines.
La base a notamment servi aux campagnes de bombardement américaines en Afghanistan et en Irak. Le vote de la résolution sur la saisine de la CIJ était considéré comme un test de la capacité du Royaume-Uni à rallier ses voisins européens, un an après son référendum de sortie de l’UE. Mais ce vote par 95 voix contre 15 a surtout été marqué par l’abstention de 65 pays dont de nombreux membres de l’Union européenne comme la France, l’Italie et l’Allemagne. Londres s’est à plusieurs reprises engagé à céder l’archipel des Chagos à Maurice lorsqu’il ne sera plus nécessaire à des fins de défense.
Avec AFP.